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[Exposition au Mudam] Dans le jardin d’Edward Steichen


(photo Mareike Tocha)

Au Mudam, la photographe américaine Lisa Oppenheim livre une réflexion poétique et ludique sur les aspects méconnus de l’œuvre d’Edward Steichen.

On n’a pas encore tout découvert ni raconté d’Edward Steichen (1879-1973). Le photographe américain, connu pour être une figure pionnière de la photographie – pour son propre travail et grâce aux expositions ambitieuses qu’il a organisées alors qu’il dirigeait le département photo du MoMA, à New York, de 1947 à 1962 –, est régulièrement célébré dans son pays natal, le Luxembourg, autour de son héritage.

Les collections du CNA, du MNAHA, de la Photothèque de Luxembourg et de la Spuerkeess, avec les deux expositions «The Family of Man» au château de Clervaux et «The Bitter Years» (au CNA jusqu’en 2020 et désormais dans les archives de la collection), composent un fonds exhaustif de l’œuvre de l’artiste.

Mais, comme on a pu le voir encore récemment au MNAHA avec l’exposition «From Aerial Views to Pink Suits» (2024) ou celle d’Erwin Olaf et Hans Op de Beeck en 2022, l’univers de Steichen recèle encore nombre de secrets bien gardés du grand public, mais qui n’ont pas fini d’inspirer les artistes.

À la demande du Mudam, c’est la photographe new-yorkaise Lisa Oppenheim qui répond aujourd’hui à une réflexion sur l’héritage d’Edward Steichen avec de nouvelles œuvres. Il est facile de voir un lien de filiation entre les deux artistes : comme Steichen en son temps, Oppenheim construit une œuvre qui tourne toute entière autour des potentiels inexplorés du médium photographique et des hybridations artistiques.

«Monsieur Steichen», la très belle exposition à voir dans le pavillon Henry J. et Erna D. Leir du Mudam, dévoile ainsi un portrait «subjectif et abstrait» de cette figure imposante, vue par une photographe qui est allée, chez son sujet, puiser la dimension sensible. «À travers cette exposition, je souhaite habiter la pratique de Steichen (…) Faire avec le travail de Steichen ce qu’il a fait tout au long de sa vie», écrit Lisa Oppenheim.

Connexion organique

Loin, donc, des portraits, paysages et photos de famille qui représentent le volet le plus fameux de l’œuvre colossale de Steichen, Lisa Oppenheim s’intéresse à des aspects plus méconnus, à commencer par la passion du photographe pour les fleurs.

Sous la verrière du pavillon Leir, on entre comme dans un jardin minimaliste sur les murs duquel trône une fleur disparue, une variété d’iris créée en 1910 par le botaniste français Fernand Denis pour son ami photographe, et qui porte le nom de «Monsieur Steichen».

Dans ses séries de clichés intitulés Mme ou Mlle Steichen, Lisa Oppenheim en offre le versant féminin, en recréant cette fleur grâce à l’intelligence artificielle et des images des deux variétés qui ont donné vie au «Monsieur Steichen», puis en imposant à ses tirages des variations de couleurs permises par le «dye transfer», une technique expérimentale d’impression couleur utilisée par Steichen lui-même.

Plus qu’une réflexion ou qu’une étude, Lisa Oppenheim développe ici une connexion poétique et organique avec son sujet – la fleur qui porte son nom, même générée par IA, rassemble sous toutes ses couleurs un portrait insolite de Steichen.

Au-delà des clichés floraux, la New-Yorkaise expose un véritable Bouquet of Flowers, composé selon une photo du même titre prise par Steichen en 1940; Steichen avait déjà exposé ses propres delphiniums (une fleur qu’il a longtemps cultivée) au MoMA en 1936, marquant la première fois que des fleurs ont été montrées comme œuvres d’art dans un musée.

Autre hommage rendu dans la même veine, dans les douves qui entourent le musée et visibles depuis la passerelle vitrée qui mène au pavillon Leir, Lisa Oppenheim a planté des delphiniums pour une installation qui fleurira à l’été.

Motifs pour textiles

Avec une amie créatrice de mode, Zoe Latta, la New-Yorkaise s’est en parallèle intéressée aux rares créations textiles de Steichen, réalisées pour la Stehli Silks Corporation et dans lesquelles il a révolutionné le motif en abandonnant les formes traditionnelles pour des objets du quotidien (allumettes, lunettes, punaises…).

À son tour, Lisa Oppenheim développe ses propres motifs à partir de photographies abandonnées de l’artiste américano-luxembourgeois, et crée pour l’exposition une série d’installations prenant la forme de quatre paravents, dont chaque volet présente un tissu différent, et accrochant au dos de chaque objet une photo prise par Steichen, représentant ses trois épouses (Clara, Dana et Joanna) et sa mère (Marie Kemp Steichen).

Dans cette exposition qui se dévoile tout en délicatesse, le travail d’Edward Steichen apparaît sous un nouveau jour – celui d’une artiste qui reprend à son compte, et à travers son regard féminin, l’art d’un homme qui ne s’est jamais limité dans ses expérimentations.

À la fois réinterprétation du travail de Steichen – avec les textiles ou les Steichen Studies exposés dans la salle souterraine du pavillon, soit des expérimentations menées par Lisa Oppenheim dans sa chambre noire, qui, en étant montrées avec les photos de Steichen qui lui ont servi de base de travail, livrent un bel aperçu du processus créatif de la photographe – et explorations artistiques actuelles, «Monsieur Steichen» propose une réflexion charmante, ludique et nouvelle sur l’œuvre d’un artiste phare du XXe siècle et de la photographie.

Jusqu’au 24 août. Mudam – Luxembourg.