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Esch-sur-Alzette : à l’épicerie sociale, la fréquentation suit l’inflation


Depuis près de trois ans, Giuseppe Tricarico, responsable de l’épicerie sociale d’Esch-sur-Alzette, constate une hausse du nombre de bénéficiaires d’aides alimentaires.  (Photos : tania feller)

Comme les autres épiceries sociales du pays, celle d’Esch-sur-Alzette connaît une hausse du nombre de bénéficiaires dans un contexte postcovid et d’inflation des prix.

À l’épicerie sociale Caritas Buttek d’Esch-sur-Alzette, il est à peine 15 h, mais les étagères sont déjà bien vidées ce jeudi 20 avril. Des stocks qui peinent à suivre la fréquentation de la boutique qui ouvre ses portes à 13 h. Au grand dam de son responsable Giuseppe Tricarico : «Moins on a de monde, mieux ce serait.» Réservée aux personnes dans le besoin, identifiées par l’office social, l’épicerie propose des produits alimentaires «avec un prix qui représente un tiers de celui du marché».

Déodorant à moins d’un euro, rôti de porc à 2 euros (au lieu de 20), 60 centimes de moins pour le kilo de clémentines… La boutique de 200 mètres carrés regorge de tarifs réduits. Alors, sa fréquentation suit la courbe de l’inflation. «Entre décembre 2019 et 2022, le nombre de ménages qui fait ses courses ici est passé de 220 à 335.» Soit, une augmentation de 51 %. Une tendance qui se confirme encore récemment à Esch, avec plus de 13 % de bénéficiaires entre janvier et mars 2023 (933) par rapport à la même période en 2022 (824).

Au Luxembourg, «on a des œillères sur la pauvreté»

Sur tout le Grand-Duché, la fréquentation des épiceries sociales a augmenté «de 33 % entre 2017 et 2021, avec l’inflation et le covid», dévoile Carole Reckinger, responsable «plaidoyer politique» de Caritas Luxembourg. Cependant, ces chiffres et les 8 277 personnes et 3 302 ménages bénéficiant d’une aide alimentaire en 2023 ne reflètent pas la réalité de la pauvreté selon elle. «On ne peut pas se fier à ces chiffres pour établir une vision sur la situation sociale du pays.» Pour cause, «il faut déjà avoir du courage pour faire la démarche de demander une aide», explique Carole Reckinger, prenant pour exemple la subvention loyer, seulement demandée par 1 personne sur 3 pouvant y accéder. Une démarche qui nécessite en plus d’avoir une adresse fixe, excluant les sans domicile fixe. Ensuite, l’office social décide de l’aide, parfois autre que sur l’alimentation.

Pour la responsable, c’est évident : «la pauvreté est sous-estimée». Une situation dont les mesures ne sont pas à la hauteur selon elle, les aides ponctuelles ne s’attaquant pas à la source du problème. «Au Luxembourg, il y a des plans pour tout sauf pour la pauvreté», dénonce-t-elle ainsi que le plus fort taux de travailleurs pauvres (13,5 %) d’Europe derrière la Roumanie. «On dirait que ce n’est pas un sujet d’intérêt, on a des œillères sur la pauvreté.»

Elle préconise donc un vrai programme avec des aides plus ciblées, sinon quoi «c’est l’arrosoir : on donne un peu à tous, même ceux qui n’ont pas besoin». Si, pour l’instant, les épiceries sociales et leur centrale d’achat absorbent globalement la hausse des prix, cela pourrait ne pas durer, s’inquiètent Carole Reckinger et Giuseppe Tricarico. Plus largement, les deux membres de Caritas sont du même avis : sans mesure, la pauvreté risque d’augmenter dans le pays. Notamment lorsque les primes d’énergie ou à la vie chère auront disparu des portefeuilles les plus minces.

Il est donc clair que la montée des prix a dirigé de nombreux ménagers vers un service dont ils n’avaient pas besoin avant cela. Une fois sur place, qu’en est-il de la hausse des prix ? «Les variations des prix à l’extérieur ont un impact minime chez nous», assure Giuseppe Tricarico. Alors que les légumes frais ont augmenté de 28,5 % en un an selon les chiffres du Statec pour 2022, dans les épiceries Caritas, «les fruits et légumes n’ont pas bougé».

Une exception rendue possible par le fonctionnement des 12 épiceries solidaires que compte le Luxembourg, Caritas (4) et Croix Rouge (8) confondus. Fondée en 2009 par Fondation Caritas Luxembourg, la Croix-Rouge luxembourgeoise et l’ASBL Aarbechthëllef, «Spëndchen» est leur centrale d’approvisionnement. Grâce à de la collecte ou de l’achat en gros, cette dernière «absorbe la hausse des prix». «On vend à perte»résume le responsable des lieux, prenant l’exemple de la viande vendue au prix d’achat, sans les frais de transport.

«En trois jours, on a vendu comme sur une semaine»

Malgré tout, la «Spëndchen» ne peut contrôler le prix de certains produits tels que l’huile, passée de 90 centimes à 2 euros entre 2020 et 2022. Même constat pour la farine. Cependant, ces hausses incontrôlées restent minoritaires. «Le ticket moyen n’a pas évolué», assure Giuseppe Tricarico, employé par Caritas depuis sept ans. Le personnel de l’épicerie constate des comportements différents selon l’aide fournie par l’office social. «Ceux qui ont une aide en espèce et qui doivent gérer leur portefeuille font plus attention aux prix que ceux qui ont un bon alimentaire à dépenser par semaine.»

Toujours est-il que l’addition reste nettement moins salée qu’ailleurs. À la caisse, Sonia, mère de famille, confie que «les sacs sont un peu moins remplis, mais ça va». Le problème du jour est surtout l’épuisement rapide de certains produits, à la surprise de certains bénéficiaires qui interrogent le personnel. «En trois jours, on a vendu comme sur une semaine mais demain ça revient», leur répond-on.

En effet, le vendredi, comme le lundi et le mercredi, est un jour de livraison importante, entre viande, primeurs et DLC courtes collectées dans les chaînes de grands magasins. Encore faut-il être réactif. «Quand on arrive tard, il y a moins de choix mais ça reste intéressant», relativise Ran, habituée des lieux. Pour un panier équivalent, ou presque, cette dernière estime qu’elle met «70 euros chez Aldi et 30 euros ici». Chaque mois, le Fonds européen d’aide aux plus démunis donne également 14 produits de base à chaque bénéficiaire.

À la différence de l’alimentation, réservée aux bénéficiaires d’aides, l’épicerie abrite aussi un magasin de vêtements de seconde main accessible à tous.

En plus des produits alimentaires de première nécessité, on trouve aussi au 79, rue Dicks un magasin de seconde main ouvert à tous. À l’entrée de l’épicerie sociale, une large gamme de vêtements et chaussures est mise en vente afin de financer le côté alimentaire. Là aussi, une augmentation est visible, mais elle est aussi liée «en partie à la démarche antigaspillage pour l’environnement et à une certaine mode pour la seconde main», analyse Giuseppe Tricarico.

Plus qu’une simple épicerie, le personnel cherche aussi à en faire un lieu de vie en proposant par exemple des ateliers avec une diététicienne pour manger sainement. Ou en offrant à ses bénéficiaires un endroit pour s’asseoir et discuter. «Et parfois, au lieu de jeter les fruits pourris, on garde ce qui est bon pour en faire des smoothies que l’on offre.»

Les étagères de l’épicerie sont composées de produits alimentaires de première nécessité, à des prix équivalents à «un tiers de celui du marché».