Dans une exposition, le photographe Eric Chenal offre un regard personnel sur les différentes étapes des travaux de la liaison cyclable Esch-Belval, inaugurée il y a une semaine.
Il est de ceux qui ont cerné l’intention de la photographie au point de faire corps avec sa signification première : «écrire avec la lumière». Pourtant, Eric Chenal n’est ni un enfant du troisième art, ni un prophète se découvrant un don au gré du hasard : «Je suis devenu photographe tardivement, à l’aube de la quarantaine, à une époque où j’intègre l’agence naissante de photographie, Blitz», livre Eric Chenal, photographe depuis 2003. Les années à capturer des visages d’hommes politiques, de chefs d’entreprises ou d’avocats lui confèrent une expérience optimale pour se lancer, en 2012, dans la photographie d’architecture.
Huit ans et plusieurs projets plus tard, Eric Chenal s’est vu confier par la division des ouvrages d’art de l’administration des Ponts et Chaussées, l’illustration des différentes étapes sous-tendant le projet de la liaison cyclable directe entre Esch-sur-Alzette et Belval, inaugurée en grande pompe la semaine dernière. À travers une exposition, située au Fonds Belval, et un fascicule, le photographe français narre l’édification de l’infrastructure et la transformation de ce territoire historique, qui s’est avéré une source d’inspiration inépuisable.
Capter la transformation
Il n’y a pas à se voiler la face. La photographie, aussi technique soit-elle, reste largement démunie par rapport à l’expérience architecturale : «L’architecture est un art total, qui sollicite les cinq sens. Alors comment une pratique en deux dimensions peut rendre compte d’un espace tridimensionnel ?», s’interroge Eric Chenal. La question est d’autant plus pertinente que la construction de la piste cyclable s’est révélée quasi pharaonique au regard des investissements, des contraintes du terrain et du temps des travaux, soit quinze mois. «Quand je fais des suivis de chantiers, ces derniers sont généralement bien entamés au moment où je débute. Là, ce fut le premier projet où je suis parti de rien», relate le photographe, dont les activités s’articulent principalement dans des espaces intérieurs.
Ce travail artistique posait ainsi deux défis personnels au photographe : la nécessité d’offrir une perception évolutive des travaux, tout en opérant à la lumière du jour. Une sorte de «regard général» sur les différentes étapes de réalisation, allant de l’établissement des fondations aux travaux de blindage et de bétonnage. «La photographie doit donner envie, exposer l’esprit des lieux, mais à sa manière. J’ai donc essayé de multiplier les prises de vues, avec beaucoup de plans moyens ou de plans de détails, expose Eric Chenal, dont l’intention est perceptible dans le choix des photos exposées. J’ai voulu rendre compte de certains éléments spectaculaires, mais dans le même temps offrir une dimension humaine.»
Ainsi, à l’aide de triptyques, le photographe parvient ingénieusement à sublimer les variations des paysages et les gestes, pour le moins méthodiques, des ouvriers. Tant de témoins de l’avancée irrésistible du chantier : «J’ai tenté d’adopter une dimension cinématographique, en décomposant un élément photographique, comme pour induire une forme de mouvement», ajoute-t-il. Certains de ses clichés vont même jusqu’à rendre compte de gestes précis, à l’instar de cette photo en plan serré prise lors de travaux de soudure, où les éclats pétillants apparaissent à l’image. Tout un art.
Gravé dans le cuivre
Dans le sillage de la documentation liée à la révolution industrielle, où chemins de fer et techniques sidérurgiques apparaissent, Eric Chenal s’est également tourné vers les héliogravures pour «incarner l’image». Né au XIXe siècle, ce procédé d’impression permet, par les richesses de ses différentes nuances d’ombre et de lumière, de redonner toutes leurs lettres de noblesse à l’image contemporaine, la photographie d’art ou tout autre style de création graphique. Le travail en synergie avec un atelier parisien a donc permis l’élaboration de ces matrices de cuivre, sur lesquelles des images du chantier ont été gravées : «On a tamisé et utilisé la terre du chantier, dont certains pigments ont été intégrés dans l’héliogravure, lorsque l’encre était encore fraîche, relate Eric Chenal. C’est la première fois que la matérialité que je donne à mes images personnelles s’est retrouvée dans un tel travail de commande.»
Un moyen de pérenniser ce travail de longue haleine, puisque le support garantit une certaine longévité. Ces gravures ont été offertes en présents aux représentants publics lors de l’inauguration : «Beaucoup ont été touchés par ce cadeau», se remémore le photographe. Alors que deux autres tomes dédiés au chantier de la liaison cyclable Esch-Belval paraîtront l’année prochaine, l’exposition photographique est ouverte au grand public jusqu’au 1er janvier 2023. Rendez-vous au Fonds Belval pour la découvrir.