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[Élections sociales] Conventions collectives : le défi des 50%


Le 4 juin 2016, les salariés du secteur de la santé manifestent pour la défense de leur convention collective à l'appel de l'OGBL, rejoint par le LCGB. (Photo : Hervé Montaigu)

Pour les syndicats à représentativité nationale comme l’OGBL et le LCGB, conclure une convention collective du travail dans les entreprises est un enjeu majeur, car elle améliore le sort des salariés et leur montre tout l’intérêt d’être syndiqué. Pourtant, le nombre de salariés couverts par une convention collective stagne autour des 50 % depuis des années. Pour aller au-delà, il faudra conclure des conventions de branche et donner plus de poids aux syndicats.

L’érosion est lente, mais certaine : au fil des ans, le nombre de salariés couverts par une convention collective du travail (CCT) baisse. De 57 % de salariés couverts en 2006, ce taux est passé à 55 % en 2010, puis descendu à 53 % en 2014, selon les derniers chiffres en possession du Statec.

«On ne ressent pas vraiment la baisse», juge pourtant Robert Fornieri, secrétaire général adjoint du LCGB, le syndicat chrétien au sein duquel il est notamment en charge des CCT. Il reconnaît cependant que leur nombre augmente désormais difficilement. Responsables politiques et syndicaux font le même constat depuis des années : seule la moitié des salariés bénéficient de la couverture d’une CCT. «Ce seuil de 50 % semble difficile à dépasser», confirme un fonctionnaire au ministère du Travail.

Pour les salariés, l’intérêt de se doter d’une CCT est manifeste. Signée entre l’employeur et un syndicat représentatif, la convention ouvre sur de meilleures conditions de travail, permet de négocier des primes ou des congés supplémentaires. Surtout, elle garantit des revenus plus élevés à la majorité des salariés. Particulièrement pour les moins bien formés. «Chez les cols bleus non qualifiés, le salaire moyen des salariés conventionnés dépasse celui des salariés non conventionnés de 16 %», analyse le Statec dans une étude publiée en 2017. À l’inverse, notent les statisticiens, «pour les cols blancs qualifiés, les salariés non conventionnés gagnent en moyenne plus que les salariés conventionnés».

Un plus par rapport au code du travail

Le gouvernement reconnaît l’importance du dispositif et lui dédie un rôle central dans les politiques de l’emploi et la mutation digitale de l’économie : «Les réformes doivent être entreprises dans le cadre d’un dialogue social rénové et renforcé au niveau des entreprises, entre autres à travers la promotion des conventions collectives», est-il écrit dans l’accord de coalition présenté en décembre.

Les CCT améliorent l’ordinaire du code du travail, qui «est un minimum pour tous les salariés», précise Erwann Sevellec, responsable du service juridique de l’OGBL, rappelant qu’«une CCT ne peut pas descendre en dessous de ce minimum».
Paradoxe : alors que le nombre de salariés couverts par une CCT baisse, le chiffre des conventions conclues augmente. «La multiplication du nombre d’entreprises explique ce phénomène. Nous avons signé plus de 200 CCT au cours des cinq dernières années. Sachant que leur validité porte sur des périodes de six mois à trois ans, cela nous prend de plus en plus de temps», témoigne Nico Clement, membre du bureau exécutif et responsable du département tarifaire de l’OGBL. Même constat de Robert Fornieri au LCGB, également signataire de quelque 200 CCT : «En fait, nous sommes tout le temps en train de négocier.»

Pour le syndicaliste chrétien, la difficulté est liée à «l’attitude patronale qui change, se durcit dans des négociations de plus en plus pointues». «Ils noircissent le tableau sur la situation de l’entreprise, surtout les grands groupes comme Goodyear ou ArcelorMittal.»

L’OGBL en faveur de grèves d’avertissement

Nico Clement, à l’OGBL, ne nie pas le raidissement des employeurs qui «cherchent en permanence à gagner du temps : si une négociation n’aboutit pas, nous allons devant l’Office national de conciliation. Mais il y a un délai de 16 semaines avant la première réunion entre syndicat, employeur et État. Pendant ces 16 semaines, nous sommes condamnés à l’attente et à l’inaction tandis que le patron a le champ libre pour influencer ou exercer des pressions sur les salariés, voire licencier les plus revendicatifs.»

Pour contraindre les employeurs à négocier sincèrement, Nico Clement préconise un changement de taille : «Il faut une loi qui permette aux syndicats d’augmenter leur pression. La grève d’avertissement serait un instrument adapté, car pour l’instant le patron a tous les arguments de son côté.»

Pour le dirigeant syndical, le comportement patronal n’explique pas à lui seul la difficulté à faire bénéficier davantage de salariés de CCT. «Il y a de plus en plus de petites entreprises avec peu de salariés», indique Nico Clement, se référant à son expérience de terrain : «J’ai même négocié une convention pour deux salariés dans une entreprise.»

 

Dans ce graphique réalisé en 2017, le Statec a intégré le secteur public dans lequel les relations et conditions de travail sont régies par la loi, dont les effets sont comparables à ceux d'une convention collective. (Graphique : Statec)

Dans ce graphique réalisé en 2017, le Statec a intégré le secteur public dans lequel les relations et conditions de travail sont régies par la loi, dont les effets sont comparables à ceux d’une convention collective. (Graphique : Statec)

 

Mais bien souvent, il n’y a ni syndicat ni délégué du personnel dans les plus petites entreprises et donc aucune chance de négocier une CCT. «Le taux de couverture est de 30 % pour les entreprises de 10 à 49 salariés et augmente jusqu’à 79 % pour les entreprises employant plus de 1 000 salariés», illustre le Statec dans son étude de 2017. Les salariés des secteurs de la restauration et de l’hôtellerie et ceux du commerce sont parmi les moins bien couverts, attestent Statec et ministère du Travail.

«Le système luxembourgeois favorise la conclusion de conventions dans les entreprises, mais pas suffisamment dans les branches. Nous demandons un changement de loi qui facilite l’entrée en négociations au niveau de l’entreprise et la conclusion de plus de CCT dans les branches», revendique Nico Clement.

Un petit patron peut bloquer tout un secteur

Le ministère du Travail abonde dans ce sens : «Pour aller plus loin, il faudrait des accords sectoriels.» Et le fonctionnaire déjà cité d’expliquer que cela ne coule pas de source : «Si on prend le commerce, il y a des entreprises très différentes par leur nombre de salariés et les produits qu’elles vendent. Il est difficile de les regrouper autour de l’idée d’une CCT sectorielle. Une grande entreprise y a intérêt alors que les petits patrons pensent souvent le contraire. Mais comme chaque employeur dispose d’une voix dans les organisations patronales, indépendamment de sa taille, il suffit d’un ou deux petits patrons qui s’y opposent pour que tout soit bloqué.»

Sans les nommer, il cite l’exemple de trois grands acteurs de l’hôtellerie dont la tentative de regrouper l’ensemble du secteur autour d’une CCT sectorielle n’a jamais abouti.

«À l’OGBL, nous sommes une quarantaine de permanents à être impliqués dans les signatures de CCT. Il est impossible d’ouvrir des négociations dans toutes les petites entreprises, elles sont bien trop nombreuses», remarque Nico Clement.
Pourtant, une CCT n’est pas un pari perdant pour un employeur, aussi petit soit-il. «Dans les PME, le succès dépend souvent de la réactivité des salariés et une CCT est une manière de les mobiliser et les récompenser», affirme Robert Fornieri. Le syndicaliste du LCGB y voit aussi une chance pour les patrons d’être compétitifs sur un marché du travail où de plus en plus d’emplois ne sont pas pourvus.

Aux syndicats de convaincre… les patrons

En 2018, les postes vacants ont augmenté de 24,7 % selon l’Agence pour le développement de l’emploi (Adem), alors que des économistes prédisent un déficit de plusieurs dizaines de milliers de salariés dans la Grande Région au cours des prochaines décennies. À l’OGBL aussi, l’on souligne cet atout pour un patron : «S’il veut des salariés performants et bien formés, il a tout intérêt à négocier une CCT.»

«Personnellement, je crois qu’il y a des employeurs qui ne se rendent pas compte qu’il peut, par exemple, être avantageux d’avoir une grille des salaires bien structurée», complète le fonctionnaire du ministère du Travail. «Mais c’est le travail des syndicats de leur expliquer cela et de les convaincre.»

En attendant de convertir tous les patrons aux vertus des CCT, les syndicats espèrent mobiliser un maximum de salariés en leur faveur lors des élections sociales de mardi. «Pour conclure des conventions, il faut commencer par avoir des délégués dans les entreprises et les élections sont l’occasion pour les salariés de renforcer leurs droits», assure Robert Fornieri.
Sans le contredire, Nico Clement, de l’OGBL, insiste une nouvelle fois sur la nécessité de conclure des CCT sectorielles : «Les conventions de branche seraient un moyen d’entrer dans les entreprises, car les salariés verraient l’effet positif du travail syndical. De façon générale, si les hausses de salaires ou le maintien de l’index sont des réalités, ce n’est pas par une intervention divine ou parce qu’on a des dirigeants politiques sympas, mais parce qu’il y a une lutte, une résistance de la part des syndicats.»

Fabien Grasser