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[Élections sociales] Ces frontaliers boudent les urnes : «J’ai jeté l’enveloppe à la poubelle»


«Je me demande à quoi ça sert, et est-ce que ça change vraiment quelque chose à ma vie de salariée?» Photo : julien garroy

Parmi les électeurs de la Chambre des salariés, les 125 000 frontaliers français sont les plus nombreux à s’abstenir. Certains avouent ne rien comprendre au scrutin, d’autres sont désabusés.

Ils sont 125 000 à avoir reçu un bulletin de vote pour les élections de la Chambre des salariés (CSL), dont ils sont membres – souvent sans le savoir – comme tous les salariés, apprentis, retraités et demandeurs d’emploi du Luxembourg.

Eux, ce sont les travailleurs frontaliers français, le groupe d’électeurs habituellement le moins mobilisé de ce scrutin. La plupart se sentent perdus et renoncent à s’exprimer par manque d’information.

Ce que confirment les Lorrains que nous avons rencontrés. Pour d’autres, l’abstention est un vrai choix.

Le «manque d’intérêt» l’emporte

À l’image de cette chargée de communication, employée au Luxembourg depuis plus de 15 ans : «J’avoue, j’ai jeté l’enveloppe à la poubelle. Surtout par manque d’intérêt», explique-t-elle.

La mère de famille confie avoir perdu ses illusions : «Je me demande à quoi ça sert, et est-ce que ça change vraiment quelque chose à ma vie de salariée? Les réponses ne m’encouragent pas à faire l’effort de voter.»

«Aucun contact» avec la CSL

Contrairement à la majorité de ses compatriotes, la quadragénaire connaît plutôt bien le système luxembourgeois. Ce qu’elle dénonce, c’est surtout le manque de lien avec cette institution censée la représenter.

«Après avoir voté – je l’ai fait en début de carrière – on n’a aucun contact avec les élus, et n’entendons plus parler de la Chambre des salariés jusqu’aux élections suivantes.»

Pas mieux pour les délégués

Si elle ne participe plus à ces élections, elle ne se montre pas plus tendre avec celles des représentants du personnel en entreprise : «Aucun délégué n’a jamais apporté de réponse concrète aux problèmes que je traversais.»

Les frontaliers lorrains avouent avoir du mal à comprendre de quoi il est question. Photo : julien garroy

 

«Le pouvoir des syndicats est très limité au Luxembourg», estime-t-elle. «Du coup, j’ai plus l’impression de voter pour un collègue qui sera protégé du licenciement, que pour un délégué capable de défendre mes intérêts.»

Une brochure qui «peut faire peur»

Ce professeur de mathématiques tout juste retraité remarque, lui, les efforts de communication de la CSL cette année, mais juge que l’accès à l’information reste très compliqué.

«J’ai reçu la brochure à la maison et j’ai pris le temps de tout lire. Cependant, le document est assez épais et ça peut faire peur», signale-t-il, ajoutant que de nombreux frontaliers font certainement l’impasse.

Les syndicats, on ne les connaît pas. Les candidats non plus

Employé durant une dizaine d’années au Grand-Duché, il n’a jamais voté : «Les syndicats, on ne les connaît pas, les candidats non plus.»

«On ne reçoit pas de profession de foi qui détaille le programme de chacun, comme en France, donc c’est dur de savoir quoi faire de son bulletin de vote», tranche-t-il.

«J’ai confondu avec la CNS»

Sa compagne, elle aussi en pension, reconnaît tout simplement que ça ne l’intéresse pas. «Je connais ces élections, mais je n’ai jamais voté», résume cette ex-employée dans la vente qui a travaillé 30 ans au Luxembourg dans le prêt-à-porter.

«On ne sait pas ce que c’est la CSL : j’ai même confondu avec la CNS quand j’ai reçu le courrier», lâche-t-elle, avant d’admettre que cette fois-ci, poussée par ses enfants, tous deux frontaliers, elle a rempli son bulletin.

«J’ai lu les explications, mais ce n’était pas clair. Je ne suis pas sûre d’avoir fait ce qu’il faut».

Pourquoi pas un vote en ligne?

Parmi les témoignages que nous avons recueillis, la demande pour passer au vote électronique est revenue plusieurs fois, les frontaliers estimant que ce serait plus incitatif. Or, techniquement comme juridiquement, c’est impossible : «Il y a bien une discussion sur le vote en ligne, mais on n’a pas encore de système fiable pour déployer une telle plateforme», répond Jean-Claude Reding, vice-président de la CSL.

«D’autant que de nombreux pays étrangers devraient être impliqués, vu le nombre de retraités du Luxembourg qui vivent partout dans le monde. Ce qui complique considérablement les choses», conclut-il.

Confusion entre les deux scrutins

De son côté, ce technicien en produits high-tech âgé de 37 ans, se sent complètement perdu. Au fil de notre échange, nous comprenons qu’il ne fait pas la différence entre les élections des délégués du personnel et celles de la Chambre des salariés.

«Des collègues sont passés dans mon équipe pour dire qu’ils se présentaient, alors quand j’ai reçu l’enveloppe à la maison, avec la mention élections, j’ai cherché leurs noms dans les listes», explique-t-il. «Comme je ne les trouvais pas, j’ai fini par me débarrasser du bulletin».

Pas le temps pour ça

Jeune père d’une famille recomposée, employé à plein temps et usager des transports en commun, son quotidien ressemble à une course contre-la-montre, et il pointe le manque de temps pour s’informer sur le sujet.

D’ailleurs, il précise que, même dans son pays, il ne participe pas à tous les scrutins, pour cette même raison. «La présidentielle, les municipales, oui. Mais je ne vote pas aux législatives par exemple», confesse-t-il.

Et des professions de foi?

Beaucoup de frontaliers français ont aussi déploré que les professions de foi n’existent pas au Grand-Duché : en France, lors d’une élection, chaque électeur reçoit, sous pli officiel, les prospectus électoraux de tous les candidats en lice qui présentent, au même format, leurs arguments pour remporter l’élection.

«C’est typiquement français, on ne connaît pas ça au Luxembourg», indique Jean-Claude Reding. «Ce n’est pas prévu par la loi d’une part, et ça me semble incompatible avec la protection des données personnelles des électeurs d’autre part.»