Pour Stefano Araujo, membre du bureau exécutif de l’OGBL, les conditions de travail se détériorent dans la sidérurgie, un secteur qui reste pourtant porteur au Luxembourg.
À l’occasion des élections sociales, nous nous intéressons à un poids lourd de l’économie luxembourgeoise, la métallurgie. Stefano Araujo, secrétaire central du syndicat Sidérurgie et Mines de l’OGBL, fait le point sur les différents dossiers en cours ainsi que sur les problèmes auxquels le secteur doit faire face.
Comment se porte le secteur de la sidérurgie aujourd’hui au Luxembourg ?
Stefano Araujo : D’une manière globale, on observe un ralentissement de l’industrie en Europe. En revanche, les prévisions font état d’une potentielle reprise pour la deuxième partie de l’année. Donc, finalement, cela sera plutôt calme. Concernant la sidérurgie au Luxembourg, c’est un peu contradictoire.
On est dans une situation où il y a peut-être moins de commandes, mais où les prix et les résultats sont bons. Ceci dit, cela ne veut pas dire non plus que tout est rose. Car on reste confronté à une multitude de crises, qui sont, en revanche, plus courtes que dans le passé.
Qu’en est-il des conditions de travail des salariés ?
Malgré la modernisation qui permet d’alléger les tâches et les promesses en matière de sécurité, on observe de plus en plus de mal-être au travail. Il y a plusieurs raisons à cela. Déjà, au niveau de la sécurité du groupe ArcelorMittal, on sait qu’elle n’est pas optimale au Luxembourg.
Il ne faut pas oublier que les installations datent d’il y a une centaine d’années et qu’elles devraient être rénovées. De plus, la digitalisation a entraîné de nombreuses coupes au niveau du personnel, notamment dans le secteur administratif. À cause de ces suppressions, les salariés, dans tous les domaines, doivent faire face à une surcharge de travail et à une intensité des tâches plus élevée.
Cette surcharge de travail a-t-elle des répercussions sur la santé des travailleurs ?
Depuis quelque temps, nous observons une augmentation importante du nombre d’absences pour maladie. Évidemment, l’intensité des tâches, la surcharge et les conditions de travail y sont pour quelque chose. Le travail dans la sidérurgie ou la métallurgie est un métier difficile. Certains salariés sont exposés à de hautes températures, au-dessus de 40 °C, voire plus.
Au-delà de l’aspect de santé physique, nous sommes également de plus en plus sollicités pour des problèmes de management toxique ou de harcèlement au travail. Évidemment, ce n’est pas quelque chose qui est propre à la sidérurgie, on le voit malheureusement dans de nombreux autres secteurs.
En novembre dernier, vous avez organisé un piquet de protestation pour dénoncer le licenciement de quatre personnes travaillant à ArcelorMittal. Quelle est la situation aujourd’hui ?
À l’heure actuelle, ces quatre personnes sont toujours dans une phase de licenciement. ArcelorMittal ne veut pas changer sa position et maintient sa décision. Notre objectif est évidemment leur réintégration. Mais cette démarche est difficile à réaliser au Luxembourg en raison du code du travail. En effet, pour annuler un licenciement, il faut que les deux parties soient d’accord, et là, ce n’est pas le cas (…). Outre cela, on a dit que c’étaient des licenciements pour maladie de longue durée, mais cela ne l’était pas.
Et à cela s’ajoute l’absence totale de dialogue avec l’entreprise. Ces quatre salariés ont été convoqués une seule fois, simplement pour leur annoncer leur départ forcé. En général, quand on reproche quelque chose à quelqu’un, on l’avertit plusieurs fois avant de prendre une telle décision.
ArcelorMittal a voulu envoyer un message à ses salariés, simplement pour leur faire peur
À l’époque, vous aviez déclaré que cette décision était particulièrement inédite au sein de cette entreprise historique du pays.
Nous avons discuté avec des anciens de la sidérurgie, ils ne comprennent pas comment cela a pu se produire. Même quand l’entité a été reprise, un effort a toujours été fait pour trouver des solutions (…). Pour nous, ArcelorMittal a voulu envoyer un message à ses salariés, simplement pour leur faire peur et les intimider. En disant que oui, il était possible de perdre son emploi pour raison de maladie. Cela a généré une forme de révolte et d’injustice au sein de l’entreprise. C’est pour cette raison que nous avons organisé ce piquet pour eux, mais aussi pour les autres.
L’une des difficultés auxquelles le secteur fait face est la pénurie de main-d’œuvre. Est-elle toujours très importante au Luxembourg ?
Elle reste majeure et on assiste aussi à un turnover inattendu. Historiquement, la sidérurgie était connue pour la stabilité de ses emplois et une vraie fidélité à l’entreprise. Aujourd’hui, on remarque que de plus en plus de personnes décident de partir travailler ailleurs, parce qu’on leur propose de meilleurs salaires ou conditions de travail.
On voit aussi que le métier attire moins les frontaliers. Certains d’entre eux ne veulent plus franchir la frontière, car les différences de rémunération ne sont plus aussi importantes qu’elles l’étaient dans le passé. Surtout, si on met en perspective le coût et le temps de trajet, certains préfèrent choisir une industrie plus proche de chez eux. À cela, on ajoute le temps de travail plus élevé au Luxembourg. Malgré tout, le secteur reste toujours attractif au niveau de sa convention collective et du développement du télétravail, notamment chez ArcelorMittal.
Liberty Steel est un cas assez spécial
Quelle est la situation à Liberty Steel, l’aciériste de Dudelange à l’arrêt depuis presque deux ans ?
C’est un cas assez spécial et incomparable. Nous avons une entreprise qui, depuis la fin des aides covid, ne perçoit aucun chômage partiel, bien qu’elle n’ait plus d’activité. Alors pourquoi ne met-elle pas en place un plan de maintien dans l’emploi ? Parce qu’elle n’en remplit aucune condition. Car, en plus de ne plus avoir de commandes, elle ne possède pas de trésorerie pour financer ses activités. L’entreprise est donc à l’arrêt total depuis presque un an, mais continue de payer ses salariés. Car, sinon, elle se retrouverait en défaut de paiement.
Pour l’instant, et on ne sait pas pour combien de temps encore, les salaires sont toujours payés par les actionnaires. On est vraiment dans une situation de bras de fer entre l’entreprise, le gouvernement et les syndicats, avec les salariés pris au milieu. Aujourd’hui, ce que l’on veut tous, c’est un avenir et une solution pour que l’on arrête de prendre les gens en otages. Mais il faut faire vite, car cette situation ne peut pas tenir éternellement.
Dans quelques semaines auront lieu les élections sociales. Quels sont vos objectifs pour les cinq ans à venir ?
Les conditions de rémunération et de travail restent essentielles, mais notre objectif est aussi d’adapter au mieux le secteur aux attentes des salariés. Aujourd’hui, on voit qu’ils veulent davantage aménager leur temps de travail. La flexibilité ne peut pas uniquement se faire pour les besoins de l’entreprise et dans un seul sens. Les jeunes générations, mais pas seulement, veulent aujourd’hui concilier leur vie privée et leur vie professionnelle. Par exemple, ils souhaitent avoir la possibilité de gérer leurs récupérations ou leurs jours de repos sans que cela soit imposé par la société. C’est aussi de cette façon que l’on garde nos salariés, car on est loin de l’époque où ArcelorMittal était la seule entreprise du pays.