L’artiste plasticien et photographe sud-africain continue ses projets mémoriels, comme en témoigne «Ecce Homo» au MNRDH, qui met face à face la déshumanisation de l’être humain et son nécessaire corollaire : la résistance.
Bruce Clarke est un artiste militant. Peut-être par humanité, devoir ou conscience, mais surtout parce que c’est inscrit dans son ADN. Son histoire familiale et personnelle se situe en effet au carrefour de trois tragédies migratoires du XXe siècle : la destruction des juifs d’Europe, l’apartheid en Afrique du Sud et le génocide au Rwanda.
«Ceci a forcément forgé mon regard sur le monde», expliquait-il lors d’une précédente rencontre à Neimënster, alors qu’il allait de son hommage aux Tutsis, massacrés par milliers («Les Hommes debout», 2019). «Puisque cet indicible a eu lieu, il doit être pensé et représenté», poursuit-il du côté du musée national de la Résistance et des Droits humains (MNRDH) d’Esch-sur-Alzette. Mais pas n’importe comment.
Préférant la subtilité à la brutalité, la puissance de son travail ne se saisit pas au premier regard, contrairement à celui de l’artiste belge Frans Masereel, dernier invité du musée, aux illustrations «coup-de-poing». Avec lui, tout tient au contexte, à l’atmosphère.
D’ailleurs, les panneaux annonçant son exposition «Ecce Homo», visibles depuis Audun-le-Tiche notamment, ne font pas dans la démonstration de force. Juste un visage, certes marqué, accompagné d’un simple mot comme «génocide» ou «apatride».
Des figures fantomatiques, bafouées, réprimées et exilées, symboles d’une violence sourde, que l’on retrouve rapidement au cœur du MNRDH, investi par l’artiste du sol au plafond.
Corps tortueux emprisonnés dans un voile de coton
Bruce Clarke, pour ce travail où il ne présente que de nouvelles créations, a eu carte blanche par Esch 2022. D’où peut-être, à côté de choses plus classiques chez lui (peintures, aquarelles, collages), cette nouvelle marotte qu’il affiche pour la sculpture.
Un choix qui fait sens, surtout à la vue de ses «Survivors in Suspension», corps tortueux emprisonnés dans un voile de coton, symboles de l’entre-deux dans lequel ils se situent : ni morts, ni vivants.
De fragiles chrysalides suspendues entre deux mondes, deux états, comme le confirment ces témoignages poignants : «Je ne suis plus en vie, je respire, c’est tout», dit une rescapée de l’attentat du Bataclan. «Je pense, mais ne suis pas sûre, que nous avons survécu», écrit pour sa part une Ukrainienne, violée par des soldats russes.
Une dualité qui s’observe aussi dans ses aquarelles, toujours avec ces corps tourmentés qui, tordus comme des vers, cherchent un second souffle comme pour quitter la surface de la toile. Ce sera le cas avec Tebby Ramasike et son collectif de danse, partenaires de cette exposition qui, plus tard, dévoileront une performance butō (Wreckage of My Flesh) à la thématique commune à l’artiste : la résistance du corps en désintégration.
Au sous-sol, dans la salle dite des «fantômes», Bruce Clarke aborde la notion d’Holocauste en peinture et par sa pure signification étymologique («totalement consommé par le feu»), d’où ces métaphores visuelles sur l’incendie, lui aussi d’une double portée : d’un côté, la mort, la fuite, la destruction. De l’autre, la renaissance, la régénérescence.
Une peinture murale à Thil, une fresque à Kaunas
Entouré de citations de Primo Levi, Aimé Césaire ou Martin Luther King, cet hommage «aux exilés, réfugiés et déportés», capables, malgré l’horreur, de rester «dignes», se conclut avec deux autres projets, liés au sujet et à la ville d’Esch.
Il y a d’abord cette peinture murale inaugurée le 23 juin dernier à Thil, à l’entrée de la mine de fer de Tiercelet, rappelant alors ce qu’était le site pendant la Seconde Guerre mondiale : un camp de concentration (annexe du Struthof) pour femmes et une usine de missiles – 37 Soviétiques réussiront à s’en évader et créer le groupe de résistance «Rodina».
Ensuite cette autre fresque réalisée à Kaunas – une des capitales culturelles de 2022 – et dévoilée le 23 septembre prochain, jour de commémoration du génocide des juifs lituaniens. Installée au Fort IX, ex-station soviétique vers le goulag et lieu d’exécution, aujourd’hui musée, cette œuvre ramène également Bruce Clarke à ses origines, ses grands-parents étant natifs de cette ville où 40 000 personnes ont été tuées.
Pour «Ecce Homo», il s’y est rendu pour la première fois avec le directeur du musée de la Résistance, Frank Schroeder. Naîtra ce projet, appelé Those Who Stayed. Un nom qui ne cache pas ses intentions : transmettre pour ne pas oublier et éviter que l’Histoire se répète. Un message qui n’est jamais vain.
«Ecce Homo»
Musée national de la Résistance et des Droits humains – Esch-sur-Alzette.
Jusqu’au 30 décembre 2022.