Mercredi après-midi, l’enquêteur a passé au crible l’historique des recherches du policier poursuivi pour avoir empoisonné sa sœur et son beau-frère chez lui à Bereldange en 2016. Ça grouille de substances toxiques.
«Tout un chacun peut faire ces recherches sur internet, mais dans ce dossier c’est la vue d’ensemble qui fait la différence.» Ce sont des pages et des pages que l’enquêteur de l’Inspection générale de la police (IGP) a décortiquées, mercredi après-midi, au deuxième jour du procès du policier poursuivi pour avoir empoisonné sa sœur et son beau-frère chez lui dans son appartement à Bereldange, le 25 septembre 2016.
Jusque quelques jours avant les faits, le prévenu Gilles L. (30 ans) en avait épluché des pages internet à la recherche de plantes et d’autres substances toxiques. Quatre-vingt-cinq de ses recherches ont eu leur importance durant l’enquête. Elles montrent que ce n’est pas par hasard que le poison est arrivé entre ses quatre murs avec les suites qu’on connaît…
Des graines de ricine…
Cela débute à l’été 2014 avec les graines de ricine, pour lesquelles il y a même eu diverses commandes. À partir du 15 juin 2016, l’intérêt du jeune homme pour les produits toxiques s’accélère significativement. Dans l’historique de ses recherches il est alors question d’«intoxication alimentaire», de «mort par empoisonnement», d’«empoisonnement avec cyanure» ou encore de la question «quel poison assure une mort subite et sans douleur?»
«On en a appris des choses dont on n’avait jamais entendu parler. Comme par exemple que l’Amanite phalloïde (NDLR : un champignon) n’est pas comestible», concède l’enquêteur. «C’est en effet une belle documentation sur toutes sortes de poisons», interviendra la présidente de la 13e chambre criminelle. Et quand on connaît la suite des événements, on sait que ce n’était pas pour «donner un peu de goût à un plat». «C’était bien pour empoisonner quelqu’un», poursuit l’enquêteur.
… au poisson-ballon
Le fil rouge des recherches internet de Gilles L. ne variera guère les jours suivants. Dans un rythme effréné, il passe des soirées d’été devant son ordinateur. Citons notamment la recherche de la méthode du «meurtre parfait». Il montrera aussi un certain intérêt pour le «poisson-ballon» qui contient une toxine qui s’avère fatale, même à faible dose…
Le 17 juin, Gilles L. franchit une nouvelle étape. Ce n’est pas seulement le jour où il tape sur son clavier le mot clé «contract killer in Europa» laissant supposer qu’il s’intéresse au «meurtre commandité». Mais, c’est également la date où il s’inscrit sur le forum «Hidden Answers» sur le darknet. Comme mot de passe il avait choisi «geldgäil». L’unique question qu’il y posera : «I’m looking for a poison that is not easily detectable during an autopsy. Where can I order such a poison?»
Il recevra l’une ou l’autre réponse et recommandation. Et ses recherches sur internet repartiront de plus belle : «Botulinumtoxin non diluée». Sur la page qu’il consultera à ce sujet, on peut lire notamment que «c’est de loin le poison le plus mortel». Avec ces connaissances, difficile donc pour l’enquêteur de suivre sa déclaration devant le juge d’instruction où il dira avoir voulu provoquer avec la substance un état d’euphorie auprès de ses invités.
L’enquêteur l’avait déjà esquissé la veille à l’ouverture du procès. C’est sur le darknet que le policier, qui dort aujourd’hui à Schrassig, a finalement passé sa commande. Dans le courant du mois d’août, son activité s’y est intensifiée.
… jusqu’à la commande sur le darknet
Le 10 août, il s’inscrit ainsi sur la plateforme commerciale Alphabay Market où l’on pouvait acheter «exclusivement des produits et substances illégaux», à entendre l’enquêteur. En tout Gilles L. y achètera trois objets après avoir fait le plein de bitcoins. Il fera même les démarches pour accélérer ces transactions en demandant de raccourcir le délai de deux semaines afin de pouvoir utiliser sa cryptomonnaie. Ce qui fait qu’en date du 19 août, il paie le produit intitulé «Botulinumtoxin Strong Poison» et le 16 septembre «Fentanyl». Pour obtenir toutes ces informations, les enquêteurs luxembourgeois ont notamment pu s’appuyer sur diverses CRI et le FBI. Le fait que la plateforme disparaisse en 2017 du darknet a permis à ce dernier de saisir les serveurs avec les données des vendeurs et acheteurs. Ce qui permettra de voir que Gilles L. avait bien acheté sa marchandise auprès d’un certain Pistany. «Son nom était avec trois ou quatre Y. Probablement il a changé de nom», avait-il indiqué au juge d’instruction.
La mort soudaine du couple supposé partager le déjeuner avec Gilles L. était intervenu quelques jours à peine après le dernier achat. «Il y a un fil rouge entre tous ces faits», conclut l’enquêteur. Le 20 septembre, le prévenu avait aussi écrit un SMS à sa sœur dans lequel il insistait pour qu’elle vienne le voir avec son compagnon à Bereldange ce dimanche 25 septembre. Et il avait précisé qu’il ferait la cuisine.
Ce n’était visiblement pas l’unique échange de message entre le policier et sa sœur après ses achats sur le darknet…. Lors de la suite du procès ce jeudi après-midi, l’enquêteur fera parler le portable du prévenu.
Fabienne Armborst
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