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Djuna Bernard : «C’est au niveau local que l’on peut apporter des réponses capitales»


(Photo : Hervé Montaigu)

La coprésidente du parti déi gréng, Djuna Bernard, a été victime d’une double discrimination en tant que jeune et en tant que femme. La vice-présidente de la Chambre a su s’imposer et défend les listes écolos pour les communales.

Déi Gréng doivent leur popularité à la politique de proximité qui a su conduire le parti du local au national. Ces élections, ce sont beaucoup les vôtres?

Djuna Bernard : Il existe ce slogan « Think global, act local«  qui définit la politique climatique et cela correspond tout à fait à la dynamique de ces deux élections, communales et nationales, car elles ne sont pas dissociables. Les actions locales doivent être mises en évidence comme des exemples concrets d’une politique verte, donc en faveur du climat, de la biodiversité, de la mobilité. On peut faire vivre la politique verte au niveau local en touchant les gens jusque dans leur quartier.

Avez-vous dressé un catalogue des bonnes pratiques glanées auprès de vos élus locaux?

Oui, tout à fait. Le processus de notre programme électoral cadre, que l’on propose aux différentes sections locales, résulte du travail réalisé dans nos différents workshops avec nos élus locaux, qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition communale. Toutes les actions vertes qui fonctionnent bien ont été recensées, comme celles qui suscitent des critiques.

Aujourd’hui, les considérations environnementales ne sont plus l’apanage du seul parti écolo, mais sont ancrées dans tous les programmes électoraux. Comment faire la différence?

D’abord, pour mener à bien une politique climatique, qui fonctionne avec des résultats concrets, il nous faut des alliés. Des partis qui nous soutiennent pour lutter contre cette crise climatique qui est enfin prise au sérieux. Ce n’était pas le cas il y a encore 30 ans. Nous ne pouvons plus être isolés sur ce sujet et il est important pour nous de savoir comment les autres partis se positionnent pour envisager ou non des coalitions. Sans alliés face à ce grand défi, aucune politique climatique n’est possible. Autre point : il faut se méfier des emballages, des politiques qui se collent un label écolo, mais qui, malheureusement, n’agissent pas pour sa cause. Le parti le plus crédible dans ce domaine reste déi gréng, surtout dans la transversalité. La politique environnementale, ce n’est pas planter un arbre par an dans la commune, c’est un tout.

Comme ce qu’a réussi à faire le regretté Camille Gira à Beckerich? Pourtant, la localité reste un exemple unique, une sorte d’ovni dans le paysage politique luxembourgeois, pourquoi à votre avis?

Cette dynamique de Beckerich était fortement liée à la personnalité de Camille Gira qui a su fédérer les habitants et personne n’a jamais pu reproduire son œuvre. Évidemment, cela reste un excellent exemple, surtout pour les communes rurales. Beckerich reste un modèle de projet commun auquel la population a adhéré avant d’y participer. Moi qui suis jeune politicienne de 30 ans, c’est exactement ma vision de la politique : convaincre, fédérer et agir ensemble.

Un de mes rôles, même si ça me demande beaucoup d’énergie, c’est de briser le plafond de verre

L’implantation d’éoliennes déclenche parfois de vives oppositions dans la population qui n’en veut pas dans sa campagne. Le sujet divise-t-il aussi au sein de votre parti? 

C’est problématique, c’est vrai, et le sujet est pris très au sérieux dans nos rangs, car, souvent, deux aspects écologiques s’affrontent. La protection de la biodiversité d’un côté, et la transition énergétique de l’autre. Le Luxembourg a des ambitions en termes d’énergies renouvelables, et des sites ont été définis pour leur haut potentiel, tout en veillant à la sauvegarde de la faune et de la flore. En ce qui concerne leur présence trop visible dans le paysage, il faudrait peut-être songer à notre consommation quotidienne d’énergie, on veut tous nos smartphones et nos ordinateurs, mais ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement de paradigme. Je vois ma propre génération qui a moins de soucis avec cet aspect esthétique, je dirais. Encore une fois, il faut discuter, associer les gens et ne pas prendre de décision du haut vers le bas en imposant des éoliennes. Tout s’argumente.

Le vivre-ensemble, autre sujet cher aux verts, ça marche ou ça ne marche pas, finalement? Que faut-il penser des 20 % d’étrangers inscrits sur les listes électorales?

Je viens de Mamer, une commune très internationale qui compte 52 % d’étrangers. Nous sommes plutôt chanceux avec 25 % d’inscriptions sur les listes d’électeurs. Sur notre liste, nous avons cinq non-Luxembourgeois et c’était très important pour nous, parce que si on veut inclure les étrangers dans la politique, il faut les faire participer, respecter les différents points de vue des communautés, dont beaucoup vivent encloisonnées. À Mamer, nous avons beaucoup de fonctionnaires européens que l’on voit se promener dans le parc, leurs enfants jouent au foot, mais fréquentent une autre école. Le vivre-ensemble doit passer par les associations sportives, le scoutisme, que je défends toujours ardemment, et je pense qu’à travers les enfants, nous pourrons atteindre les parents. Il ne faut pas se contenter d’une campagne de sensibilisation tous les six ans pour s’inscrire sur les listes, mais l’effort doit être constant, raison pour laquelle nous les incluons dans l’élaboration de nos programmes électoraux, pour qu’ils puissent avoir la parole.

Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut reverdir les villes et les villages, déi gréng en premier lieu, mais il faut aussi construire des logements, sans extension des périmètres constructibles, dites-vous. Comment résoudre l’équation?

Ce sont deux défis distincts. On peut reverdir les places publiques existantes qui sont en tout minéral, par exemple. Le changement de paradigme vise surtout à animer les centres urbains ou villageois avec des espaces partagés où les piétons croisent les vélos, avec des arbres, des plantes, des points de rencontres. On parlait du vivre-ensemble et ce serait idéal de développer ces espaces avec des petites terrasses où les gens peuvent prendre le temps de discuter autour d’un verre. Le logement, l’autre défi, ne nécessite pas que l’on augmente la surface constructible dans le pays. Nous avons des réserves pour 300 000 habitants, pas la peine d’aller chercher d’autres terrains dans les zones vertes.

Les nouvelles formes de logement peuvent-elles sensiblement améliorer la situation actuellement catastrophique du marché de l’immobilier devenu inaccessible pour une grande partie de la jeune génération?

Dans ma commune, je vois des tas d’habitations vides parce que la grand-mère n’y habite plus depuis dix ans, et en tant que jeune, cela me concerne fortement. C’est très frustrant quand on sait la difficulté pour ma génération d’accéder à la propriété, mais aussi de louer. L’époque où tout le monde voulait disposer de sa villa libre des quatre côtés avec un grand jardin et un grand garage est révolue. Je veux bien que l’on veuille garder un terrain pour les enfants plus tard, mais alors installons des tiny houses en attendant, pendant dix ans pourquoi pas. On peut utiliser des conteneurs, développer la colocation, bref être inventif. En tant que jeune, j’aimerais bien que les communes proposent des immeubles en colocation et pourquoi pas en intergénérationnel. C’est là qu’une commune doit prendre ses responsabilités, envers ses jeunes, ses seniors, ses réfugiés, ses nouveaux arrivants qui ont besoin d’aide avant de trouver un logement à eux. C’est le genre d’initiative que je prendrais si j’étais bourgmestre.

Quels sont vos objectifs pour ces élections communales? Combien de listes présentez-vous à travers le pays?

Nous avons 36 listes, plus quelques listes citoyennes soutenues par déi gréng, nous avons en tout 491 candidats, deux listes de plus par rapport à 2017. Si on veut des villes et des villages plus verts, je ne peux qu’encourager les électeurs à voter pour nous. Il nous faut des bourgmestres écolos et démontrer que notre politique fonctionne bien, comme on le voit à Differdange. Nous avons beaucoup de potentiel à Luxembourg et à Esch-sur-Alzette aussi, et même à Mamer où je suis candidate. Nous avons des grands défis à relever et c’est au niveau local que l’on peut apporter des réponses capitales. Nos propositions vont dans cette direction et certains défis peuvent effrayer. Je m’engage parce que je ne veux pas être défaitiste. Nos solutions ne sont pas toujours confortables, comme moins utiliser sa voiture ou moins manger de viande, mais on essaie d’expliquer aux gens le nécessaire changement de conscience qui s’impose. Pour moi, l’engagement vert était le plus logique.

Comment avez-vous parcouru votre chemin en politique à votre jeune âge et en tant que femme? Difficile de s’imposer?

Au sein de mon parti, non, au contraire. Mais sinon, oui, ça n’a pas été simple tous les jours. J’ai vécu cette double discrimination, jeune et femme. Au Parlement, j’ai essuyé des remarques déplacées, du genre « tu pourrais être ma petite-fille« , ce qui est encore gentil, mais je répondais que je n’étais pas leur « petite-fille« , mais une collègue de travail. Mais j’ai bien une anecdote qui me choque encore et que j’ai vraiment eu du mal à digérer. Le président de la Chambre des députés m’a présentée un jour de visite officielle à un de ses homologues en disant : « Voilà notre plante verte, Djuna« . Il l’a répété deux fois. Au début, tout le monde rigole, mais c’est quand même dans le cadre d’une visite officielle. On a eu une discussion à ce sujet ensuite, et j’ai dit que c’était déjà assez difficile comme ça en tant que jeune de connaître tous les dossiers, d’être prise au sérieux. Il faut batailler pour pouvoir s’exprimer dans ce milieu. Un de mes rôles, même si ça me demande beaucoup d’énergie, c’est de briser le plafond de verre. Il faut rendre le parcours plus facile pour les jeunes générations, pour que Jessie Thill ne soit pas à son tour présentée comme une plante verte. Il y a encore beaucoup de travail dans ce domaine et c’est pour cela que je me revendique féministe. Je me bats pour avoir plus de jeunes et plus de femmes en politique. Au sein de déi gréng ça fonctionne!

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