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Dix ans avec les vignerons


Le vignoble luxembourgeois peut voir les dix prochaines années avec confiance, les vignerons progressent et le climat est un allié. (Photo : erwan nonet)

La série «Vignes et vignerons» souffle ses dix bougies ce mois-ci. Une décennie de belles rencontres qui ont permis vivre au plus près la belle évolution d’un secteur dynamique.

Dix ans, voilà une marque qui entraîne le regard aussi bien dans le rétroviseur que vers l’horizon. Nous retracerons cette période au cours d’une petite série d’articles. Ce premier volet sera une introduction aux interventions de plusieurs producteurs qui auront lieu les week-ends suivants.

LES DIX DERNIÈRES ANNÉES

Une viticulture plus propre
La recherche de la plus grande qualité est aujourd’hui la motivation majeure de l’écrasante majorité des domaines. La progression des vins est à mettre au crédit des vignerons, qui ont mis en place des pratiques qui vont dans le bon sens. Ainsi, depuis les vendanges 2017, aucun insecticide n’est projeté dans les vignes. À la place, la profession a choisi le système de la confusion sexuelle très efficace et qui ne laisse aucun résidu sur les raisins. Le Grand-Duché est le premier pays à l’avoir institutionnalisé.

Depuis le 1er janvier 2021, il est interdit de répandre du glyphosate au Luxembourg. Dans les vignes, cette réforme est passée comme une lettre à la poste puisque beaucoup de vignerons s’en passaient depuis longtemps. Aujourd’hui, le désherbage est mécanique, il a d’ailleurs demandé de lourds investissements soutenus par des subventions étatiques.
De nouvelles machines sont apparues dans les vignes, comme ces chenillards qui permettent de travailler dans les fortes pentes, même lorsque le terrain est boueux. D’autres appareils se trouvent au-dessus des ceps, plusieurs domaines testent désormais la pulvérisation par drones.
Des avancées techniques nécessaires, car la superficie de traitement autorisée par hélicoptère ne cesse de se réduire. En 2015, par exemple, les vignerons d’Ehnen ont décidé qu’il ne volerait plus au-dessus des vignes qui entourent leur village.

De nouvelles appellations

En dix ans, le volet réglementaire a beaucoup évolué. L’Appellation d’origine protégée (AOP) Moselle luxembourgeoise a été lancée en 2014. Elle a redéfini le classement qualitatif des vins en imposant un cahier des charges précis. Si les intentions sont louables, sans doute la démarche aurait-elle pu aller encore plus loin. Il est parfois difficile de s’y retrouver entre les «coteaux de…», les «cotes de…», les lieux-dits ou les anciens «premier cru» et «grand premier cru» qui n’ont pas
disparu.

Plus claire, la création de l’appellation «Crémant millésimé» est également une avancée positive. Depuis 2016, les domaines peuvent étiqueter spécialement leurs crémants ayant passé au moins 18 mois sur lies. Aujourd’hui, il ne serait d’ailleurs pas idiot de songer à rallonger cette période.

Changement de génération

Un passage de témoin est toujours un moment important dans la vie d’une entreprise. Chez les vignerons indépendants, il n’y a généralement aucun problème. Au contraire. Quelques-uns en ont même profité pour passer au bio (Schmit-Fohl, Jeff Konsbruck…), ce qui permet enfin de constater une nette croissance des surfaces traitées sans chimie de synthèse.
Fait intéressant, les deux plus grands acteurs de la Moselle viticole ont laissé la place aux jeunes lors de la dernière décennie. Antoine Clasen a pris la succession de son père Hubert à la tête de Bernard-Massard en 2016 et Josy Gloden s’est installé à la présidence des domaines Vinsmoselle l’année suivante, prenant le fauteuil d’Henri Streng.

Autre phénomène très important, la Moselle s’est très sérieusement féminisée. Auparavant privé de vigneronnes, le métier a vu arriver des jeunes femmes motivées et compétentes. Corinne Kox (Laurent & Rita Kox), Lisa Vesque (Cep d’or), Michèle Mannes (Häremillen), Marie Kox (Sunnen-Hoffmann), Carole Bentz (Claude Bentz), Anne Maddalon (Duhr-Maddalon), Laurence Duhr (Château Pauqué)… Il s’agit de la première vraie génération de vigneronnes luxembourgeoises. Jusque-là, les femmes étaient souvent la clé de voûte des domaines, mais dans les bureaux, à l’ombre de leurs frères ou de leurs maris. Désormais, ce sont elles qui sont aux commandes des domaines. Il était temps!

Une sacrée résilience

Globalement, le secteur viticole n’est pas celui qui a le plus souffert de la pandémie de coronavirus. Bien que les ventes dans la restauration se soient écroulées, ceux qui avaient la chance de compter sur une clientèle privée fidèle ou un référencement de leurs vins dans les grandes surfaces n’ont généralement pas eu à s’en plaindre. Certes, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne mais la vitalité du marché luxembourgeois a été extrêmement précieuse.

Le métier a vu arriver des jeunes femmes motivées et compétentes

LES DIX PROCHAINES ANNÉES

Toujours plus bio

Il y aura de plus en plus de vignes bios au Luxembourg, c’est une certitude. Même si l’interdiction du glyphosate devait être abolie (un recours du tribunal administratif est à l’étude), les vignerons n’auraient aucun intérêt à y revenir.

Les vignes de plusieurs domaines sont actuellement en conversion, trois ans sont nécessaires. Si tout va bien, celles du Clos des Rochers (le domaine familial de la famille Clasen, qui dirige Bernard-Massard) devraient être prochainement certifiées. Antoine Clasen, qui vise l’excellence avec ces étiquettes, est convaincu par cette voie.

Le vin rouge superstar

Le dérèglement climatique entraîne un réchauffement des températures et si c’est une très mauvaise nouvelle pour la planète, c’en est une plutôt bonne pour les vignerons d’ici. Désormais, les maturités des cépages traditionnels sont atteintes sans problème et cela donne des idées aux vignerons qui plantent de plus en plus de cépages sudistes. Alice-Hartmann, par exemple, vient de sortir son premier sauvignon, comme à Sancerre.

Cette hausse du mercure permet aussi l’arrivée de vins rouges bien construits, loin d’être maigrelets. Des pinots noirs, plantés déjà depuis longtemps, mais aussi de plus en plus de merlots (comme à Bordeaux) et même du pinotage, sud-africain. Les rouges luxembourgeois ont un avenir radieux devant eux!

Un export qui se développe

Le Luxembourg exporte beaucoup, mais pas les bons vins. En effet, ce sont surtout les vins d’entrée de gamme qui passent les frontières vers la Belgique (mais de moins en moins). Une grande réflexion est à mener, il faut vite trouver des solutions car ces vins-là n’apportent ni argent, ni bonne réputation.

Par contre, plusieurs maisons ont trouvé des filons bien plus intéressants. Bernard-Massard a gagné le cœur des Canadiens et le domaine Desom celui des Estoniens. Le domaine Kox a également réussi à s’implanter au Canada et aux États-Unis, notamment à New York. Ces précurseurs seront certainement suivis par d’autres.

Se faire connaître, enfin…

Peu de pays peuvent se prévaloir d’une viticulture aussi ancienne que le Luxembourg. Les premières vignes ont été plantées lors de la romanisation, autour des IIIe et IVe siècle après J.-C. Et pourtant, à l’étranger, quasiment personne ne connaît les vins luxembourgeois et, compte tenu de leur qualité, c’est une injustice faite aux vignerons.

Deux causes principales peuvent expliquer ce constat. D’une part, le marché intérieur était tellement fort au XXe siècle qu’il absorbait toute la production. Si l’on parvient à vendre tous ses vins sans communiquer, pourquoi le ferait-on? Mais depuis 2013, les ventes de vins blancs étrangers ont dépassé les ventes de vins blancs luxembourgeois. Même si cela peut s’expliquer (baisse des rendements pour améliorer la qualité, accroissement démographique sans agrandissement de la surface plantée…), cette inversion de tendance a marqué la profession.

Il y aura de plus en plus de vignes bios

Le second facteur découle du premier, les vignerons et l’État ne sont toujours pas parvenus à mettre en place une structure et des stratégies claires pour développer leur image de marque. La commission de promotions des Vins et Crémants a bien commandé un audit à Ernst & Young en 2017, mais les solutions proposées n’étaient pas transcendantes.

Au cours de ces dix prochaines années, il sera indispensable de mettre davantage de moyens humains et financiers pour développer la renommée des vins mosellans. Alors que les ventes mondiales de vins blancs sont en hausse et que beaucoup d’amateurs aiment dénicher les pépites méconnues, il a une vraie carte à jouer. Encore faut-il s’en donner les moyens.