Diane Adehm est la rapporteure du budget de l’État pour 2024. Ce premier exercice comptable de la majorité CSV-DP mise sur des investissements élevés, sans toutefois creuser davantage le déficit et la dette publique. Un équilibre indispensable, insiste la députée.
Le projet de budget déposé mercredi par le ministre des Finances, Gilles Roth (CSV), repose sur quatre chiffres bruts. Les dépenses, d’un montant de 29,4 milliards d’euros, ne sont pas entièrement contrebalancées par les recettes, qui s’élèvent à 27,5 milliards d’euros. Il en résulte une dette publique qui augmente à 22,2 milliards d’euros, soit 26,5 % du PIB.
Dans une première analyse, Diane Adehm, la rapporteure de ce budget 2024, ne voit pas de faiblesses majeures dans ce projet. L’élue du CSV avance toutefois aussi ses propres pistes pour assurer le «nouvel élan» promis par le gouvernement Frieden-Bettel. Et elle lance une mise en garde.
Le projet de budget de l’État pour 2024 a pour titre « Un nouvel élan pour notre pays ». Faut-il en déduire que le Luxembourg se trouvait dans un état d’immobilisme sous l’ancien gouvernement ?
Diane Adehm : On ne peut pas dire que l’ancien gouvernement (NDLR : formé par le DP, le LSAP et déi gréng) n’a rien fait pendant la décennie où il était au pouvoir. Mais il faut quand même constater que, sur la fin, les trois partis n’ont plus été en mesure de trouver des compromis. Partant de ce constat, le titre donné au premier projet de budget de la nouvelle majorité est bien choisi. Un nouveau gouvernement entame son mandat avec un nouveau programme. De nouveaux accents sont posés par rapport à ce qu’a pu faire l’ancienne majorité.
Le ministre des Finances, Gilles Roth, évoque un budget de transition, mais qui poserait justement aussi les premiers accents de la « nouvelle politique » que compte mener le CSV et le DP. Votre première analyse sommaire du projet va-t-elle dans le même sens ?
Nous avons clamé tout au long de la campagne électorale en 2023 que les citoyens doivent être financièrement soulagés. Lorsqu’on parle aux gens, on remarque très vite qu’ils se trouvent dos au mur, y compris une frange de plus en plus importante de la classe moyenne. Il suffit de regarder les prix exorbitants du logement. Vous devez être deux à travailler pour vous permettre de vivre dans un appartement de 80 m2 à peine. Pour toutes ces raisons, ce nouveau gouvernement a immédiatement procédé à une adaptation du barème de l’imposition à l’inflation (NDLR : l’équivalent de quatre tranches indiciaires). Ce fut une de nos promesses électorales majeures. La deuxième grande priorité est de s’attaquer à la crise du logement. Un premier plan d’action a déjà été mis sur la table.
Le ministre a beaucoup insisté lors de son discours sur le volet social. Or quatre des cinq partis de l’opposition redoutent que le social soit sacrifié pour servir les mieux lotis. Pouvez-vous comprendre cette crainte ?
Je ne suis absolument pas de cet avis. L’adaptation du barème à l’inflation profite à tout le monde. On pourrait affirmer maintenant que les mieux lotis profitent aussi de cette compensation. Mais même la Chambre des salariés a souligné, dans son avis sur le budget provisoire de 2024 (NDLR : couvrant la période de janvier à avril), que les plus petits revenus profitent, en termes de pourcentage, bien plus de cette adaptation du barème que les grands salaires. Et puis, si l’on parvient à rendre le logement plus abordable, cela soulagera également ceux qui sont le plus dans le besoin.
Le LSAP, notamment, vous reproche le fait que ni le programme de gouvernement ni le projet de budget ne comprennent des mesures suffisantes pour lutter contre la pauvreté, et plus particulièrement celle qui guette les enfants.
J’ai en effet été confrontée à ce reproche. Mais si l’on parvient à enlever de la pression pour se loger, cela va aussi profiter en fin de compte aux enfants. Il ne s’agit pas d’une mesure spécifique pour lutter contre la pauvreté des enfants, mais le plan d’action lancé dans le domaine du logement peut y contribuer.
Le ministre des Finances insiste aussi sur le fait que 47 % de l’ensemble des dépenses du budget 2024 est consacré à des transferts sociaux. Il s’avère toutefois que ces moyens importants, engagés depuis longtemps, n’ont pas permis de réduire le risque de pauvreté, qui menace toujours 20 % de la population. Comment comptez-vous inverser cette tendance ?
Gilles Roth a clairement souligné qu’il n’allait pas remettre en question le volume des transferts sociaux. Désormais, il nous faut évaluer quelles mesures supplémentaires peuvent être prises pour vraiment venir en aide à ceux qui sont le plus dans le besoin. Les statistiques démontrent que ce sont en premier lieu les monoparentaux qui risquent de tomber dans la pauvreté. Il s’agit souvent de mères seules, mais on a tendance à oublier les pères, qui n’ont pas la garde, mais qui doivent bien verser une pension alimentaire. La classe d’impôt 1A est une bonne base pour aider ceux qui ont, sur le papier, l’enfant à charge, mais il faut aussi être conscient que la nouvelle législation sur le divorce, avec une garde alternée, met à contribution les deux parents. Une des pistes est d’aider de manière plus ciblée les enfants et de poser leur intérêt au centre de l’attention.
Comptez-vous intégrer ce genre de propositions dans votre rapport sur le projet de budget, qui, en principe, porte la touche personnelle du député amené à assumer cette tâche ?
Lors de ma nomination comme rapporteure, j’ai décidé de me focaliser sur la Place financière. L’intention est de mettre en avant quels sont les rouages du secteur financier et quel est son réel apport aux recettes de l’État. Il faut savoir que je ne dispose que de six semaines pour ficeler mon rapport, contre plus de deux mois pour le rapporteur d’un budget ordinaire. À un moment, j’ai aussi songé à décortiquer de plus près les transferts sociaux, mais au vu des circonstances, il m’a fallu poser un choix, notamment pour organiser au mieux les entrevues en dehors de celles, en commission parlementaire, avec les administrations publiques.
Quel sera l’angle que vous comptez mettre en avant dans votre rapport ?
Je compte me consacrer au phénomène du surendettement. Beaucoup plus de gens que l’on n’a tendance à le penser se trouvent dans une telle situation. Ce sont souvent ceux qui contractent des prêts auprès de prestataires belges, à des taux parfois très élevés, alors que les banques luxembourgeoises refusent tout crédit supplémentaire aux clients concernés. Je compte rencontrer les associations s’engageant pour les gens surendettés, mais aussi évaluer avec les banques combien de leurs clients sont surendettés. Même si je pars sur la Place financière, mon rapport comprendra donc bien aussi un chapitre social. Cela m’importe beaucoup.
Au-delà du facteur temps, le fait que ce premier budget du nouveau gouvernement se limite à huit mois rend-il encore plus particulier votre travail de rapporteure ?
La situation est en effet un peu particulière. Le budget 2024 repose encore en grande partie sur les choix posés par le gouvernement sortant. On retrouve donc beaucoup de continuité dans ce projet, car il nous est impossible de faire table rase du passé. Cela n’est d’ailleurs nullement dans nos intentions. Ce qui est bien fait doit être maintenu. D’autres mesures, moins heureuses, doivent pouvoir être remises en question. Les véritables accents que cette nouvelle majorité veut poser vont plutôt se retrouver dans le budget de 2025.
En attendant, le budget 2024 prévoit un déficit qui se limiterait à 1,9 milliard d’euros, contre les 3,2 milliards d’euros projetés, à politique inchangée, par le Statec. L’optimisation de certaines dépenses est-elle la bonne voie à suivre ?
À ce stade, je n’ai pas l’impression que de l’argent soit épargné dans de mauvais domaines. Le volume des investissements reste élevé. On ne touche pas aux transferts sociaux. Les recettes sont en nette hausse et vont continuer à évoluer dans ce sens, grâce aussi à l’augmentation et l’extension des accises sur les produits du tabac. Si le prix d’un paquet de cigarettes augmente de 50 centimes d’euro, cela constitue, au vu des ventes annuelles de tabac au Luxembourg, une belle manne financière pour l’État. Et cela réjouit non seulement le ministre des Finances, mais aussi la ministre de la Santé, car cette augmentation de prix aura aussi un effet sur la santé publique.
Le moment donné, il faudra peut-être prioriser les investissements
Le ministre Roth n’a pas été peu fier d’annoncer que les courbes traçant les dépenses et les recettes se rapprochent à nouveau, avec à la clé une meilleure maîtrise de la dette publique, qui devrait rester tout au long de cette législature en dessous du seuil des 30 % du PIB. Cette trajectoire révisée fait-elle aussi partie du nouvel élan annoncé ?
C’est un début, d’autant plus que nous espérons pouvoir à un moment sortir du mode de crise, notamment pour commencer à réduire le niveau de la dette. On ne peut pas éternellement accumuler des dettes. On ne parviendrait plus à sortir de ce cercle vicieux. Le problème est que si l’on multiplie aujourd’hui la dette, on hypothèque l’avenir des prochaines générations. Il nous faut éviter un scénario à la grecque.
Au vu de l’important besoin d’investissements, ne faudra-t-il pas, à un moment, procéder à des coupes budgétaires ?
Cela dépendra toujours de l’évolution de la situation économique et financière. Le moment donné, il faudra peut-être prioriser les investissements.
Prioriser veut-il dire épargner, voire entrer en austérité ?
Il faut vraiment voir ce que sera la marge existante. Épargner est un terme rapidement balancé. Le terme austérité est horrible. En fin de compte, l’on peut comparer l’État à un simple ménage, qui dispose lui aussi d’un budget mensuel. Il faut réussir à vivre avec l’argent que vous avez à votre disposition. Pour effectuer de plus grands investissements, il faut soit réussir à mettre de l’argent de côté, en dépensant de manière plus efficace son argent, soit contracter un prêt et le rembourser.
Les allègements fiscaux supplémentaires pour les citoyens, mis en perspective pour 2025, pourraient-ils tomber à l’eau ?
Le ministre a bien affirmé devant la Chambre que l’adaptation du barème aux trois tranches indiciaires non compensées (NDLR : quatre tranches, si un index tombe, comme prévu, cette année) deviendra réalité si la situation financière le permet. Par contre, il est acquis que des soulagements vont arriver pour les monoparentaux (NDLR : classe d’impôt 1A), tout comme la baisse d’un point de pour cent de l’imposition des entreprises.
Dans un contexte global rempli d’incertitudes, liées notamment à la situation géopolitique très tendue, n’est-il pas un brin naïf pour le gouvernement de miser seulement sur un plan A ? Autrement formulé, est-il dans son intention de mettre de côté la fameuse pomme pour la soif prisée par le CSV ?
Je pense que le ministre des Finances pense bien à cette pomme, vu qu’il l’a réclamée sans cesse en tant que député de l’opposition (elle rit). Pour le reste, le gouvernement se donne un programme qu’il tente de mettre en œuvre. Si des facteurs extérieurs, tels que le covid ou la guerre d’agression russe, vous freinent, il faut évaluer comment réagir. D’où l’importance de cette pomme pour la soif. Et, dans ce même ordre d’idées, il est essentiel de réduire progressivement la dette publique, afin de pouvoir bénéficier, en cas de besoin, d’une marge supplémentaire.
Repères
État civil. Diane Adehm est née le 13 septembre 1970 à Ettelbruck (53 ans). Elle est mariée et maman d’un fils.
Formation. Elle est titulaire d’une licence et d’une maîtrise en sciences économiques et sociales, obtenues à l’université Notre-Dame de la Paix à Namur. Après deux premières étapes dans le secteur privé, Diane Adehm travaille de 1998 à 2006 comme auditrice à l’Entreprise des P&T. Depuis 2011, elle est membre de la Cour des comptes luxembourgeoise.
Hesperange. Entrée au parti en 2003, Diane Adehm entre, en novembre 2005, au conseil communal de Hesperange. Depuis 2011, elle occupe un poste d’échevine, d’abord dans une coalition CSV-DP, puis dans une majorité absolue (2017-2023). À l’été dernier, le CSV a renoué son alliance avec le DP.
Chambre. C’est en succédant à Jean-Louis Schiltz que Diane Adehm fait son entrée, en mars 2011, à la Chambre. Depuis lors, elle n’a plus quitté son siège de députée.
Présidente. Réélue en 2013, Diane Adehm est renvoyée avec son CSV sur les bancs de l’opposition. Elle exercera pendant 10 ans la présidence de l’importante commission de l’exécution budgétaire. Depuis novembre dernier, Diane Adehm assume la présidence de la commission des Finances.
tout à fait d’accord!…
Parler d’un « scénario grec » me paraît quand-même démesurément exagéré, d’autant plus que le problème des pays de l’Europe du sud étaient doubles: Des dettes à plus de 130% du PIB et des investissements faibles en infrastructures (à voir en long et en large chez nos 3 voisins): Pour cela, il faudrait une croissance carément nulle et un niveau de déficit identique à 2024 sur plus de 30 ans, ce qui, aux vues de notre croissance de population et des progrès technologiques est irréaliste!