Le film de Cyrus Neshvad, dont le sujet fait écho aux manifestations en cours depuis septembre 2022 en Iran, a été retenu pour l’Oscar du meilleur court métrage. Pour recréer le même exploit qu’en 2014?
Au Luxembourg, le 2 mars 2014 était un jour à marquer d’une pierre blanche : dans l’enceinte du légendaire Dolby Theatre de Los Angeles, sur le Hollywood Boulevard, Kim Novak et Matthew McConaughey – sacré meilleur acteur plus tard dans la soirée – remettaient la statuette du meilleur court métrage d’animation à cette petite merveille de coproduction nationale intitulée Mr Hublot, de Laurent Witz et Alexandre Espigares (Zeilt Productions).
Un premier Oscar pour le Luxembourg et… le seul? L’avenir proche prouvera peut-être le contraire, avec une nouvelle nomination, tombée mardi : le film La Valise rouge, de Cyrus Neshvad, a été retenu dans la «shortlist» des cinq nommés pour le meilleur court métrage de fiction.
Le film de 18 minutes, réalisé et produit par Cyrus Neshvad à travers sa société Cynefilms, suit une jeune femme iranienne, voilée, dans un aéroport, terrifiée à l’idée de poser sa valise rouge sur le tapis automatique, tentant de repousser le plus possible le moment de l’embarquement.
«Dans les cinq premières minutes du film, j’encourage le spectateur à juger ce personnage», explique le réalisateur. «On ne sait pas qui elle est, mais quand on voit une femme voilée dans un aéroport avec une valise, il est facile de porter un jugement. Ça m’est très souvent arrivé, et j’ai voulu transférer ces choses que j’ai vécues sur mon personnage», poursuit le natif de Téhéran, qui glisse s’identifier «énormément» à son héroïne.
Écho des manifestations
Pour autant, le thème prédominant du film n’est pas l’immigration, mais le patriarcat : «Le thème du film, c’est la domination masculine – du père, du mari – et mon personnage essaie d’y échapper. On parle de l’Iran, un pays totalitaire, où la femme n’a aucun droit.»
L’image d’une femme voilée a d’ailleurs été le point de départ de ce récit d’un mariage forcé, raconte Cyrus Neshvad : «Ma mère me racontait que des femmes disparaissaient, juste parce qu’elles avaient donné leur avis. J’avais deux choses pour commencer : l’image d’une jeune femme iranienne avec un voile et l’idée qu’elle devait l’enlever à un moment donné. Elle devait faire valoir ses droits, qu’elle refuse de partir avec ce mec qu’elle n’aime pas.»
La conception de La Valise rouge remonte à deux ans, avec un tournage qui a eu lieu pendant le covid. C’est une pleine année après le début du projet que Cyrus Neshvad a observé, dit-il, «des échos entre le sujet et la situation en Iran. Quand on a fini le film, on était en plein dedans».
Je n’ai pas fait un film pour aller aux Oscars. Mon but, c’était de faire le meilleur film possible
Le cinéaste fait référence aux manifestations menées par les femmes iraniennes qui battent leur plein depuis plusieurs mois, à la suite de la mort en garde à vue, en septembre dernier, de Mahsa Amini, une touriste kurde de 22 ans, arrêtée et battue par la police pour port inadéquat du hijab. «Ce soulèvement populaire est bien tombé pour nous… malheureusement.»
Si le réalisateur souligne encore que le film est un plaidoyer pour la condition féminine, il précise que le message ne s’arrête pas à l’Iran. Autrement dit, que La Valise rouge reflète sa distance entre ses origines iraniennes et son observation du monde depuis le Luxembourg : «Avec mon scénariste, qui est français (NDLR : Guillaume Levil), on a eu une discussion sur le caractère universel de la discrimination envers les femmes. Ça a soulevé chez moi une question : si mon héroïne réussit à échapper à sa condition, est-ce qu’elle sera à l’abri de tout?»
Et Cyrus Neshvad d’étayer sa réflexion à l’image, en remplissant les panneaux publicitaires de l’aéroport – le Findel, où le film a été intégralement tourné – d’images de femmes «dont on exploite le corps pour vendre des produits».
Conscient de la place qu’occupent les manifestations en Iran dans l’actualité, Cyrus Neshvad signale que s’il devait «faire le film aujourd’hui, il aurait été complètement différent». «Parler d’un sujet qui prend toute la lumière, ça ne m’intéresse pas. Au début du projet, personne ne parlait des femmes iraniennes.»
En outre, l’héroïne est aussi un moyen d’attirer l’attention sur le risque que courent les artistes en Iran : «Ce n’est pas innocent si cette femme est peintre. Dans l’art, la liberté est très restreinte. (Abbas) Kiarostami et (Mohsen) Makhlabaf étaient malins, et même si c’était une autre époque, ils prenaient déjà beaucoup de risques. Aujourd’hui, on vous arrête au moindre faux pas.»
En décembre, Taraneh Alidoosti, l’une des comédiennes les plus populaires en Iran et actrice fétiche d’Asghar Farhadi, avait été arrêtée pour avoir soutenu les manifestations. Elle a été libérée sous caution le 4 janvier.
Quarante montages
La nouvelle de sa nomination aux Oscars a été reçue avec une grande joie par le cinéaste, mais pas question pour lui de se perdre dans l’euphorie. «Je n’ai pas fait un film pour aller aux Oscars, martèle-t-il. Mon but, c’était de faire le meilleur film possible.»
D’où la quarantaine de montages différents – et autant de projections tests, pour une durée de montage passée de deux semaines à trois mois – pour «satisfaire entièrement» son auteur. «Je ne pense pas aussi loin que les Oscars, mais je pense beaucoup aux spectateurs : c’est à eux que le film s’adresse, après tout, alors il faut que ça fonctionne parfaitement.»
Au Grand-Duché, le public pourra découvrir le film en mars, lors du LuxFilmFest, quelques jours avant les Oscars.
Pour Cyrus Neshvad, il y a d’autres priorités que les petites statuettes dorées et mieux vaut éviter de crier victoire trop vite. Parmi les autres nommés à la cérémonie qui aura lieu le 12 mars prochain, La Valise rouge fera notamment face au film d’Alice Rohrwacher Le Pupille, produit par Alfonso Cuarón et distribué par Disney. Mais après tout, Mr Hublot, dans son exploit, avait déjà doublé le géant de l’animation dans son propre domaine…
Quoi qu’il en soit, Cyrus Neshvad garde les pieds sur terre : «Je suis passé par plein d’émotions, ce qui est très bien. Je suis heureux d’apporter ma pierre à l’édifice cinématographique du Luxembourg, mais ce qui est important pour moi, c’est que ce film, avec la visibilité qu’il a maintenant, va attirer l’attention sur la situation en Iran, où de jeunes gens sont dans la rue et se font tirer dessus, à l’heure même où on parle.»
Pendant ce temps, en France
Autant que la présence du Luxembourg aux Oscars et un coup d’éclat, son apparition aux César est devenue une sorte de routine. Au pays, on compte 19 nominations dans l’histoire de la cérémonie qui récompense les meilleurs films français, et trois statuettes : meilleur film d’animation en 2013 (Ernest et Célestine, de Benjamin Renner et Vincent Patar, coproduit par Mélusine) et en 2022 (Le Sommet des dieux, de Patrick Imbert, coproduit par Mélusine) et meilleur premier film en 2021 (Deux, de Filippo Meneghetti, coproduit par Tarantula).
Cette année, le Grand-Duché double ses chances : c’est encore l’animation qui fait parler d’elle avec, donc, deux coproductions nationales sur… trois films en lice pour le César! Soit Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?, d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre (Bidibul Productions) – déjà Cristal du meilleur long métrage à Annecy – et Ernest et Célestine : le Voyage en Charabie, de Julien Chheng et Jean-Christophe Roger (Mélusine).
Face aux deux films, Ma famille afghane, coproduction entre la France, la République tchèque et la Slovaquie, raconte l’histoire d’amour entre une étudiante tchèque et un Afghan. Une belle compétition, qui risque néanmoins de ramener une nouvelle coupe à la maison…