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Des réfugiés syriens trouvent leur place au Portugal grâce à la gastronomie


La mère et les sœurs de Rafat travaillent également au restaurant. Tous sont déjà intégrés à la vie lisboète. (photo AFP)

Tenu par des réfugiés syriens, le restaurant Mezze a connu un succès immédiat dès son ouverture à Lisbonne en septembre, offrant un exemple rare d’intégration réussie dans un pays à la politique d’accueil pourtant très volontariste.

Le jour de son inauguration, les clients ont dû faire la queue devant l’établissement installé dans le bâtiment rénové du marché d’Arroios, un quartier populaire de la capitale portugaise. « Les brochettes de poulet, le houmous, tout était exquis. La semaine prochaine je reviens, c’est certain », témoigne Leonor Rodrigues, une traductrice conquise d’emblée par la gastronomie syrienne, jusqu’ici méconnue des Lisboètes. « L’endroit est vraiment bien. Et c’est génial d’intégrer les réfugiés de cette manière », souligne-t-elle.

Le restaurant Mezze est le fruit d’un projet mené avec détermination par une ancienne journaliste qui a recouru au financement participatif pour aider à l’intégration des Syriens. Prenant conscience des difficultés qu’ils rencontraient lorsqu’il s’agissait de trouver un emploi et leur place dans la société, Francisca Gorjao Henriques a fondé en 2016 l’association « Pao a Pao » (« Pain à Pain »).

« Dès que j’ai présenté le projet du restaurant et annoncé qu’il était destiné à des familles syriennes, les gens ont adhéré tout de suite » à une campagne de financement participatif, raconte cette femme de 45 ans. Grâce aux 23 000 euros ainsi levés, l’ancienne boucherie du marché d’Arroios a pu être rénovée et la cuisine du Mezze, équipée. En salle comme en cuisine, impossible d’ignorer le parfum des mets orientaux et la singularité de ce restaurant où travaillent une douzaine de Syriens, dont le parcours est raconté jusque dans le menu présenté aux clients.

« Les Portugais sont très tolérants »

Parmi eux, Rafat avoue que Lisbonne n’était pas sa destination rêvée lorsqu’il a fui la Syrie il y a près de trois ans, avant de rejoindre l’Égypte puis le Portugal un an plus tard. Ce jeune homme de 21 ans vit actuellement dans la banlieue nord de Lisbonne avec sa mère Fatima et ses deux sœurs, Rana et Reem, qui, toutes, travaillent également au Mezze. Le père de famille, qui gérait un restaurant traditionnel à Damas, a péri dans le conflit qui a fait plus de 330 000 morts depuis 2011.

« Du Portugal, je ne connaissais que les footballeurs Cristiano Ronaldo et Nani. J’avais l’image d’un pays plutôt pauvre. Ma priorité, c’était l’Allemagne », raconte Rafat. Aujourd’hui, il s’estime « très content » d’avoir terminé son périple au Portugal, où il espère être rejoint par son frère aîné, installé en Turquie avec sa femme et leur petit garçon. « On se sent bien ici. Les Portugais sont très tolérants et on n’a jamais eu de problème. Mes sœurs peuvent aller à la plage en hijab sans se sentir jugées », poursuit-il dans un portugais hésitant mais déjà très correct.

La Commission européenne avait demandé au Portugal d’accueillir 5 000 réfugiés – Syriens, Irakiens et Afghans étant les plus concernés – dans le cadre d’un plan adopté à l’automne 2015 pour relocaliser en deux ans dans des pays de l’UE 160 000 personnes arrivées en Italie et en Grèce. Ce plan incluait des quotas obligatoires d’accueil, que plusieurs pays de l’UE ont contestés. A contrario, le Portugal a, lui, proposé en février 2016 de doubler son quota, à 10 000 personnes. Mais malgré ce volontarisme, le pays n’a jusqu’ici accueilli qu’environ 1 400 réfugiés. Et parmi ceux-là, plus de la moitié auraient déjà quitté le territoire portugais, selon les plus récentes estimations officielles. Les autorités portugaises expliquent ces départs avant tout par l’attrait qu’exercent des pays offrant de meilleures perspectives économiques, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

« La langue, c’est la clé d’un pays »

Parmi les réfugiés établis au Portugal, un tiers ont déjà pu intégrer le marché du travail, souligne le gouvernement tout en reconnaissant que les offres d’emploi sont toujours insuffisantes. Rafat, qui préfère taire son nom de famille, confirme que l’association « Pao a Pao », avec son projet de restaurant, a beaucoup fait pour l’intégration de sa mère et de ses sœurs. « De mon côté, je me débrouillais déjà en travaillant dans un restaurant de kebab. Mais pour les femmes, qui restent le plus souvent à la maison, c’était plus difficile », reconnaît-il.

Il dit avoir du mal à comprendre ses compatriotes qui ont quitté le Portugal. « J’ai des amis syriens qui sont partis sans comprendre que la langue, c’est la clé d’un pays. Ils n’essaient pas de l’apprendre et c’est pour ça qu’ils ne parviennent pas à s’intégrer ». Préparer des mets typiques comme le yalanji, le fattouche, le kebbeh ou le baklava, le personnel du Mezze savait faire depuis longtemps. Mais il leur a fallu apprendre à travailler dans les conditions exigées aux restaurateurs portugais. Là encore, la solidarité a joué un rôle déterminant puisque l’école d’hôtellerie de Lisbonne leur a offert une formation intensive aux règles d’une cuisine professionnelle.

Le Quotidien/AFP