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«Dans 20 ans, il n’y aura plus d’exploitations porcines au pays»


Le secteur porcin traverse «une véritable crise structurelle». (photo Eric Pesch)

Les éleveurs porcins ont rendez-vous ce lundi au ministère de l’Agriculture. Une réunion de tous les espoirs pour un secteur en grande difficulté.

Tous les médias nationaux en ont parlé et on l’a bien compris : «La situation est très différente chez nous.» C’est en tout cas ce qu’expliquait, le 23 janvier, dans nos colonnes, le président de la Centrale paysanne, Christian Wester. Si nos agriculteurs n’ont pas rejoint le mouvement de contestation qui s’est propagé en Europe contre les hausses des taxes et le Pacte vert européen, c’est parce qu’ils laissent à la nouvelle loi agraire votée en juillet le temps de faire ses preuves. Pourtant, tout n’est pas rose. Preuve en est, la situation catastrophique des éleveurs de porcs luxembourgeois. Rien qu’en 2023, six exploitations porcines ont cessé leur activité sur la trentaine que compte le Grand-Duché. Au pays de la Grillwurscht, c’est un comble.

Au Luxembourg, il existe deux types d’exploitations porcines : celles en système fermé qui s’occupent des porcs de leur fécondation jusqu’à leur départ pour l’abattoir et les autres, qui achètent leurs porcelets à un producteur et pratiquent uniquement l’engraissement. Dans le dernier rapport d’activité du ministère de l’Agriculture sur la situation du secteur en 2022, le cheptel porcin comptait 78 119 têtes, une baisse de 5,2 % par rapport à 2018. Le cheptel reproducteur est en recul constant et se situait au niveau le plus bas enregistré depuis des décennies avec 3 167 têtes. Par contre, le cheptel des porcs destinés à l’engraissement augmente régulièrement depuis 2019 et atteignait 55 311 animaux en 2022.

Les exploitations du pays ont aussi ceci de particulier que certaines sont couplées à d’autres types d’élevage, de production agricole ou pratiquent de la vente directe. Mais toutes ont un point commun : elles rencontrent de sérieuses difficultés. Ce que confirme le ministère de l’Agriculture, joint par nos soins : «le secteur porcin traverse une crise structurelle». Les éleveurs de porcelets, détaille le ministère, doivent faire face aux coûts de l’énergie, de l’alimentation… «avec à la base des investissements lourds, et des marges de gains volatils et de moins en moins prévisibles».

Eric Pesch propose dans sa boutique des produits issus de son élevage. Photo : archives lq/tania feller

«Le problème de l’énergie est énorme, acquiesce Eric Pesch, président de Cochy, une association promouvant la viande porcine luxembourgeoise. Cet éleveur, installé à Crauthem depuis 25 ans, gère 120 truies «naisseurs» et ses infrastructures abritent en moyenne entre 700 et 900 porcs destinés à l’abattoir. Toute la porcherie est chauffée, une ventilation assure les échanges d’air. Entre le gaz et l’électricité, «j’ai presque deux tiers d’énergie de plus facturés qu’il y a trois ans», assure-t-il.

De lourds dégâts dus à la pandémie

L’éleveur soulève un autre point : «Le prix du porc ici au Luxembourg n’a jamais été protégé, rappelle-t-il. On est liés étroitement au prix du porc allemand : quand il fluctue sur le marché international, le prix luxembourgeois varie aussi.» Une situation qui a toujours existé et à laquelle il était «habitué», mais ce qui a changé, poursuit-il, c’est que «les périodes de prix bas sont devenues plus longues qu’avant. Et alors qu’auparavant la remontée des prix compensait largement les périodes de prix bas, dorénavant la remontée se fait de plus en plus lentement».

Le coup de grâce a été porté par la crise du Covid-19 en 2021, aggravée par l’apparition de la peste porcine africaine en Allemagne. «Des abattoirs en Allemagne ont dû fermer pendant presque trois mois, les porcs restaient dans les étables, se souvient Eric Pesch. Puis les abattoirs ont rouvert, les porcs sont tous arrivés sur le marché d’un coup. Mais comme les restaurants étaient fermés, il n’y avait pas de demande. Les frigos étaient pleins, le prix a chuté, chuté, chuté. On a beau être habitués à des fluctuations assez grandes, c’était vraiment une année catastrophique.»

« On avait l’impression d’être des boucs émissaires »

Malgré un plan de soutien spécifique aux entreprises en difficulté du secteur porcin mis en place par le gouvernement, des éleveurs ont mis la clé sous la porte, pendant que d’autres sont encore en train d’essayer de se remettre de cette période. «On a dépensé toutes nos réserves, on a contracté des dettes pour tenir, que l’on est en train de rembourser», soupire Eric Pesch. Et sa boutique de vente directe lui permet-elle de mettre du beurre dans les épinards? «J’ai beaucoup plus de clients, mais maintenant les gens cherchent à réduire leurs dépenses. Ils achètent plus ciblés, plus de porc entier parce que financièrement c’est plus intéressant.»

«Dans 20 ans, poursuit-il, il n’y aura plus d’exploitations porcines au pays, car les éleveurs seront à la retraite et avec les conditions qu’on a pour le moment, il n’y a aucun intérêt à investir dans le porc.» Un message que les éleveurs porcins ont bien l’intention d’aller porter à Martine Hansen, la nouvelle ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Viticulture, aujourd’hui lors d’une entrevue. Une réunion dans laquelle l’éleveur place de grands espoirs : «Avec le précédent gouvernement, on avait l’impression d’être des boucs émissaires, que la lutte contre le réchauffement se faisait sur notre dos. Maintenant, on a l’impression d’être écoutés, que Mme Hansen a vraiment une oreille pour le secteur. Elle sait qu’il faut sauvegarder le secteur agricole pour garantir qu’il y ait à manger pour tout le monde.»

Un porc luxembourgeois peu gras

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Dans un marché mondialisé comme l’est celui de la viande porcine, quelles sont les différences entre un porc luxembourgeois et un porc d’un autre pays? «Les porcs du label marque nationale (NDLR : devenu caduque avec l’introduction de la nouvelle loi agraire) sont assez particuliers, explique Eric Pesch. Ils sont faits pour fabriquer du jambon fumé, séché. Donc il faut des porcs pour réaliser beaucoup de jambon, avec des dos très larges et très peu de graisse. Ce sont des bêtes qui ne sont pas recherchées à l’étranger, où sont demandés des porcs plus standards, un peu plus plats, avec un peu de graisse. Un porc marque nationale n’est pas un porc couru en Allemagne.» Fin juin 2022, le nombre de porcs encore abattus et certifiés sous le label de la marque nationale s’élevait à 30 763 porcs.

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