L’équipe Deceuninck Quick-Step a effectué sa présentation officielle, vendredi, à Calpe. L’occasion de réaliser un grand tour d’horizon avec Bob Jungels bien décidé à 27 ans, à prendre ses responsabilités.
Hôtel Suitopia, 29e étage. Le Sky Bar, sa vue panoramique sur la Méditerranée et le Penon de Ifach. On y retrouve Bob Jungels qui n’élude aucune question.
C’est votre deuxième stage à Calpe après celui de décembre. Entretemps, il y a eu les fêtes de fin d’année. Comment se sont-elles déroulées?
Bob Jungels : Très bien. Pour Noël, j’étais à Luxembourg en famille. Je m’entraînais le matin, mais je profitais pour bien manger et boire un bon verre de vin rouge. Pour nouvel an, j’ai passé quelques jours à la neige, en Autriche. Pour moi, c’est important car c’est la dernière opportunité pour nous d’être tranquille.
Quand on est coureur cycliste, peut-on se permettre quelques écarts à cette période de l’année?
Oui. On profite durant 3-4 jours. Ça fait partie de notre équilibre. S’il y a une bonne raclette le soir, je la mange…
Cette saison 2020, vous l’avez débutée le 18 novembre par un stage en soufflerie en Californie. Comment celui-ci s’est-il déroulé?
Avec Yves (Lampaert), Remco (Evenepoel) et moi, on était chez Specialized à Morgan Hill. C’était très chouette mais très court. Trois jours seulement durant lesquels on a profité du soleil et travaillé en soufflerie. On a travaillé la position, testé le nouveau matériel de chrono.
En tant qu’ancien champion du monde junior de la spécialité, estimez-vous devoir progresser dans cet exercice?
Ce n’est pas un secret que ces trois dernières années, j’ai beaucoup travaillé sur mes qualités en montagne et peut-être que j’ai perdu un peu de mes qualités en chrono. Et c’est quelque chose que j’ai envie de redécouvrir. La position sur le vélo, c’est la première chose, après c’est l’entraînement physique qui est différent. Il faut travailler beaucoup plus sur tout le corps. Cela demande beaucoup de force. Cet hiver, je fais plus de fitness, de musculation en vue d’améliorer mon chrono.
Difficile de concilier qualités de grimpeur et de rouleur, non?
Oui, mais des coureurs comme Roglic et Dumoulin sont capables de faire les deux. Après, il faut une équipe qui soit là pour les grands tours. Une équipe comme Ineos ou Jumbo-Visma travaille essentiellement les chronos et les côtes. Chez nous, on a quand même beaucoup d’autres objectifs… Je ne peux donc pas me permettre de tout miser sur un Tour de France. Et laisser de côté les classiques, c’est tout juste impossible.
Je suis du genre à ne pas faire les choses à moitié
Vous avez déclaré avoir beaucoup appris sur vous-même en 2019. Concrètement, qu’avez-vous découvert?
J’ai appris beaucoup sur mon caractère. Après les dix premiers jours, au Giro, je savais très bien que ça n’allait pas, que j’étais cuit. Mais je voulais rester pour l’équipe. Cette gentillesse est un piège parfois. Après, je n’étais pas bien durant tout le reste de la saison et j’ai perdu ma confiance. Je ne pouvais plus suivre les échappées. Ce n’était pas évident.
Vous éprouvez donc des difficultés à vous affirmer comme leader?
Dans l’équipe, j’ai bien ce statut de leader mais le problème, enfin ce n’est pas un problème, mais dans une course si tu reçois la responsabilité de l’équipe, c’est facile. Mais prendre soi-même cette responsabilité, c’est autre chose. J’ai encore du travail à faire.
Vous n’auriez pas dû finir ce Giro…
Non. On a beaucoup parlé avec l’équipe, les entraîneurs, les docteurs. L’équipe a reconnu avoir fait une faute de ne pas me dire « stop, tu sors, tu arrêtes ». D’un côté, voir qu’ils reconnaissent cette erreur est source de réconfort mais ça ne doit pas se reproduire.
Est-ce la première fois que vous êtes allé si loin dans la souffrance?
C’était la première fois que je perdais toute ma confiance. Normalement, je suis toujours à l’aise en course, j’attaque si je sens que c’est le moment. Dans le Giro, j’étais bloqué et je n’ai pas retrouvé mes sensations le reste de la saison. Physiquement, j’étais bien mais mentalement, je n’arrivais pas à aller dans une course et souffrir pour la victoire. Je l’ai retrouvé un tout petit peu en fin de saison, mais voilà…
Était-ce une erreur de programme?
Tout d’abord, j’avais peut-être 2-3 courses de trop. J’avais bien débuté en Colombie, j’étais très en forme. À Paris-Nice, qui était très dur l’an passé, j’ai laissé, beaucoup, beaucoup d’énergie. Je n’ai pas pris assez de recul par rapport aux courses. Ça, c’était la première faute. Après, quand tu fais une course comme à Harelbeke, à faire les 50 derniers kilomètres tout seul…
Patrick Lefevere a eu un petit mot à ce sujet durant la présentation, rappelant votre travail ayant permis la victoire de Zdenek Stybar au Grand Prix E3…
Oui… Mais je suis du genre à ne pas faire les choses à moitié. Quand on doit rouler cinq heures, j’en roule six. Avant le Giro, lors du stage en altitude, j’avais des valeurs incroyables. Mais après dix jours, j’étais out.
Cette difficulté à gérer votre effort, n’est-ce pas une tendance à vouloir trop montrer vos muscles?
(Il sourit) Disons que j’aime bien les challenges…
Sur le Tour, je vais plutôt viser les étapes de moyenne montagne
Vous avez utilisé le terme de « gentillesse ». Vous trouvez-vous trop gentil?
Oui, parfois, je ne suis pas assez égoïste. Il y a des courses où je peux faire un résultat et je travaille finalement pour un autre. Or, ce n’est pas mon rôle, j’ai 27 ans, il faut que j’arrive au point de dire « je veux faire ce résultat ». C’est ce que je travaille en ce moment avec un psychologue afin d’avoir la bonne attitude en course.
Le classement général d’un grand tour peut-il être un objectif cette année?
Pour cette année, non. Le Tour de France est vraiment fait pour les grimpeurs. Même le chrono est en montée. Je vais plutôt viser les étapes de moyenne montagne. Se focaliser sur le classement général et rouler défensif, ce n’est pas ma façon de courir.
Avez-vous changé quelque chose dans votre préparation?
Hormis la partie musculation, non. J’ai fait de longues sorties pour avoir une bonne base et, en Colombie, on va poursuivre ce travail avec des séances en altitude. Avec la course, la forme va venir toute seule. Ensuite, les autres courses devront me permettre d’arriver en bonne forme pour le Tour des Flandres.
Vous parliez du Tour de France, avez-vous déjà coché l’une ou l’autre étape?
Non. Pour l’instant, j’ai juste regardé mon programme jusqu’à Paris-Roubaix. Mon premier objectif, c’est Tirreno-Adriatico. J’ai toujours eu de bonnes sensations sur cette course donc je vais essayer de me montrer là-bas. Et j’espère profiter de cette forme pour les classiques restantes.
Avez-vous l’intention de courir différemment? De ne plus attaquer de si loin?
L’an, passé je ne savais pas que je serais l’un des plus forts lors des classiques. Cette année, si j’ai la même forme que l’an dernier, je vais y aller pour la victoire. Pas uniquement pour me montrer.
Dans une interview, vous déclariez avoir été surpris par la régularité de Julian Alaphilippe mais aussi par sa capacité à aller « très loin dans sa tête ». Avez-vous échangé à ce sujet avec votre compagnon de chambre?
C’est vrai que Julian court beaucoup avec son mental. Parfois, on le voit en course, on se dit, « cette fois, c’est fini » mais il arrive toujours à se rattraper. Il a gagné douze courses et aucune d’entre elles n’était une kermesse… C’était impressionnant de le voir dans ce Tour. Il y a deux ans, on aurait dit que le Tourmalet ce n’était pas pour lui mais là, il finit deuxième derrière (Thibaut) Pinot. Je pense qu’il a une vision de l’étape, de la course et il n’en déroge pas. Je crois que là-dessus, je peux prendre l’une ou l’autre tranche d’inspiration…
Auparavant, vous aviez fait de belles performances. Sur le Giro par exemple. Vous lui avez peut-être aussi apporté quelque chose, non?
On s’est téléphoné pendant le Tour. Il a dépensé tellement d’énergie en première semaine que tu le paies à la fin. Bernal, on l’a pas vu jusqu’en fin de troisième semaine et c’est lui qui est monté sur la première marche du podium.
Le Tour des Flandres, c’est une course qui me convient très bien, j’y prends beaucoup de plaisir
Le Tour des Flandres, que vous avez découvert cette année, est-ce la classique que vous visez prioritairement?
Je la connais maintenant. C’est une course qui me convient très bien, j’y prends beaucoup de plaisir. Avec l’équipe qu’on a, on peut programmer. Paris-Roubaix, par contre, c’est un peu une loterie. Mais si après le Tour des Flandres, je gagnais une semaine plus tard Paris-Roubaix, je ne dirais pas non…
Pensez-vous que ça peut être un objectif dans ces prochaines années?
Oui. Je l’ai gagné dans la petite version (NDLR : chez les espoirs) et je l’ai couru une fois en 2013 et Fabian (Cancellara) s’était imposé. Cette course m’a toujours plu. Après, j’ai connu une évolution de par mon gabarit, ma confiance et quand tu te retrouves au milieu de 150 guerriers, il faut être le plus malin.
Entre le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, où va votre préférence?
Cette année, plutôt vers le Tour des Flandres. Paris-Roubaix, c’est encore un peu plus mythique.
Deceunick Quick-Step va se retrouver sur son terrain…
C’est la marque de l’équipe et je ne voudrais pas être dans la peau du sélectionneur. Avec tous les gars qu’on a, il pourrait faire deux équipes. Il y a une telle densité, on a quelqu’un pour chaque situation. Et c’est ce qui compte à la fin.
Comment garder une telle cohésion au sein d’un effectif si riche en individualités?
À la fin du compte, il y aura toujours quelqu’un de plus fort. Même entre nous.
Il y a donc un loup alpha?
(Il rit) Oui, il y a toujours un loup alpha. L’an passé, c’était souvent Philippe Gilbert. En début de saison, c’était Zdenek (Stybar) et moi. Après, le plus important est que tout le monde travaille pour tout le monde.
Cette année est olympique. Que représentent les Jeux?
Ça ne se déroule qu’une fois tous les quatre ans et c’est clairement un objectif. Après, c’est un parcours très difficile et il faudra voir dans quel état de fraîcheur je serai après le Tour de France. En tous cas, si j’y vais, je veux le faire bien.
Pour finir, Julian Alaphilippe, sacré champion des champions par L’Équipe, déclarait regretter que sa notoriété l’empêche « de vivre un peu comme avant ». Comment vivez-vous cette notoriété?
Lui est encore dans une autre dimension que moi après sa saison. En plus, il est français et la France est un peu plus grand que le Luxembourg. Après, il y a des coureurs qui prennent du plaisir, d’autres qui sont plus réservés. Moi, ça ne me dérange pas. L’environnement est important. Il faut des gens qui te gardent les deux pieds sur terre.
Cette année, l’équipe enregistre l’arrivée de onze nouveaux coureurs. Comment allez-vous pour les intégrer tout en restant compétitifs?
On dit toujours que le Wolfpack est une famille, mais c’est vrai. En décembre, on a organisé des jeux pour se connaître. Ce sont de très bons coureurs et ça va aller. C’est possible que ça prenne une année ou deux pour retrouver le même statut.
Vous intégrez donc le fait que vous puissiez moins gagner cette année?
C’est possible. Bon, un coureur comme Sam Bennett peut gagner beaucoup de courses, et va en gagner beaucoup, j’en suis sûr. Après, il faut créer cette identité avec un tiers de nouveaux coureurs.
Avez-vous prévenu les nouveaux ce qui les attendait?
Je crois qu’ils ont bien compris où ils étaient (il rit).
Entretien : Charles Michel
Son programme :
11 – 16 février : Tour de Colombie
29 février : Omloop Het Nieuwsblad
1er mars : Kuurne – Bruxelles – Kuurne
7 mars : Strade Bianche
11 – 17 mars : Tirreno – Adriatico
27 mars : E3 BinckBank Classic
5 avril :Tour des Flandres
12 avril : Paris – Roubaix
31 mai – 7 juin : Dauphiné (à confirmer)
27 juin – 19 juillet : Tour de France