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[Critique] «The Last Dance» : une dernière danse somptueuse


Jason Hehir, dans cette véritable master class de montage, fait se confronter les images, les mots et les époques.

Elle a pris le relais de la NBA après la suspension de la saison le 11 mars : The Last Dance, qui retrace la période légendaire des Chicago Bulls qui s’est formée autour de Michael Jordan jusqu’en 1998, s’est tout de suite imposée comme l’évènement télé du moment.

Aux États-Unis, où la minisérie était diffusée sur ESPN (aussi à la production, mais elle est diffusée sur Netflix dans le reste du monde), elle a rassemblé 6 millions de téléspectateurs, score le plus haut jamais atteint pour un documentaire de la chaîne sportive.

En dix épisodes, on est entraîné dans des allers-retours dans le temps entre 1984 et 1998, période caractérisée par la grandeur de Michael Jordan, drafté à une époque où l’équipe de Chicago était la risée de la NBA et qui l’a accompagnée au firmament. Réalisé par un habitué du documentaire sportif qui répond au nom de Jason Hehir, The Last Dance laisse planer l’ombre de ce chant du cygne qui se transforme en poursuite d’un sixième titre de champions en huit ans.

Terminer par une sixième victoire et devenir ainsi la première équipe à réussir à deux reprises l’exploit de trois victoires en championnat d’affilée, voilà l’objectif, pour leur dernière saison, de l’entraîneur Phil Jackson et des Bulls, où évoluaient quelques-uns des meilleurs joueurs de basket de l’époque : Scottie Pippen, Dennis Rodman, Steve Kerr, Toni Kukoc et, bien sûr, la superstar Michael Jordan.

Des images qui auront mis 22 ans à voir le jour

Revivre ces années 1990 au rythme de la NBA, c’est revoir les grands joueurs d’alors (Johnson, Ewing, Bird) et les futures légendes (Kobe Bryant, qui donne la chair de poule dès ses premières secondes d’apparition). Pour le plaisir des yeux, rares sont les documentaires sportifs comme celui-ci, qui compile les actions les plus remarquables des Bulls mais qui offre aussi une place considérable aux coulisses dans des images qui auront mis 22 ans à voir le jour.

Car le plus grand intérêt de The Last Dance, ce sont bien les images tournées lors de la saison 1997/1998, la «dernière danse» du titre, par une équipe de télévision qui a obtenu un accès exclusif à ce qui se passe en dehors du terrain. Avec ces archives magnifiquement restaurées, on est plongé dans le quotidien d’une équipe qui lutte avec ses propres démons – la fatigue de Jordan, l’absence, en début de saison, d’un Scottie Pippen blessé, l’extravagante attitude de Rodman, les tensions entre l’équipe et l’organisation – mais qui offre toujours des moments sublimes.

Dès le premier épisode, le plan large de Michael Jordan s’entraînant au lancer franc, seul dans l’enceinte du centre d’entraînement des Bulls, le Berto Center (fermé en 2014), est d’une beauté et d’une émotion absolues, cristallisant le sentiment, développé au fil des épisodes, d’un champion, plus grand joueur de basket de l’histoire, face à lui-même, au poids qui repose sur ses épaules, face à son parcours, face à son ego.

Jason Hehir, dans cette véritable master class de montage, fait se confronter les images, les mots et les époques. Les archives, connues ou non, sont juxtaposées à des interviews menées par le réalisateur pendant plus d’un an. Tous s’y livrent, jusqu’au propriétaire du club, Jerry Reinsdorf. Et «MJ», vedette incontestable, qui apparaît, les yeux jaunes, whisky à la main et cigare à la bouche, cousin, dans le style, des antihéros mafieux de Scorsese.

50 dernières minutes époustouflantes

On donnera plus de crédit à de nombreux sujets abordés – la relation quasi spirituelle entre Phil Jackson et Dennis Rodman est, par exemple, un sommet de narration – mais le réalisateur, s’il construit chaque épisode autour d’un thème, choisit toujours de rebondir sur Jordan, livrant un portrait complexe de l’ancien joueur, parfois vraiment poignant, souvent imbu de lui-même.

On pourrait s’amuser à faire une liste des propos problématiques qu’il tient tout au long de la série et quand même s’étonner que l’ex-basketteur, aujourd’hui propriétaire des Charlotte Hornets, en participant à la production du documentaire, accepte par là même les postures controversées qu’il adopte face à certains sujets.

Pendant neuf épisodes, l’histoire d’«Air» Jordan et des Bulls est soigneusement construite, s’intéressant d’abord en profondeur à ses protagonistes (les quatre premiers épisodes sont focalisés respectivement sur Jordan, Pippen, Rodman et Jackson) avant de se concentrer plus longuement sur le sport lui-même, source de toutes les émotions. Jusqu’aux 50 dernières minutes; dans l’épisode final, la mise en scène et le montage atteignent une apogée jamais même approchée précédemment.

Pendant les temps morts du tout dernier match – celui qui se terminera par un ultime geste de Jordan offrant la victoire à son équipe – on est littéralement au milieu de Phil Jackson et ses joueurs sur le terrain du Delta Center de Salt Lake City, surplombés de 18 000 spectateurs. Cette dernière danse, extatique, passionnée, se révèle sous une autre lumière, et elle n’a jamais paru aussi somptueuse.

Valentin Maniglia

Avec Michael Jordan, Phil Jackson, Scottie Pippen, Dennis Rodman… Genre : documentaire. Durée 10 x 50 minutes.

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