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[Critique série] «The Fall of the House of Usher», enfer et damnation


Une nouvelle série est disponible sur Netflix : « The Fall of the House of Usher » de Mike Flanagan, avec Carla Gugino, Bruce Greenwood et Mark Hamill… Critique.

Avec le temps, Netflix a fait de Mike Flanagan une institution, un gardien du temple de l’horreur. À raison : ses affinités avec le genre s’étendent du thriller psychologique, celui qui porte la douce odeur du popcorn des années 1990 (Hush, 2016; Gerald’s Game, 2017; The Midnight Club, 2022), au style matriciel (au cinéma comme en littérature) de l’horreur moderne, la fiction gothique. Dans cette dernière, Flanagan s’est illustré en adaptant brillamment Shirley Jackson (The Haunting of Hill House, 2018, devenu instantanément la série préférée de Stephen King et Quentin Tarantino) et Henry James (The Haunting of Bly Manor, 2020).

Pour un nouveau tour de piste, c’est à l’univers d’Edgar Allan Poe qu’il se frotte. Car The Fall of the House of Usher ne se contente pas d’adapter à notre époque la célèbre nouvelle du poète de Baltimore; la série se présente comme un petit précis de la littérature gothique d’Edgar Poe, ramassé sur un long récit à l’intérieur duquel se ramifient les intrigues de ses autres chefs-d’œuvre (Le Corbeau, Le Puits et le pendule, Double assassinat dans la rue Morgue…).

Ainsi, donc, Roderick Usher (Bruce Greenwood), à la tête d’un empire pharmaceutique et d’une dynastie familiale – les deux au bord de l’effondrement. La firme Fortunato, traînée au tribunal pour révéler au grand jour sa corruption; la famille, décimée petit à petit, un enfant après l’autre. Bientôt ne resteront plus que Roderick et sa sœur jumelle, Madeline (Mary McDonnell). Alors le milliardaire fait venir dans sa maison d’enfance le procureur Dupin (Carl Lumbly), celui-là même qui lui court après depuis des décennies, pour se mettre à table et lui raconter en détail la malédiction qui ronge la maison Usher.

Il convient de saluer d’abord la dextérité du scénario, qui jongle sans trop d’effort (quoiqu’un peu trop souvent) entre les époques – le récit se déroule sur 70 ans, du début des années 1950 à 2023 – et les nombreux personnages. Avec, comme leitmotiv, la mort spectaculaire d’un enfant Usher à la fin de chaque épisode, inspirée tant par les mises à mort des nouvelles de Poe que par les mises en scène macabres de Dario Argento, Brian De Palma, Guillermo Del Toro ou Tim Burton.

La longévité et le succès de Mike Flanagan auprès de Netflix ne relèvent pas du hasard : en termes de finesse et d’élégance dans sa mise en scène, le producteur-scénariste-réalisateur fait figure d’exception parmi les poulains du géant du streaming. On sait qu’il incarne l’assurance d’un «blockbuster» horrifique de qualité, et qui a la capacité de fédérer tous les publics. Même si The Fall of the House of Usher se complaît dans le gore criard, plutôt que d’utiliser les mécanismes subtils de la terreur.

On a du mal, il est vrai, à bouder notre plaisir face aux mises à mort inventives et cruelles subies par les six gosses de riches. La violence dépeinte s’inscrit dans l’imagerie du genre (aux côtés des nombreux symboles renvoyant à Edgar Poe qui reviennent le long des huit épisodes), mais c’est un autre propos qu’elle dessert en réalité. Car, en imposant son récit gothique dans le monde actuel, Mike Flanagan se livre à une inhabituelle satire contemporaine qui vise les ultrariches et, en particulier, la puissante famille Sackler, qui a commercialisé l’antidouleur addictif et meurtrier OxyContin. Les Sackler ont été qualifiés de «famille la plus diabolique d’Amérique», et le même surnom sied à merveille aux Usher. De quoi bien dépoussiérer un vieux classique de la littérature américaine.

Avec The Fall of the House of Usher, Mike Flanagan réalise sa propre relecture horrifique de la saga HBO Succession. Mais le génie de cette dernière était qu’elle parvenait à rendre attirants des personnages monstrueux, grâce à une écriture et une interprétation captivantes des personnages. Ici, on regrette une psychologie trop lisse, presque caricaturale, qui peine à percer le peu d’humanité qui reste chez les enfants Usher. Morts au début de la série, ils ne sont rendus à la vie que pour le bon fonctionnement d’une mécanique narrative et esthétique, pour une appréciation inégale.

À titre d’exemple, Prospero (Sauriyan Sapkota), vaguement calqué sur Roman Roy, le fils pervers et nazillon de Succession, est un exemple de personnage parfaitement superficiel; sa mort restera pourtant parmi les plus marquantes. En s’en allant conquérir un nouveau territoire, Mike Flanagan abandonne l’émotion, ingrédient essentiel de ses précédentes incursions dans le gothique, mais il livre une déclaration d’amour hallucinante à Carla Gugino, muse de son cinéma, qui endosse le rôle de «Verna», symbole macabre qui tourmente la maison Usher. Le résultat final est quelque peu fragile, mais l’objectif premier reste brillamment rempli : huit heures d’un divertissement soigné et spectaculaire, tombé juste à temps pour Halloween.

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