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[Critique série] «Landscapers» : le crime était presque parfait


Depuis plusieurs années déjà, l’engouement du public pour les faits divers a donné lieu à un véritable phénomène culturel, voyant se multiplier films, séries, documentaires et podcasts qui relatent dans les détails des centaines d’histoires aussi sordides que réelles. On peut grossièrement classer ces œuvres en deux catégories, indépendamment de leur format : le «true crime» – soit l’histoire vraie, racontée sous forme documentaire, avec documents et témoignages à l’appui, voire de nouvelles investigations et découvertes – et le «true crime drama» – soit la transposition d’un fait divers réel en fiction. Avec respectivement la série et la télévision comme format et medium privilégiés, les récits d’affaires criminelles sont même devenus un sacré business. Mais, comme souvent, il faut se tourner vers le Royaume-Uni pour y trouver les œuvres les plus atypiques.

On a pourtant eu vent d’histoires bien plus extravagantes que celle de Susan et Christopher Edwards, condamnés à perpétuité en 2014 pour le meurtre des parents de Susan, dont les corps ont été ensuite enterrés dans leur propre jardin. Deux cadavres, un mystère et deux suspects qui martèlent leur innocence : le fait divers aurait pu donner une série tout à fait classique, jouant sur la culpabilité ou non du couple d’Anglais et retraçant l’affaire d’après le jugement définitif du tribunal. Mais sous la plume du dramaturge Ed Sinclair et devant la caméra de Will Sharpe (réalisateur du biopic fantaisiste The Electrical Life of Louis Wain et de l’excellente sitcom Flowers), Landscapers parvient à faire oublier tout ce que le spectateur sait déjà sur la fictionnalisation du fait divers.

Landscapers s’interdit de réduire Susan et Christopher Edwards à leur crime

Le doute ne plane jamais sur la culpabilité du couple : qui a appuyé sur la gâchette, qui a enterré les corps, ces questions ne sont guère que des points de détail d’un récit qui trouve sa richesse ailleurs que dans la bonne résolution de l’enquête. À ce titre, les policiers de Nottingham apportent les touches de fantaisie les plus visibles – mais aussi le plus grand sérieux – dans un récit tragicomique qui fait la part belle à l’humour noir, dont sont pourtant privés les deux personnages principaux. Car Landscapers se refuse à dresser un portrait sarcastique de Susan et Christopher Edwards – Olivia Colman et David Thewlis, formidables –, surtout parce qu’elle s’interdit de les réduire à leur crime.

Dans la bouche des garants de la loi, le couple vit dans une autre réalité que la nôtre. Pour Christopher Edwards, c’est l’amour qu’il porte à Susan qui lui rend le réel plus vivable; on devine qu’il en est de même pour elle. Leur passion est inconditionnelle, et aucune loi ou condamnation ne pourra la briser. Lorsque les deux dorment dans des cellules séparées, pendant leur garde à vue, la «fragile» Susan confie à son avocat que la raison pour laquelle elle tient le coup, «c’est de savoir que Christopher est tout près de moi, juste au bout du couloir». On ne peut qu’éprouver de la compassion et de la tendresse pour ce couple en détresse psychologique manifeste, qui fuit la réalité par le mensonge et sa passion dévorante pour le cinéma.

C’est de ce mensonge – du déni, plutôt – que découlent un scénario et une mise en scène absolument novateurs. Le récit se déroule sur quelques mois, entre le moment où la police découvre les cadavres (les Edwards vivent alors en France depuis 15 ans) et la condamnation du couple à la réclusion à perpétuité. Dans son scénario, Ed Sinclair fait se confronter les réalités, la version de la police ayant autant d’importance que les histoires que (se) racontent Susan et Christopher.

Les flashbacks sont bannis et les deux victimes sont quasiment absentes du récit, sauf en présence de la police. Car au fur et à mesure que l’enquête avance, Landscapers brouille de façon toujours plus géniale la frontière entre réalité et invention, brisant le quatrième mur dans des séquences techniquement impressionnantes et dévoilant littéralement l’envers du décor cinématographique, jusque dans un épisode final qui plonge les Edwards au beau milieu d’un western. Ce fait divers est composé d’éléments aussi disparates ou surprenants que l’appât du gain, la fragilité mentale, la passion des objets liés à l’âge d’or du cinéma et une improbable correspondance avec l’acteur Gérard Depardieu. Mais au bout du compte, le crime n’est jamais parfait.

 

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