Tengo sueños eléctricos
de Valentina Maurel
Avec Daniela Marín Navarro, Reinaldo Amien Gutiérrez…
Genre drame
Durée 1 h 41
La fragilité de l’expérience familiale et son implosion, sujet rebattu jusqu’à l’overdose, reste néanmoins une rampe d’accès parfaite pour cinéastes émergents. En particulier lorsque ces derniers posent sur la famille un regard neuf, guidé par ces sentiments que les liens du sang rendent tabous. C’est la rage et le rejet cruel, net et sans appel de l’institution familiale qui guidait ainsi les débuts de Marco Bellocchio avec I pugni in tasca (1965); plus récemment, la dissolution de la famille comme acte de lâcheté était abordée de la plus drôlement inconfortable des manières dans Snow Therapy (Ruben Östlund, 2014).
Entre les deux, Festen (Thomas Vinterberg, 1998) amenait le chaos dans une famille de la haute bourgeoisie tout en réinventant le langage cinématographique. Au tour de la Franco-Costaricienne Valentina Maurel de livrer sa variation – éminemment plus intime que les exemples cités, mais loin d’être aussi impérissable – sur l’implosion de la famille, vécue à travers le personnage d’une jeune fille de 16 ans, au regard d’adulte et aux émotions encore adolescentes.
Au cœur de Tengo sueños eléctricos, Valentina Maurel raconte la violence. Celle de l’âge adolescent, période charnière de la vie – d’une femme en particulier – où l’on se débat avec la complexité du rapport à l’âge adulte vers lequel on se dirige. Du rapport à soi-même, avant tout, notamment à travers les mutations du corps.
Et puis il y a ce sentiment de confusion qui règne et qui, même maquillé derrière un semblant de détermination, semble diriger toutes les actions de la jeune Eva (Daniela Marín Navarro). La cinéaste nous en présente un miroir sans filtre avec le personnage du chat, boule de poils désorientée qui se met à uriner partout dans la maison en travaux de la mère – et dont font écho à leur tour les réactions de la petite sœur d’Eva.
Face au divorce encore frais de ses parents, Eva choisit donc d’aller vivre chez son père. Ou plutôt avec lui, car Palomo (Reinaldo Amien Gutiérrez), un poète bohème, n’a pas de chez lui et squatte chez un copain. La fille a besoin d’aide pour opérer sa transition vers l’âge adulte; le père, lui, vit une deuxième adolescence.
La violence racontée ici, c’est aussi celle qui est transmise dans les gènes, et qui confine presque à la folie. Et Eva, qui est encore mineure et qui est une fille, la vit au plus profond de son corps changeant, elle qui regarde le monde des adultes se dérouler, parfois beau, souvent chaotique, sous ses yeux. Valentina Maurel résume son propos dans le dernier vers du poème écrit par Palomo, celui qui commence par le titre du film, «J’ai des rêves électriques», et qui se termine ainsi : «La rage qui nous traverse ne nous appartient pas».
Ce premier film réfléchit donc sur le caractère héréditaire de la douleur, de la violence et de la folie, avec le double parti pris d’une écriture sensible et ambiguë d’une part, et d’une esthétique naturaliste de l’autre. Livrée à elle-même dans un monde des adultes qui se montre sans pitié, Eva est mue par son instinct, et Valentina Maurel pose sur elle un regard qui n’en fait jamais une victime ni une héroïne, mais la garde dans un entre-deux laissant autant de place à son innocence qu’à sa cruauté.
C’est bien la seule originalité du film; pour le reste, Tengo sueños eléctricos s’embourbe, après une exposition plutôt réussie, dans un mécanisme répétitif (des engueulades et encore des engueulades) qui devient vite pénible et qui, à aucun moment, ne respecte la promesse d’être «électrique». De même, la qualité du jeu des deux protagonistes n’évite aucun des écueils de l’«acting» à fleur de peau, rendant l’ensemble certes intrigant mais jamais véritablement convaincant. On se demande encore ce qui a bien pu amener Asghar Farhadi et son jury à lui donner, en mars dernier, le Grand Prix du LuxFilmFest…