Alors que le Premier ministre a annoncé le renforcement des effectifs dans les 30 offices sociaux du pays, les professionnels du secteur jugent que c’est loin d’être suffisant, notamment face aux répercussions de la crise énergétique attendues en 2023.
Au fil des crises successives – logement, covid, guerre en Ukraine, inflation, explosion des prix de l’énergie, du carburant –, les 30 offices sociaux du Luxembourg et leurs 150 collaborateurs sont de plus en plus sollicités : près de 17 000 personnes ont frappé à leur porte en 2020, n’arrivant plus à joindre les deux bouts, puis 18 500 en 2021, soit une augmentation de 8 %.
Et ils seront sans doute encore plus nombreux en 2022, à l’image de l’office social de la Ville de Luxembourg qui ne désemplit pas et affiche déjà 2 600 clients jusqu’à septembre, alors qu’ils étaient 3 000 pour toute l’année dernière.
Une situation critique, «les assistants sociaux arrivent au bout de leur capacité d’accueil», déplore Ginette Jones, présidente de l’Entente des offices sociaux. Car, si leur travail a évolué, avec de nouvelles missions et compétences – dont l’accueil des bénéficiaires de protection internationale – leur contingent, lui, n’a pas été adapté depuis la mise en place, en 2011, de la loi qui les encadre.
Le secteur accueille donc favorablement l’augmentation de 50 % des effectifs, annoncée mardi par le Premier ministre, lors de son discours sur l’état de la Nation, même si les professionnels pointent d’emblée un problème de taille : la pénurie de main-d’œuvre qui sévit actuellement dans le domaine du travail social.
«C’est une très bonne nouvelle, oui, encore faut-il trouver ce personnel», remarque Sandy Lopes, à la tête de l’office social de la capitale. Si elle a pu engager trois personnes cette année, notamment pour prendre en charge le volet de l’accompagnement social des clients, tâche invisible dans les bilans financiers, mais extrêmement chronophage pour les équipes, cela n’a pas été sans difficulté.
«On est toujours en sous-effectif et on peine à trouver des profils qualifiés. On a très peu de candidatures, et ça touche tout le pays. Le recrutement est un grand souci», explique-t-elle, ajoutant que de nouveaux postes ouverts ne trouvent pas preneur.
Même analyse du côté de Ginette Jones, qui considère que les conditions de travail compliquées des équipes «ne vont pas s’améliorer aussi vite que ça».
La présidente estime que d’autres leviers peuvent être activés, comme la collaboration accrue avec des services externes spécialisés dans le domaine social et le renforcement de leurs propres ressources, ou la politique en matière de logement.
«Les problèmes de la plupart des gens sont liés au logement. Le soutien financier au loyer ou aux charges représente 40 à 50 % des aides que nous distribuons», détaille-t-elle, jugeant qu’un effort important doit être fait en faveur du logement abordable.
La crainte d’un raz de marée en 2023
Une situation tendue qui préoccupe les professionnels du réseau, alors que les effets de la crise énergétique n’ont pas encore réellement frappé les bénéficiaires de l’aide sociale : «On a eu quelque cas, mais ça reste isolé pour le moment», constate Sandy Lopes, anticipant un raz de marée début 2023.
«On n’a pas idée de l’ampleur des répercussions. Elles ne seront visibles que quand les décomptes annuels de charges des locataires seront envoyés, avec des factures qui risquent d’être salées.» Alors, en interne, des discussions sont d’ores et déjà menées pour déterminer comment aider au mieux les clients qui se présenteront, identifier quels profils pourraient basculer dans la zone rouge, et quelle ligne adopter.
«Nous dressons des portraits types : des gens sur le fil, qui ne pourront plus payer leurs frais. Des propriétaires qui viennent d’acheter à taux variable et qui ne tiendront plus les mensualités. Des jeunes couples au budget serré malgré de bons revenus : avec 4 000 euros de crédit immobilier par mois, la balance peut vite pencher», anticipe la jeune femme, estimant toutefois que cela ne relève pas de l’office social.
Les équipes mobilisent l’ensemble des aides spécifiques auxquelles les personnes fragiles peuvent prétendre, dont l’allocation de vie chère ou la prime énergie (lire ci-contre). Des coups de pouce essentiels, mais qui ne suffisent pas pour tout le monde : «On voit alors ce qu’on peut faire pour que le reste à vivre atteigne quelques centaines d’euros», précise Sandy Lopes. «On peut également ouvrir l’accès à une épicerie sociale, voire payer les courses.»
Les assistants sociaux fournissent en parallèle un important travail d’accompagnement dans la gestion de budget : «On fait beaucoup d’éducation financière pour réduire au maximum les charges mensuelles. Certains ont des abonnements téléphoniques à 80 euros», épingle-t-elle.
De leur côté, les fournisseurs d’énergie ont déjà contacté leurs clients pour proposer des avances, s’adressant directement aux offices sociaux pour les situations les plus délicates, comme le prévoit la loi.
Mais pour Ginette Jones, les offices sociaux ne peuvent pas se substituer au gouvernement : «Il faut travailler sur le montant de la prime énergie, et surtout, la faire connaître en adressant des courriers personnalisés aux foyers éligibles, tandis que d’autres subventions doivent être augmentées», revendique-t-elle.
Des aides financières ciblées
Allocation de vie chère Les ménages en difficulté ont droit à une allocation de vie chère dont le montant annuel varie de 1 652 euros (pour une personne seule avec revenus inférieurs à 2 258,83 euros) à 2 891 euros (pour une famille de quatre personnes avec revenus inférieurs à 4 743,55 euros).
Prime énergie Une prime énergie, introduite en 2022 et prolongée en 2023, entre 200 et 400 euros par an, est versée aux bénéficiaires de l’allocation de vie chère. À noter : les ménages dont le revenu dépasse le plafond prévu (jusqu’à 25 %) sont tout de même éligibles pour la prime. Plus d’infos sur fns.lu, les demandes sont à introduire avant le 31 octobre.
Aide communale Des aides financières supplémentaires sont aussi versées par certaines communes, comme c’est le cas pour la Ville de Luxembourg qui accorde une allocation de solidarité à tout habitant bénéficiaire de l’allocation de vie chère : celle-ci atteint 435 euros (pour une personne seule) et jusqu’à 895 euros annuels (pour un foyer de plus de cinq personnes).
Subvention de loyer Côté logement, la subvention de loyer a été augmentée de 50 % et aussi élargie, pour s’adapter aux crises. Cette aide à la location varie de 200 euros par mois (pour une personne seule dont les revenus ne dépassent pas 3 126,83 euros) à 400 euros par mois (pour un foyer avec trois enfants aux revenus inférieurs à 6 960,63 euros). Plus d’infos sur guichet.lu.