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Crémant luxembourgeois : débat sur le vieillissement


Après un peu plus de 30 ans, les règles de l’appellation Crémant de Luxembourg évoluent. Signe que le produit est bien vivant ! (photo DR)

Le directeur de l’Institut viti-vinicole, Roby Ley, a annoncé récemment que les crémants devraient bientôt rester au moins 12 mois sur lies. Voilà ce qu’en pensent les vignerons.

Lors de son traditionnel discours de début d’année (reporté cette année du fait du départ du contrôleur des vins Aender Mehlen à la direction générale des Domaines Vinsmoselle le 1er février), le directeur de l’Institut viti-vinicole, Roby Ley, a annoncé que les vignerons s’étaient mis d’accord pour prolonger le temps que les crémants passeront sur lies avant le dégorgement, l’ajout de la liqueur d’expédition, puis le bouchage définitif. Depuis 1991 et la création de l’appellation Crémant de Luxembourg, les bouteilles devaient attendre 9 mois sur lattes, cette durée va passer à 12 mois cette année.

Cette décision n’est pas polémique puisque la grande majorité des producteurs y est favorable et l’appliquait déjà dans les faits, mais elle n’en demeure pas moins importante. En effet, moyennant quelques contraintes supplémentaires, elle signe la volonté des vignerons de se placer dans une logique encore plus qualitative : plus la prise de mousse est longue et plus le crémant sera délicat, car les bulles vont s’affiner et le contact avec les lies développera l’aromatique du vin.

Nous avons demandé à plusieurs vignerons ce qu’ils pensaient de cette nouvelle règle et ce qu’elle allait changer pour leur domaine. On le verra, les conséquences seront bien différentes selon les maisons. Finalement, leurs réponses témoignent de la richesse de la production luxembourgeoise, car ces différents points de vue soulignent la diversité de styles et d’expressions que les vignerons donnent à leurs crémants.

Une durée sur lies supérieure à 9 mois, voire 12, est une vraie source d’enrichissement pour ce produit

Cette décision va-t-elle dans le bon sens ?

Antoine Clasen (directeur général de Bernard-Massard) : Oui, c’est pour moi une très bonne chose. D’ailleurs, depuis plusieurs années, nous avons significativement augmenté les temps sur lattes de toutes nos cuvées, avec en règle générale un minimum de 15 mois sur lies et beaucoup plus pour nos cuvées les plus prestigieuses. Jusqu’à 5 à 6 ans pour la Cuvée Frédéric Clasen (NDLR : du Clos des Rochers), par exemple.

Michèle Mannes (domaine Häremillen) : Je trouve qu’une décision prise pour augmenter la qualité d’un produit va toujours dans le bon sens. Jusqu’à présent, notre Grande Cuvée, qui est celle que l’on produit le plus, restait 9 mois sur lies au minimum. L’Héritage du Moulin, par contre, passe au moins 24 mois sur lies.

Isabelle Gales (Caves Gales) : Le Crémant de Luxembourg a gagné énormément en notoriété ces dernières années, aussi bien sur le marché luxembourgeois qu’à l’international. Cette décision contribuera davantage à sa bonne réputation. Je suis convaincue qu’une durée sur lies supérieure à 9 mois, voire 12, est une vraie source d’enrichissement pour ce produit noble. Il faut savoir que tous nos crémants, sans exception, restent sur lies un minimum de 18 mois : 18 mois pour le Crémant rosé, 24 mois pour le Gales Héritage et au-delà pour les cuvées spéciales.

Lisa Vesque (domaine Cep d’Or) : C’est une approche que nous demandions depuis un certain temps déjà. Pourquoi ? Parce que c’est une chance unique pour se distancer des mousseux de qualité qui demandent aussi 9 mois sur lattes. Cela fait plusieurs années que de nombreuses régions françaises sont passées à 12 mois. Nous sommes déjà en retard. Actuellement, toutes nos cuvées passent au minimum 18 mois sur lies.

Nous manquons déjà d’espace aujourd’hui, donc ça ne va pas s’améliorer

Quelle incidence sur le stockage ?

Michèle Mannes : Cette décision aura bien sûr un impact sur la production. Trois mois sur lies de plus impliquent aussi d’immobiliser les bouteilles trois mois supplémentaires. Or cela a un coût. Le prix d’une bouteille dépend de la notoriété du domaine, mais aussi du temps de stockage, c’est logique. Nous manquons déjà d’espace aujourd’hui, donc ça ne va pas s’améliorer. Dans l’idéal, il faudrait construire un nouveau hall pour pouvoir stocker les bouteilles plus longtemps, mais avec le prix des terrains au Luxembourg, c’est difficile.

Antoine Clasen : Forcément, garder les bouteilles plus longtemps en cave impacte le stockage et donc les coûts.

Lisa Vesque : Nous avons réalisé une extension en 2005 pour augmenter nos capacités de stockage, donc nous avons la place nécessaire.

Si nos prix montent, c’est à cause de la hausse du coût des matières premières, pas du stockage

Y aura-t-il une incidence sur les prix ?

Isabelle Gales : Nous avons pris la décision de garder nos crémants plus longtemps sur lies depuis longtemps. Pour cette raison, cette augmentation inscrite dans le cahier des charges de l’appellation ne nous impacte pas vraiment, ni sur le prix ni sur d’autres facteurs.

Antoine Clasen : Je pense que la plupart des producteurs n’augmenteront pas leur prix pour 3 mois de plus.

Lisa Vesque : Chez nous, la durée de stockage n’est pas une donnée qui influera sur une hausse prochaine du prix des crémants. En ce moment, si nos prix montent, c’est à cause de la hausse du coût des matières premières (NDLR : bouteilles, papier pour les étiquettes, carton pour les emballages…), pas du stockage. Le prix peut également être déterminé par le millésime.

Michèle Mannes : Nous sommes limités par la place et nous réfléchissons à construire un nouveau hall de stockage, ce qui va coûter cher… Donc oui, augmenter la durée de stockage va provoquer davantage de dépenses au domaine et il faudra, à un moment ou un autre, les répercuter sur le prix des bouteilles. Ce sera une conséquence tout à fait logique.

Faut-il aller encore plus loin ?

Lisa Vesque : Pas nécessairement. Un vieillissement plus long influence le style, donc chaque exploitant doit pouvoir suivre sa philosophie.

Isabelle Gales : Les 12 mois sont un bon compromis pour les vignerons de la Moselle luxembourgeoise, je n’irai pas au-delà pour l’instant.

Antoine Clasen : Chaque vigneron doit voir si cela lui apporte quelque chose, si l’évolution et la vinosité correspondent au style de crémant qu’il veut produire. Certains peuvent rester à 12 mois sur lattes pour garder un caractère vif et fruité, mais si d’autres souhaitent des cuvées plus élaborées, elles devront rester plus longtemps en cave.

Michèle Mannes : On peut toujours aller plus loin pour augmenter la qualité, mais est-ce que ce sera logistiquement faisable pour tout le monde ? C’est une autre question.

Les crémants millésimés doivent-ils, eux aussi, suivre le mouvement ?

Lisa Vesque : Toutes les cuvées ne vieillissent pas de la même façon, chaque cépage influence la façon dont le crémant va évoluer dans le temps. Par exemple, les cuvées 100 % riesling vont développer des arômes d’hydrocarbures qui ne plaisent pas à tout le monde. Une cuvée avec un pourcentage élevé d’elbling livrera au cours de son vieillissement des notes d’amande qui ne favorisent pas le produit final. La qualité ne se fait donc pas uniquement avec la durée sur lattes, mais grâce à un compromis entre ce temps et le type de crémant que l’on veut produire.

Michèle Mannes : Les crémants millésimés doivent rester au minimum 24 mois sur lies. Mais pourquoi ne pas monter à 3 ans, comme pour les champagnes ? On pourrait y réfléchir.

Antoine Clasen : Oui, pour moi, les millésimés devraient rester encore plus longtemps sur lattes.