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Crassier d’ArcelorMittal : la solitude du lanceur d’alerte


Karim Ben Ali : « Je veux prouver aux gens que j’ai raison. » (Photo : Armand Flohr / Republicain Lorrain)

Une santé fragile et un parcours professionnel stoppé net. C’est la nouvelle réalité de Karim Ben Ali, à l’origine de l’enquête sur la pollution du crassier d’ArcelorMittal, au cœur d’un documentaire diffusé à Serémange, près de Hayange.

Il est planté là, seul, dans une allée de la petite salle de cinéma de Serémange-Erzange. Adresse un signe discret à son fils, 9 ans, qui se faufile entre les fauteuils. Un balancement incontrôlé trahit son malaise. La situation a quelque chose d’étrange : fin 2016, Karim Ben Ali, l’ancien intérimaire sous-traitant d’ArcelorMittal Florange, se filmait alors qu’il déversait un liquide jaune fluo sur le crassier du géant sidérurgique. De l’acide, prétend-il. Hier soir dimanche, il revenait là où tout a commencé. Dans la Fensch, mais en tant que spectateur d’un documentaire qui lui est largement consacré : Pollution, alertes citoyennes sur le net, du journaliste d’investigation Pedro Brito Da Fonseca.

L’extrême fatigue que confesse le trentenaire creuse ses cernes. Les somnifères demeurent ses compagnons de nuit. Le poids de la bataille de « David contre Goliath » lui fait courber le dos. C’est le sort réservé aux lanceurs d’alerte. « En France », murmure Karim Ben Ali, las, « on est montré du doigt bien plus que l’on est aidé. »

« J’ai encore des choses à dire »
La condamnation d’ArcelorMittal pour gestion irrégulière de ses déchets ? « C’est léger. Comme McDo qui triait mal ses poubelles », raille-t-il. « Ils risquent quoi, 75 000€ d’amende ? » Lui, en revanche, continue à payer cher le poids de ses révélations. Problème d’odorat qui l’empêche de sentir « l’odeur du premier gâteau de [son] fils », des yeux qu’il soigne « avec des gouttes ». Et une situation professionnelle au point mort : « Je suis toujours au chômage. J’ai sollicité 162 boîtes, envoyé des CV. Même en intérim, on ne veut pas de moi. »

Le chauffeur routier s’excuserait presque de « ne savoir que rouler ». Sa quête d’un travail à tout prix pourrait le pousser loin de sa famille, « peut-être en Bretagne », hasarde-t-il, loin d’une femme fragilisée par les événements. « Oui, j’ai été entendu, je suis invité à des événements. Je vais aller au salon “Des Livres et L’Alerte” à Paris, par exemple. Mais ça m’apporte quoi ? Je fais tout ça pour me défendre, pas pour le plaisir. Je suis seul contre 15 milliards d’euros et je n’ai toujours pas de boulot. »

Alors que ses mains, un peu pataudes, ne savent que faire du micro qu’on lui tend, une liste de soutien circule dans les rangs clairsemés de la salle de cinéma. Un représentant de la Fensch Insoumise, à l’initiative de la projection, prévient : une cagnotte en ligne a été ouverte sur Leetchi « pour soutenir Karim dans ses démarches juridiques ». L’intéressé promet qu’il n’est pas encore à terre. « Sur les analyses, réalisées dans le cadre de l’enquête, j’ai encore des choses à dire. »

Joan Moïse (Le Républicain Lorrain).