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[Communales] Luxembourg-Gare : le casse-tête de la sécurité divise


De l'avis de tous les bords politiques, le service A vos côtés est désormais devenu essentiel. (Photo : Julien Garroy)

Alors que la majorité privilégie la voie répressive face à l’insécurité, les partis d’opposition déi gréng-LSAP-déi Lénk défendent, eux, une série de mesures sociales.

Avec l’augmentation de la délinquance dans la capitale ces dernières années, la sécurité s’impose comme l’un des enjeux majeurs des élections communales. Les infractions y ont bondi de 20 % entre 2021 et 2022, aggravant le «sentiment» d’insécurité.

Un terme que la bourgmestre ne veut plus entendre : «Ce n’est plus un sentiment mais une réalité», soutient Lydie Polfer en boucle, pour justifier le gardiennage privé qui a suscité l’ire de l’opposition, ou l’interdiction de la mendicité, retoquée par la ministre de l’Intérieur.

La situation sur ce front ressemble à un casse-tête, en particulier à Bonnevoie et à la Gare, où s’entrechoquent misère sociale, toxicomanie et criminalité. Élus locaux et ministres s’y cassent les dents, tandis que les habitants, désabusés, désertent le quartier.

Le CSV ressort une mesure qu’il avait enterrée

Après des mois de pression sur le gouvernement pour obtenir plus de patrouilles de police, le CSV ressort l’idée d’une police municipale… qu’il avait lui-même enterrée en 1999. «À l’époque où ça a été supprimé, la situation dans le pays était différente», fait valoir la tête de liste des chrétiens-sociaux, Serge Wilmes.

«La capitale comptait 80 000 habitants contre 133 000 aujourd’hui. On estimait que deux corps de police n’avaient plus de sens, pour des questions de coût notamment», retrace-t-il, avant de taper sur la coalition gouvernementale.

«Les effectifs de police n’ont pas suivi l’énorme croissance démographique. Moins de 300 policiers sont affectés à la Ville», indique-t-il, ajoutant que les communes restent responsables de l’ordre public et de la salubrité, sans moyen direct de les faire respecter.

Une énième mesure électoraliste pour l’opposition

«Une vraie frustration», d’autant qu’il estime que le travail de prévention et de proximité doit être assuré par la police. Mesure aussitôt reprise dans le programme du DP : «Le bourgmestre doit pouvoir définir où sont les priorités d’intervention, car c’est lui qui est au plus proche du terrain», scande Lydie Polfer, qui brigue un nouveau mandat à la tête de la commune.

Mais l’opposition déi gréng-LSAP-déi Lénk y voit surtout une énième mesure électoraliste, et reproche au tandem Polfer-Wilmes des réponses axées principalement sur la répression, quand c’est toute la vie de quartier qui a été délaissée depuis des décennies.

L’option d’une police municipale ne me semble pas réaliste

Les trois partis estiment que d’autres pistes sont à creuser, vu la pénurie d’agents qui troue actuellement les effectifs de police, comme celle des Pecherten, dont les pouvoirs ont été étendus : «On voit bien que la présence de l’autorité sur le terrain est essentielle.»

«Recrutons davantage d’agents communaux et mobilisons-les», propose Gabriel Boisante, cotête de liste du LSAP. «Ils peuvent verbaliser les incivilités et appeler la police si besoin», avance-t-il, rejoint par les verts et la Gauche.

«L’option d’une police municipale ne me semble pas réaliste», abonde François Benoy, candidat écolo au poste de bourgmestre. «Il faudrait une loi, ce qui prendrait des années, alors qu’il nous faut des solutions en urgence.»

Mobiliser les moyens immédiatement disponibles 

La question du timing est aussi cruciale pour Ana Correia de déi Lénk : «On doit faire avec les moyens existants. Ça veut dire plus d’intervention sociale, le recours aux Pecherten, et un plan d’urbanisme favorisant l’éclairage et la vie de quartier», tranche-t-elle.

Le socialiste Gabriel Boisante mise sur le recrutement massif de Pecherten pour assurer une présence de l’autorité.

Car parler d’insécurité autour de la Gare renvoie immanquablement aux récents bouleversements qu’a subis ce quartier : les travaux du tram avenue de la Liberté, la désertification des commerces – une vingtaine d’enseignes ont quitté l’avenue de la Gare en deux ans, dont les mastodontes H&M et C&A – sans oublier les confinements, qui ont achevé de vider ces artères passantes.

Lydie Polfer pointe les conséquences de l’arrivée du tram

«Le tram a changé beaucoup de choses, c’est un fait. Le chantier a été très dur à vivre, et ça a des conséquences sur l’organisation du trafic», reconnaît Lydie Polfer.

«Il n’y a plus de passage dans l’avenue de la Gare désormais réservée aux bus.» Résultat : le trafic de drogue n’a pas eu de mal à prendre le dessus dès 2019, livrant les rues moins fréquentées au manège des dealers et des clients, y compris en pleine journée.

Soulager l’Abrigado qui déborde

L’opposition veut décentraliser les structures d’aide sociale pour commencer. «La situation autour de l’Abrigado est à la fois malsaine et indigne», déplore François Benoy.

«Toutes les populations y sont accueillies sans distinction : femmes, jeunes, personnes engagées dans un programme de substitution. Ces groupes, il faut les prendre en charge ailleurs, dans des antennes plus petites», plaide-t-il, ajoutant que la Ville bloque là-dessus. Le ministère de la Santé aussi cela dit.

Déi Lénk pointe que Bonnevoie concentre la moitié des 18 structures d’aide sociale de la commune, et épingle la majorité DP-CSV qui exclut toute délocalisation de peur de heurter les résidents d’autres quartiers. Même constat côté socialiste : «L’Abrigado fonctionne au-delà de sa capacité maximale. Ne mettons pas le problème sous le tapis.»

Si le collège échevinal ne souhaite pas s’engager dans cette voie, il cite quand même le projet d’un centre pour femmes dépendantes, éloigné de la Gare.

Un problème d’encadrement pour le Housing first

L’opposition pousse aussi pour développer l’offre de logements à bas seuil – concept du Housing first – afin de faciliter le premier pas des bénéficiaires vers la stabilité et la réinsertion. «La Ville dispose de 25 studios seulement. Il faut multiplier ce nombre par dix», jugent les verts. Des hébergements rudimentaires qui doivent être associés à un suivi social.

«Mais comment assurer cet encadrement dans un secteur qui manque de main-d’œuvre qualifiée?», interroge la bourgmestre, qui ajoute que la Ville «fait déjà énormément», en investissant 45 millions d’euros par an dans sa politique sociale.

Le service «À vos côtés», plébiscité par les habitants et dont l’efficacité est saluée par tous les bords politiques, en fait partie. Cependant, ces équipes de streetworkers ne suffisent pas. De quoi apporter de l’eau au moulin du CSV et sa solution de police locale, à ceci près que cette mesure dépend de l’hypothétique retour des chrétiens-sociaux au gouvernement en octobre prochain.

«Un tiers des commerces inoccupé : il y a urgence»

Pour revitaliser le quartier Gare, le commerce est la clé. «Un tiers des surfaces commerciales est inoccupé. Il y a urgence, donc on doit penser différemment», martèle Gabriel Boisante (LSAP).

«Pour remplir les rez-de-chaussée, incitons les propriétaires à pratiquer des loyers sous le prix du marché et compensons avec des allègements sur les taxes communales», suggère ce patron de cafés-restaurants.

Favorable aux pop-up, il défend une version plus solide : «Si la greffe prend, les propriétaires s’engageraient pour au moins trois ans, la Ville prenant à sa charge le delta», poursuit-il. Quant aux grandes surfaces, moins évidentes à louer, il y voit de l’associatif, des salles de sport et des bureaux partagés.

Un nouveau city manager

François Benoy, lui, veut recruter un city manager pour trouver des solutions avec les commerçants et soutient l’achat de cellules par la commune pour les relouer ensuite à moindre prix à ceux qui voudraient se lancer.

Le premier échevin le rejoint : «La Ville doit se doter d’une politique d’acquisition ou de location de surfaces pour y installer des commerces pérennes et avoir une influence sur l’offre commerciale», explique Serge Wilmes (CSV).

La bourgmestre, elle, assure que ramener du passage avenue de la Gare est une priorité, et qu’elle «discute beaucoup avec les commerçants». Elle se dit notamment ouverte à l’opportunité de dévier certaines lignes de bus.