Cinq ans après le feu vert des communes concernées, le projet de fusion est au point mort. À charge des futurs élus de remobiliser les citoyens pour enfin concrétiser la Nordstad et l’imposer comme troisième pôle d’attractivité du pays.
L’enjeu est de taille. Avec 25 000 habitants, la fusion des communes de Bettendorf, Diekirch, Ettelbruck, Erpeldange-sur-Sûre et Schieren propulserait directement la Nordstad au rang de troisième centre d’attractivité du pays, derrière les agglomérations de Luxembourg et Esch-sur-Alzette.
Mais encore faut-il que ce serpent de mer, évoqué pour la première fois dans les années 1970, aboutisse, car sur place, on ne peut pas dire que le projet suscite l’engouement.
Un dossier «largement sous-estimé»
Les discussions en cours depuis 2018 ont été mises en pause cet automne, et le référendum repoussé à plus tard : une décision des trois «petites» communes qui ont préféré faire un pas en arrière, estimant que le projet a encore besoin de mûrir, là où Diekirch et Ettelbruck pesaient sur la pédale de l’accélérateur.
«On est encore tout au début, il n’y a même pas de déclaration d’intention», rappelle Pascale Hansen, bourgmestre de Bettendorf. Coprésidente du syndicat intercommunal Nordstad ces dernières années, elle pense que «ce dossier a été largement sous-estimé, y compris par le gouvernement» et qu’il vaut mieux ne pas se précipiter.
«Les gens ne voient aucun intérêt à la Nordstad»
Un contretemps qui irrite Jean-Paul Schaaf, à la tête d’Ettelbruck depuis 20 ans : «Je suis déçu. Après cinq années à analyser les finances communales, les projets, et avec la position du gouvernement et l’avis de la population, on disposait de suffisamment d’éléments pour se prononcer», estime le député CSV qui brigue un cinquième mandat communal.
Ce à quoi Pascale Hansen rétorque que le travail en commun doit s’intensifier alors qu’il accuse une perte de vitesse mais surtout, qu’un gros effort pédagogique doit être fait auprès des citoyens.
«Pour l’instant, les gens ne voient aucun intérêt à la Nordstad. Ils craignent même une perte de proximité et de qualité de vie», observe l’édile, qui se dit consciente des angoisses de ses administrés, tout en y voyant une opportunité pour son village.
Les nouveaux élus devront convaincre
«À cinq, on peut gérer des infrastructures qu’il nous serait impossible de porter seuls», met-elle en avant, citant l’exemple d’un projet de centre aquatique. «Le défi des nouveaux élus sera de convaincre les habitants que ces projets concrets peuvent vraiment améliorer leur quotidien», annonce-t-elle, prête à passer le relais.
Du côté de Diekirch, le bourgmestre Claude Thill fait le même constat, avec une certaine amertume : «Les gens ne veulent pas d’une pochette surprise, ils ont besoin de bien connaître le projet avant de voter au référendum.»
«Sans le Covid, le calendrier aurait été tenu»
Une mission d’information que le syndicat Nordstad, doté d’un budget spécifique, aurait sans doute mené à bien s’il n’avait pas vu sa stratégie de communication mise par terre au printemps 2020.
La pandémie a empêché toutes les réunions publiques et considérablement compliqué la mobilisation, reconnaissent les élus. Résignés, un certain nombre d’entre eux auraient fini par glisser l’épais dossier de la fusion sous la pile.
«Sans le covid, c’est sûr, le calendrier initial aurait été tenu», assure Jean-Paul Schaaf.
Une affaire de gros sous
Mais la crise sanitaire n’a pas été le seul obstacle. Cette mégafusion est aussi une affaire de gros sous, et sur ce point, gouvernement et conseils communaux n’ont pas la même calculette.
«Nous avons réclamé 5 000 euros d’aide étatique par habitant de la commune fusionnée», indique Pascale Hansen, soit un total dépassant les 120 millions d’euros.
Proposition rejetée par le gouvernement, qui pensait s’en sortir pour moins de 30 millions d’euros, avant de se raviser, et d’annoncer l’octroi de 60 millions d’euros pour accompagner la naissance de la future Nordstad.
Un subside «à côté de la plaque»
«C’est à côté de la plaque», critique vertement Jean-Paul Schaaf, «sachant qu’Ettelbruck et Diekirch supportent déjà des coûts qui relèvent de missions nationales, et ce, sans aucun soutien», dénonce-t-il.
Il cite notamment les 1,5 million d’euros annuels déboursés pour le Conservatoire de musique du Nord, ou encore les équipements sportifs communaux qui profitent en grande partie aux lycées.
Une dette envers les habitants
De l’argent épargné par l’État sur le dos des communes, jugent les élus, et qui doit aujourd’hui revenir aux habitants de la Nordstad. Claude Thill est catégorique : «60 millions d’euros, on a répondu que ça ne suffisait pas. Ces 120 millions que nous demandons sont totalement justifiés», confirme le bourgmestre de Diekirch.
D’une même voix, ils listent également les nombreux avantages d’un pôle Nordstad pour l’État, en termes d’emploi, de mobilité ou encore d’éducation.
Sans oublier l’envergure du projet : «Si les cinq communes se mettent d’accord, il s’agirait de la fusion la plus importante jamais organisée, rassemblant 25 000 personnes à court terme, mais 30 000 à 35 000 à l’avenir. Le gouvernement doit en tenir compte et rectifier le tir au niveau financier», revendique Jean-Paul Schaaf.
Un appel qui n’a jusqu’ici pas été entendu par la ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding, en charge du dossier.
2026, un challenge «énorme»
Prochaine étape : cet été, les cinq communes plancheront sur leur déclaration d’intention, document officiel qui déclenchera la rédaction d’un projet de loi, pour une fusion effective au plus tôt en 2026.
«C’est le timing qu’on s’est fixé, et le challenge est énorme», insiste Claude Thill. «On fera le maximum pour organiser le référendum à mi-mandat, malgré les préoccupations des gens qui ont totalement changé aujourd’hui», admet-il.
«Ce sera aux citoyens de trancher»
Selon le nouvel agenda, basé sur l’hypothèse d’un «oui» au référendum, la commune fusionnée Nordstad pourrait être officiellement créée par la loi au 1er janvier 2026.
Les cinq conseils communaux – qui comptent 54 élus au total – seraient alors dissous et des élections anticipées lancées. «Quoi qu’il arrive, ce sera aux citoyens de trancher», conclut Pascale Hansen.
«Des communes de seconde zone?»
Véritable feuille de route pour le développement du pays, le Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) identifie les orientations et objectifs politiques à mettre en œuvre en fonction des régions.
Ce document, élaboré par le ministère de l’Aménagement du territoire, a aussi un poids dans la participation de l’État aux finances communales, un volet géré par le ministère de l’Intérieur.
Les ministères se contredisent
Or, en ce qui concerne la Nordstad, les deux ministères ne sont pas sur la même longueur d’onde : là où le PDAT reconnaît Ettelbruck et Diekirch comme un centre de développement et d’attraction national (CDA), la loi sur les finances communales ne leur confère pas ce statut, les privant au passage d’une aide substantielle.
En termes de dotation, les deux communes du Nord ne sont ainsi pas logées à la même enseigne qu’Esch-sur-Alzette, CDA de même niveau. «La loi de 2016 sur les finances communales prévoit un supplément annuel de 25 % pour les CDA moyens», explique Jean-Paul Schaaf.
«Ça met de l’huile sur le feu»
«Un avantage que perçoit bien la ville d’Esch, mais pas nous, le gouvernement ne nous l’accorde pas», s’agace le député-bourgmestre, qui chiffre le manque à gagner à 70 millions d’euros depuis l’entrée en vigueur de la loi.
Autre source de crispations, la version 2023 du projet de PDAT a surpris en ajoutant Erpeldange-sur-Sûre au CDA Nordstad formé par Diekirch et Ettelbruck, mais en écartant Schieren et Bettendorf.
«Ça nous a choqués. Sommes-nous des communes de seconde zone?», interroge Pascale Hansen. «Ça n’aide pas la fusion à avancer, au contraire, ça met de l’huile sur le feu.»