Le ministre de l’Agriculture, Claude Haagen, évoque les tensions qui existent autour de la nouvelle loi agraire. La volonté de rester à l’écoute d’un secteur se disant dos au mur reste présente. Un sommet entre le gouvernement et les acteurs du secteur agricole doit avoir lieu en 2023.
La guerre en Ukraine, la sécheresse et l’explosion des prix de l’énergie pèsent lourdement sur le secteur agricole. S’y ajoute un bras de fer acharné sur le futur cadre législatif qui va s’appliquer aux agriculteurs luxembourgeois. Au bout d’une première année très compliquée à la tête du ministère de l’Agriculture, Claude Haagen dresse le bilan.
Au moment de succéder à Romain Schneider, début janvier, vous aviez annoncé vouloir mettre l’accent sur le dialogue avec le terrain afin d’apaiser des tensions déjà existantes. Près d’un an plus tard, les relations avec les agriculteurs restent toutefois très tendues. S’agit-il d’un échec?
Claude Haagen : Je continue à miser sur le dialogue. Et ce dialogue avec le terrain est intact. Les réunions, pourparlers et discussions sont nombreux. On se réfère toujours à la situation avant mon arrivée. Je n’ai aucune influence là-dessus. Dès le départ, ma porte était ouverte. Mais bien évidemment, il existe des dossiers tels que le Plan stratégique national (PSN) pour transposer la politique agricole commune (PAC) ou la loi agraire, où il n’est pas évident de prendre des décisions, d’autant plus que nous devons faire face à une situation de guerre et de pandémie. Déjà, en temps normal, les discussions sont compliquées.
Les critiques émanant du secteur sont toutefois très sévères. Les jeunes agriculteurs affirment sans détour que vous ne les prenez pas au sérieux, que leurs propositions pour la nouvelle loi agraire n’ont même pas été lues. Que répondez-vous à ces reproches?
Leurs propositions sont bien arrivées au ministère. Sur mon initiative, il a d’ailleurs été suggéré d’intégrer les revendications des jeunes agriculteurs dans l’avis officiel de la Chambre d’agriculture. Ainsi, elles sont inscrites dans un document parlementaire officiel qui est soumis aux députés. Les travaux en commission de l’Agriculture se poursuivent. D’après ce que je sais, une délégation de la Chambre d’agriculture sera encore entendue par la Chambre des députés (NDLR : l’entrevue est fixée au 9 janvier). L’avis en lui-même comprend des points sur lesquels on est d’accord, d’autres points sont plus critiques. Il faudra se pencher dessus et décider quels éléments pourront être intégrés dans le texte de loi.
Existe-t-il une volonté d’introduire des amendements gouvernementaux ou est-ce que vous allez laisser la balle dans le seul camp de la Chambre des députés?
Des amendements vont encore être formulés par le ministère de l’Agriculture. Cela me semble évident. Dès le départ, j’ai toujours affirmé que les avis qui sont rendus sur le projet de loi seront pris en considération. C’est tout l’intérêt de la procédure législative. Néanmoins, il faut que le texte final reste compatible avec l’accord de coalition et soit conforme aux directives européennes. Cela peut plaire ou pas, mais je tiens à souligner que la PAC a démontré tous ses mérites au fil des 60 dernières années. Je ne sais pas, surtout en cette période de crise, comment le secteur agricole luxembourgeois s’en serait sorti sans la PAC.
Début septembre, des centaines de croix vertes coiffées d’une botte rouge retournée ont fleuri le long des routes du pays. Elles sont le symbole du ras-le-bol d’un secteur se disant dos au mur. Dans la foulée de cette action, vous avez annoncé la tenue à court terme d’un sommet agricole. La volonté de tenir un tel sommet est-elle encore présente?
La volonté existe toujours. Il y a deux semaines, j’ai réceptionné une série de revendications à évoquer lors d’un tel sommet*. Maintenant que l’avis de la Chambre d’agriculture sur la loi agraire a été remis, le moment est venu de fixer une date.
Pouvez-vous déjà vous avancer sur une date plus précise?
Comme dit, la volonté est présente. Il nous faut désormais nous accorder sur une date avec tous les ministères (NDLR : État, Agriculture, Finances, Environnement) et acteurs concernés, y compris la Chambre d’agriculture et la Baueren-Allianz.
L’action des croix vertes coiffées d’une botte rouge retournée a été lancée par les jeunes agriculteurs et viticulteurs. Pouvez-vous comprendre les craintes exprimées par ceux qui constituent l’avenir du secteur?
Tout d’abord, le choix des couleurs pour cette action démontre que ce n’est pas uniquement un seul ministère qui est concerné (NDLR : le vert pour l’Environnement, détenu par déi gréng, et le rouge pour l’Agriculture, détenu par le LSAP). Mais peu importe. L’action a été lancée un vendredi et j’ai reçu dès le mardi d’après une délégation des jeunes agriculteurs et viticulteurs. D’autres entrevues ont suivi. On mène un échange continu. On ne peut pas affirmer que c’est l’un ou l’autre camp qui se montre trop têtu. Chacun émet ses réflexions. Je comprends leurs points de vue et je suis content de voir la jeune génération s’engager pour l’avenir de son métier. Il est du devoir du ministère de trancher quels sont les éléments qui peuvent être intégrés aux textes de loi. Mais parfois, vous avez aussi des revendications émanant des jeunes qui vont à l’encontre de ceux émis par des agriculteurs plus chevronnés. Ce n’est donc pas un seul camp qui détient la vérité absolue. Il ne s’agit pas d’une critique, mais d’un constat.
Ce sont toujours deux articles du projet de la loi agraire qui provoquent l’ire du secteur, dont la limitation de l’augmentation du cheptel. Vous avancez des contraintes écologiques pour justifier ce point. Comptez-vous encore faire des concessions?
Il nous faut trouver le bon équilibre. Pour assurer un avenir durable du secteur agricole, et plus particulièrement des jeunes agriculteurs, il est toutefois nécessaire de prendre des décisions incisives. J’entends toujours qu’il y a 15 ans, on incitait les exploitations à s’agrandir. Aujourd’hui, on les invite à limiter le cheptel. Je comprends cette critique, mais je ne peux pas dire si les décisions prises il y a 15 ans étaient les bonnes. Je regarde la situation actuelle par rapport à l’avenir. Le plus simple pour moi aurait été de ne rien faire. Or cela n’aurait en rien servi la cause du secteur.
La discussion sur la nouvelle loi agricole a lieu dans un contexte particulièrement tendu, accentué par la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine. Moins de deux mois après votre assermentation, l’agression russe est venue mettre en péril la sécurité alimentaire. Comment le secteur vit ces mois de crise?
Les aides que nous avons été en mesure d’accorder à la fois sur le plan national et européen permettent d’atténuer l’impact de la guerre sur le secteur agricole. Nous continuons d’ailleurs à les mettre en œuvre. Une discussion va s’ouvrir sur les aides à accorder en 2023 pour les engrais, intrants et l’énergie. Les montants pourront être revus à la hausse. Le secteur porcin a encore pu profiter jusqu’en juin des aides covid. Jusqu’à fin août, l’aide de 15 centimes d’euro sur les carburants a été accordée.
Le bilan de la récolte des céréales est satisfaisant, au contraire de celui de la production fourragère. Malgré ce bilan mitigé, la sécurité alimentaire est-elle toujours assurée au Luxembourg?
Tout à fait. Le problème est davantage lié au prix de la production et de la distribution des aliments. Entretemps, avec le plafonnement des prix, la situation se détend un peu. Ce qui nous cause toujours des soucis, ce sont les coûts élevés liés à la production, que ce soient les prix de l’énergie ou les prix pour les engrais et le fourrage. Les pourparlers des 27 États membres sont engagés avec la Commission européenne pour trouver des solutions en prévision de 2023.
Luxembourg : une récolte 2022 mitigée
Le changement climatique et la nécessaire transition écologique sont d’autres défis majeurs pour le secteur agricole. Quel est, à vos yeux, le rôle que les agriculteurs ont à assumer dans ce contexte?
Je les vois comme des partenaires à part entière. Si on n’implique pas les acteurs du terrain dans la transition écologique, on ne va pas aller très loin. Bien évidemment, les contraintes et obligations qui sont à respecter constituent un important surplus de travail pour les agriculteurs et, aussi, une charge financière supplémentaire. Comme par le passé, la nouvelle loi agraire va prévoir des subventions majorées pour les investissements dans les exploitations en elles-mêmes, mais aussi les machines agricoles, la technologie et l’écologie. Il faut être tous conscients que la transition écologique va nécessiter d’importants moyens financiers. Pour moi, cette transition est à comparer à celle qui a eu lieu après la crise sidérurgique. Aujourd’hui, on se trouve dans une crise environnementale et nous nous devons d’aider les acteurs du terrain d’un point de vue trésorerie et investissements. C’est le seul moyen pour allier agriculture et environnement.
La transition écologique est à comparer à celle qui a eu lieu après la crise sidérurgique
Le changement climatique nécessite aussi le recours à d’autres types de culture, y compris au Luxembourg. Une revendication est de pouvoir cultiver davantage de fruits. Or pour l’instant, les autorisations pour des serres feraient défaut. Êtes-vous disposé à investir davantage dans cette piste?
Pour ce qui est des serres à ériger en zone verte, le ministère de l’Environnement s’apprête à faire des exceptions, notamment si le lieu d’implantation se trouve près de zones d’activités et à condition qu’il s’agisse d’une activité agricole primaire. Une entrevue entre les ministres de l’Économie, de l’Environnement et de l’Agriculture a déjà eu lieu à ce sujet. Les travaux sont sur le point d’être finalisés, aussi pour permettre d’autres cultures au Luxembourg. Des subventions financières sont également prévues.
L’objectif de disposer, en 2025, d’une production agricole biologique de 20 % est-il toujours de mise? À deux ans de l’échéance, le pourcentage reste bien en deçà de 10 %.
Je ne suis pas en mesure de vous dire si l’objectif pourra être atteint. Par contre, le pourcentage ne cesse d’augmenter, lentement mais sûrement. En tant que ministère, nous avons engagé une coopération avec les crèches et maisons relais, afin de mieux promouvoir les produits bios. Dans la restauration collective, on demande désormais d’utiliser 50 % de produits locaux, dont 20 % de produits bios. Certaines crèches et maisons relais dépassent déjà ces quotas. La part du marché ne va cesser de croître, non seulement grâce à une hausse de l’offre, mais aussi en raison des subventions que nous pouvons accorder pour réduire la différence de prix d’un repas fait à partir de produits bios et conventionnels.
Tous les ans, une cinquantaine d’exploitations agricoles disparaissent. Une tendance inquiétante, selon vous, à un moment où la demande pour une production plus locale s’accroît?
Notre objectif est clairement de conserver une production locale qui est à diversifier. Le plus grand souci est le maintien des exploitations familiales. Il faut qu’elles puissent vivre d’une production écologique, sociale et économiquement rentable. Ces exploitations demeurent d’une grande importance pour le Luxembourg. On a tendance à oublier que, par le passé, l’agriculture a nourri à elle seule le pays. Il est bien que notre économie se soit diversifiée, mais il est important de continuer à garantir une production alimentaire nationale sans devenir encore davantage dépendant d’autres pays.
* En réponse à une question parlementaire urgente de Martine Hansen (CSV), le ministre Haagen précise que la Chambre d’agriculture veut notamment discuter lors du sommet agraire des thématiques suivantes : jeunes agriculteurs, la loi agraire, les objectifs de réduction des émissions d’ammoniac et des aides à l’investissement.