La réalisatrice hongroise Ildiko Enyedi adapte un classique littéraire de son pays pour raconter l’amour qui unit et divise un couple. Un film à l’ancienne sur le mystère et l’absolu des sentiments.
Avec quatre films sélectionnés au festival de Cannes, Léa Seydoux était l’une des actrices les plus attendues sur le tapis rouge en mai dernier. Mais voilà, testée positive au covid-19, elle a dû faire une croix sur le grand ramdam du 7e art, laissant alors le grand gaillard qu’est Gijs Naber bien seul. Ce dernier, lors de la présentation de The Story of My Wife, alors en compétition officielle, ne trahissait pas ses sentiments : «Elle me manque beaucoup», lâchait-il dans un sourire triste, précisant que ce film a été un «voyage personnel avec elle». Apparemment, pour sa première apparition d’envergure au cinéma, le comédien néerlandais reste, même loin du grand écran, proche de son personnage : fragile et un peu perdu.
Chercher à expliquer le mystère et l’absolu des sentiments
Caméra d’or à Cannes pour Mon XXe siècle (1989), la cinéaste Ildiko Enyedi, en adaptant un classique de la littérature hongroise de Milan Füst (1942), revient à son obsession : chercher à expliquer le mystère et l’absolu des sentiments, comme c’était déjà le cas avec Corps et âme (2017), Ours d’or à Berlin. Elle donnait alors sa version du sens de l’existence : «Il faut prendre des risques si l’on veut vraiment vivre!». Une nouvelle fois, elle s’applique à cette philosophie, qu’elle a elle-même expérimentée, précisait-elle sur la Croisette. «Je suis mariée depuis 32 ans. Avec mon mari, on s’est promis de vivre ensemble dès la première nuit, mais il a fallu apprendre beaucoup l’un sur l’autre.»
Il faut prendre des risques si l’on veut vraiment vivre!
C’est ce que va découvrir un loup de mer, Jakob, jeune capitaine à l’aise sur les flots, mais déboussolé quand la terre ferme approche. La réalisatrice tient à préciser : «Il croit dans les règles claires qui régissent la société, il contrôle sa vie.» Malgré tout, il lui manque un petit quelque chose, qui se manifeste chez lui par la sensation d’avoir une pierre coincée dans l’estomac.
La «maladie du marin», assure le cuisinier-confident, qui lui conseille pour se soulager de trouver une compagne. Le robuste navigateur fait alors le pari avec un ami qu’il épousera la première femme qui franchira le seuil du café où les deux hommes boivent. Ce sera Lizzy (Léa Seydoux), femme du monde «intelligente et mystérieuse», détaille Ildiko Enyedi.
«Ce film, c’est un long voyage pour comprendre le monde.»
Ici, ce sont deux mondes qui se confrontent, compliquant encore plus les relations de pouvoir entre les deux sexes. Mais aux discours sur le regard «féminin» et «masculin», la réalisatrice se veut plus subtile et moins dogmatique. Une question de sensation, dirait-elle. Elle donne un exemple : «Sur le bateau, il y a le son de l’eau, du vent, du bois, du métal… Une fois au sol, il y a le bruit, l’activité de la ville, les bavardages… De nouvelles impressions pour Jakob, qui doit y faire face!». Gijs Naber confirme : «Dès qu’il joue ce petit jeu amoureux, son monde s’écroule! Mais il est prêt à se battre pour changer, découvrir ses démons. Il est positivement entêté!». Il lâche, définitif : «Ce film, c’est un long voyage pour comprendre le monde.»
Construit en sept chapitres, équilibrés entre Paris et Hambourg, The Story of My Wife est une avancée labyrinthique sur la fusion entre les êtres, l’amour, le couple, la différence entre les hommes et les femmes… Le capitaine, comme ballotté par des flots invisibles, confie ainsi : «Pourquoi je n’arrive pas à mettre de l’ordre dans ma misérable vie?».
Un film qui vaut pour ses détails
On y parle de lassitude et de passion, d’union et de détachement, d’honnêteté et de manipulation. Au fil de leurs rendez-vous manqués, de leurs infidélités (avec notamment Louis Garrel), de leurs tromperies et de leurs jalousies, le couple cherche à sortir la tête de l’eau. C’est pourtant sous la surface que ce film tient sa singularité.
En effet, malgré un indéniable soin esthétique et une approche sérieuse – avec notamment la reconstitution réussie de la Mitteleuropa des années 1920 –, The Story of My Wife vaut surtout pour ses détails : un mot, un geste, un silence… Un peu «comme si on surfait sur la réalité des choses», explique la réalisatrice qui, pour ce faire, étale son film sur presque trois heures. Un choix qui permet de saisir, en toute simplicité, le temps et la vie qui passent.
Et si pour elle, le «processus d’apprentissage est douloureux», c’est pour mieux apprécier la complexité de la passion amoureuse. «C’est une célébration de l’amour!», dira même l’acteur, avant de plonger son regard mélancolique sur le siège vide à ses côtés.
The Story of My Wife, d’Ildiko Enyedi.