Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Tourné à Nancy et alentour, Sage-homme raconte le parcours d’un garçon qui intègre l’école de sage-femme, coincé entre la honte et l’envie de défier les préjugés. Un film qui se démarque par sa pédagogie, sa sincérité et son duo d’acteurs.
On avait découvert Melvin Boomer à l’automne dernier, dans l’excellente série d’ARTE qui retraçait la naissance du mouvement hip-hop en France, Le Monde de demain, où il incarnait JoeyStarr, moitié du groupe NTM. Avec Sage-homme, le jeune acteur opère un virage à 180° pour son premier rôle au cinéma, celui de Léopold, un étudiant qui intègre une école de sage-femme après avoir raté son examen d’entrée en médecine. Un choix entrepris sans autre motivation que d’utiliser sa formation comme seule «passerelle» vers la médecine. Seul garçon dans un milieu exclusivement féminin, il revoit ses certitudes grâce à Nathalie (Karin Viard), sage-femme expérimentée qui va lui donner une autre vision du métier.
Pour ses débuts à l’écran, le danseur de breakdance devenu acteur restait dans son milieu de prédilection, le hip-hop; avec ce nouveau rôle pourtant «assez éloigné» de lui, il explore le «milieu professionnel de (ses) proches» : «Ma mère et ma sœur travaillent dans la petite enfance, donc le sujet m’a tout de suite parlé», explique-t-il. À la lecture du scénario, «ce qui m’a touché, c’est que tout part d’un échec. Léopold rate médecine. Il le vit comme une blessure profonde, une honte», poursuit Melvin Boomer, remarquable de justesse. Pour ne pas perdre la face devant son père, ex-policier devenu vigile, Léopold lui cache qu’il suit une formation de sage-femme et fait croire qu’il a réussi son examen d’entrée. La réalisatrice, Jennifer Devoldère, analyse : «Son monde s’écroule et il n’arrive pas à assumer vis-à-vis de lui-même et de son entourage. C’est un garçon qui sort à peine de l’adolescence et qui n’a pas encore la maturité suffisante pour prendre du recul.»
Tout ce qu’on voit à l’image s’inspire d’anecdotes dont on a été témoins, qu’on a lues ou qu’on nous a relatées
Parallèlement au dilemme intime et familial du protagoniste, la cinéaste suit sa formation et filme le quotidien de l’unité de sages-femmes avec une approche quasi documentaire, basée sur des stages en hôpital, de nombreux entretiens avec des sages-femmes, femmes et hommes, et de véritables professionnels et étudiants qui apparaissent dans le film. «On a pris conscience que chaque accouchement a sa propre histoire et son lot d’incidents imprévisibles. On a aussi été frappés par le brassage de populations et par la misère psychologique, sociale, économique qui règne dans les hôpitaux. Tout ce qu’on voit à l’image s’inspire d’anecdotes dont on a été témoins, qu’on a lues ou qu’on nous a relatées.»
Jennifer Devoldère raconte que ce que vit Léopold dans le film, «c’est une réalité du stage médical en général : on prend de très jeunes gens encore en construction, qui souvent n’ont pas quitté le cocon familial, et on les plonge dans la violence hospitalière». La rencontre du jeune homme avec Nathalie est décisive : reconnue par tout le service comme une «superwoman» qui a tout vu, elle est aussi un électron libre en froid avec une hiérarchie qui privilégie l’administratif et les chiffres à l’humain. Leur dynamique sert de moteur qui fait évoluer le film dans sa trame, mais aussi émotionnellement. Jennifer Devoldère : «C’est la rencontre entre un garçon dont la mère est morte jeune et une femme qui n’a pas bien su entretenir sa relation avec ses enfants. Ce sont deux personnes qui réparent quelque chose.»
Dans le rôle de la sage-femme, Karin Viard excelle et incarne à elle seule tout l’esprit du film. La réalisatrice, une amie, dit s’être inspirée d’elle pour le caractère de Nathalie, mais l’actrice dit avoir surtout «aimé cette manière de parler des femmes, de leur intimité, de leur pudeur, de leur rapport au corps, à cette hauteur-là, car peu de films abordent ainsi la féminité». Pour Melvin Boomer, avoir Karin Viard pour partenaire «a été un privilège» : «C’est devenu ma tutrice!», s’exclame le jeune homme, qui souligne avoir grandi et trouvé sa vocation d’acteur sur le tournage.
Il serait un peu facile de mettre en avant la dimension féministe du film, évidente bien que jamais revendiquée, de la même manière que les dysfonctionnements du milieu hospitalier occupent une vraie place dans le scénario, mais toujours en filigrane. La cinéaste explique qu’en France, «la formation de maïeutique s’est ouverte aux hommes en 1982. Ces derniers restent toutefois très minoritaires avec seulement 4,5 % des sages-femmes actives. Parmi ces hommes, la plupart travaillent à l’hôpital. Aucun n’est enseignant.» Jennifer Devoldère a choisi de tourner à Nancy et alentour, à la fac de sciences et à l’hôpital de Brabois, des bâtiments qui portent les stigmates du temps, soulignant implicitement les failles du système de santé. Un décor authentique pour un film certes didactique et aux enjeux scénaristiques convenus, mais qui montre avec brio «la réalité du métier et du fonctionnement d’une maternité», avec beaucoup de pédagogie et de sincérité, et sans aucun tabou.
Sage-homme, de Jennifer Devoldère.
