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[Cinéma] Piccolo corpo : le chemin de croix d’une mère


Dès sa première scène, Piccolo corpo impose sa condition, en équilibre entre le magique et le réel : sur une plage, au cœur d’un ancien village de pêcheurs, on assiste à une procession, juste bercée par le bruit de l’eau et d’un chant a cappella.

Au milieu, une silhouette se dessine, celle d’Agata, couvert d’un voile blanc, à la fois mariée et fantôme. Un baiser délicat posé sur son ventre rond, une incantation – «que le malheur passe et qu’arrive la grâce» – et une entaille faite dans sa main au couteau pour éloigner les démons… Laura Samani, pour son premier film (salué à Cannes en 2021 où il était présenté à la Semaine de la critique), raconte l’Italie dans ce qu’elle a de plus mystique : celle qui mêle, dans des circonvolutions hasardeuses, la religion et les croyances païennes.

La réalisatrice s’est intéressée particulièrement à une tradition peu connue, qui s’est pourtant étendue jusqu’à la fin du XIXe siècle : celle des pèlerinages vers des sanctuaires dits «du souffle» – à cette époque, dans les Alpes, on en dénombrait plus de 200 en France. Ceux qui faisaient ce chemin avaient perdu leur enfant à la naissance. Et alors que la femme, meurtrie, souffrait en silence et seule, l’homme entreprenait le périple afin d’espérer un miracle : celui d’une ultime respiration. Car un bébé qui naît et ne respire pas ne peut pas être baptisé, le condamnant, selon la religion catholique, aux limbes. Mais ici, Laura Samani inverse les rôles et envoie sur les chemins scabreux une femme, au courage et à la foi tenaces. Une odyssée initiatique en guise de chemin de croix.

En effet, pour Agata, la cérémonie initiale n’a pas eu les effets escomptés. Mais malgré les douleurs, au corps et à l’âme, elle refuse de laisser sa fille mort-née à son funeste destin. Le «petit corps» placé dans une boîte, comme une relique portée à même le dos, elle part, fixée sur sa mission mystique, sur les routes du nord-est de l’Italie qui, en ce début du XXe siècle, n’est autre qu’un pays pauvre, rural et encore peu unifié. Sa rencontre avec Lynx, sorte de vagabond solitaire au lourd secret, pas totalement fille, pas totalement garçon, lui apportera la protection nécessaire. Avec au bout du voyage, pour lui comme pour elle, une rédemption tant espérée…

Piccolo corpo – notamment récompensé au dernier festival de Villerupt – est une œuvre rare qui a la bonne idée d’être concise. Car ici, les rebondissements, comme les dialogues, sont rares, afin de laisser toute la place à l’atmosphère et aux élans poétiques. Le film, sorte de fable qui mixe l’Ancien Testament et les frères Grimm, repose entièrement sur cette ambiance, suspendue entre réel et spirituel. Ici, le bruit du vent, de la pluie, des pas dans la neige, accompagne l’odyssée d’Agata, des montagnes hostiles aux sentiers escarpés jusqu’aux mines inquiétantes. Le tout filmé en grande partie en lumière naturelle, au son du dialecte et des chants traditionnels du Frioul et de Vénétie. On pense alors aux productions épurées des frères Taviani, de Roberto Rossellini ou encore d’Ermanno Olmi.

Mais derrière la dimension picturale et la pure beauté plastique, Piccolo corpo, sans pathos, donne à réfléchir : sur la notion de perte, la maternité et surtout sur la condition des femmes. Laura Samani filme le corps d’Agata de façon crue, charnelle : il y a les règles, les montées de lait, ces cheveux qu’on lui coupe comme monnaie d’échange. Et cette souffrance à fleur de peau, dans chaque muscle. Partant d’un sentiment très humain (la disparition d’un enfant), elle tisse un film avec des femmes, et sur des femmes. Une émancipation incarnée par un duo d’actrices poignant (Celeste Cescutti et Ondina Quadri) qui, ce n’est pas rien, accompagne la naissance d’une future grande cinéaste transalpine.

Un film qui marque la naissance d’une future grande cinéaste transalpine

 

Piccolo Corpo de Laura Samani

avec Celeste Cescutti, Ondina Quadri…

Genre drame

Durée 1 h 29

 

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