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[Cinéma] Les «troubles» irlandais d’Andy Bausch


Little Duke apparaît comme un autoportrait allégorique d’Andy Bausch face au «nouveau» cinéma luxembourgeois, celui de la coproduction internationale et de la reconnaissance qui en découle. (Photo : Paul Thiltges productions)

Drame familial et comédie de vieux copains sur fond de lutte des classes : Little Duke, le nouveau film d’Andy Bausch, déroule les thèmes chers au cinéaste. Avec mollesse et un soupçon d’attitude réac…

Le Little Duke est une chimère, l’illusion que l’on pourrait faire du neuf avec du vieux. Le pub ouvert il y a une éternité par O’Hara, un Irlandais venu exporter sa culture de la boisson à Luxembourg, est désormais la propriété de Mil (André Jung) et Schumi (Luc Feit), une fois que leur père adoptif passe l’arme à gauche.

Si le second, cuisinier de métier mais clairement pas de vocation, abandonne sa friterie en Belgique à l’annonce de la triste nouvelle pour faire son retour dans la capitale, le premier, lui, n’a jamais quitté sa ville, gagnant chichement sa vie comme portier dans – ou plutôt devant – une boutique de luxe. Comme tous les «vrais» habitants du Pfaffenthal, Mil a été au fil des ans le témoin de la transformation de son quartier et de la capitale. Il a aussi vu sa fille devenir accro à la drogue et entamer une interminable descente aux enfers, à tel point qu’il s’occupe à temps plein de son petit-fils.

Un héritage, dit-on, ne marque pas nécessairement la fin de tous les problèmes. Mil et Schumi ont beau être réunis à nouveau, leur bar est mal en point. Et pas seulement parce qu’on peut presque sentir à travers l’écran les odeurs de renfermé, de cigarette froide et de bière séchée qui y règnent, mais aussi car, dans une ville tournée vers l’avenir et la construction, le Little Duke est une relique du passé, à l’image de la camionnette garée devant le pub, qui «n’a plus roulé depuis cinq ans».

Un lieu de résistance à la modernité

Andy Bausch nous avait confié que «tout (s)on cinéma flotte dans une temporalité floue», il s’en amuse ici en redoublant de détails entre un intérieur vétuste – téléphone gris-beige à cadran, télé cathodique sur laquelle on ne peut regarder qu’une cassette, celle d’un match de foot vieux de 40 ans… – et des extérieurs hypermodernes ou en reconstruction. Dans le contexte de deux propriétaires qui refusent de vendre leur bar à un promoteur immobilier aux dents longues pour honorer une promesse, le Little Duke devient donc un lieu de résistance à la modernité.

Les «petites gens» et ceux qui vivent à la frange de la société ont toujours été au cœur du cinéma d’Andy Bausch; et depuis Rusty Boys (2017), il faut croire que les «vieux» font désormais partie de sa bande de marginaux. À travers cette histoire de types bloqués par des soucis d’argent et de famille, le réalisateur trouve un nouveau moyen de traiter les thèmes qui traversent toute son œuvre. À ceci près que Little Duke, esthétiquement, tient plutôt du téléfilm que de l’œuvre de cinéma, et que les questionnements déroulés ne peuvent plus trouver de place que dans un récit mille fois rebattu. La lutte des classes, illustrée par des éléments pourtant intéressants – l’ascenseur vitré du Pfaffenthal sert de liaison entre la Ville-Haute des riches et la ville basse des pauvres –, ne brille ainsi plus que par sa mollesse.

Il faut croire que les « vieux » font désormais partie de la bande de marginaux d’Andy Bausch

Si le «Troublemaker» fut un temps le punk du cinéma luxembourgeois, son nouveau film transforme l’anticonformisme en attitude réac. Au point de faire du personnage du curé, représentant de la seule institution contre laquelle il est de bon ton de se rebeller, le seul véritable opposant à la gentrification agressive du quartier. Ailleurs, le fond du message est encore plus clair : les Français sont odieux, les Belges puent la frite, les Italiens sont malfaisants, et tous se sont donné le mot pour mener le «vrai» Luxembourg à sa perte. On passera sur les considérations discutablement comiques concernant certains hommes politiques du pays et le livre de chevet du protagoniste, intitulé Comment s’exprimer dans un monde politiquement correct

Little Duke apparaît finalement comme un autoportrait allégorique d’Andy Bausch face au «nouveau» cinéma luxembourgeois, celui de la coproduction internationale et de la reconnaissance qui en découle. Le cinéaste à la casquette se verrait ainsi comme une sorte d’Astérix luttant envers et contre tout pour la sauvegarde d’une exception culturelle contre l’envahisseur. Son plaidoyer pour la survie du patrimoine est certes louable. Mais si l’exception luxembourgeoise, c’était justement l’ouverture au monde, et pas la complaisance de s’encroûter dans du «vieux» cinéma?

Little Duke, d’Andy Bausch.