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[Cinéma] «Corsage» : impératrice au bord de la crise de la quarantaine


En mai dernier, au festival de Cannes, le rôle de Sissi a valu à Vicky Krieps le prix d’interprétation Un certain regard. Photo : ricardo vaz palma/alamode film

Vicky Krieps prête ses traits à Sissi dans le récit des dernières années, méconnues, de la vie de l’impératrice autrichienne. Une fable féministe et punk signée Marie Kreutzer.

Il suffit à Marie Kreutzer d’une seule image pour résumer «sa» Sissi : l’impératrice d’Autriche debout, dans une pièce trop étriquée pour elle. Même courbée, sa tête touche le plafond. Et, bien qu’elle se tienne à côté d’une table et de chaises minuscules, elle n’a rien d’une géante. Elle est une femme adulte dans une maison de poupée. L’allégorie n’est peut-être pas un modèle de subtilité, elle tient sa force de la mise en scène élégante de la réalisatrice autrichienne.

C’est ainsi, nous dit cette dernière, qu’Élisabeth de Wittelsbach se sentait à 40 ans, après avoir passé plus de la moitié de sa vie à se plier à l’impératif général – de la part de son mari, l’empereur François-Joseph, comme du peuple – de rester jeune et belle.

«Son histoire est celle d’une femme dont on exige qu’elle plaise encore, qui fasse tout ce que l’on attend d’elle pour être aimée», confiait Marie Kreutzer au Quotidien en mai dernier, dans la foulée de la première cannoise de son cinquième film, Corsage. Mais, plutôt que d’appuyer une détresse liée aux tragédies personnelles, la cinéaste réinvente Sissi en figure féministe et punk avant l’heure, qui fait exploser toutes les conventions et décide de vivre selon ses propres règles.

Doigt d’honneur

La coproduction nationale (Samsa Film) sort aujourd’hui sur les écrans du pays, précédée d’un accueil triomphant sur la Croisette et du prix d’interprétation Un certain regard pour Vicky Krieps (partagé ex æquo avec Adam Bessa pour son personnage à fleur de peau dans Harka, de Lotfy Nathan, coproduit lui aussi au Luxembourg, par Tarantula). Si l’actrice luxembourgeoise sera bientôt Anne d’Autriche, une autre reine fameuse, dans la superproduction française Les Trois Mousquetaires, Sissi trotte depuis longtemps dans sa tête.

«C’est elle qui a eu l’idée» de la porter une nouvelle fois à l’écran, avoue même Marie Kreutzer, quand, après leur première collaboration (Was hat uns bloss so ruiniert, 2016), elles s’étaient promis de retravailler ensemble. Pourtant, Vicky Krieps «ne savait rien du film avant que je ne lui envoie le scénario fini», poursuit la réalisatrice, qui s’est plongée dans l’histoire d’Élisabeth en travaillant notamment avec des historiens. «Je voulais lui faire une surprise.»

(Vicky Krieps) ne savait rien du film avant que je ne lui envoie le scénario fini. Je voulais lui faire une surprise

Oubliez donc le cliché des films d’Ernst Marischka avec la toute jeune Romy Schneider. «Sissi n’est pas une icône!», martèle Marie Kreutzer. Gonflée à l’énergie sauvage de la fiction, elle en devient pourtant une : sous les traits de Vicky Krieps, Élisabeth fume (souvent), feint l’évanouissement pour échapper aux pénibles chants à sa gloire, laisse l’empereur mariner derrière la porte de sa chambre tandis qu’elle reçoit ses supposés amants et quitte un repas en gratifiant les hôtes désobligeants d’un doigt d’honneur. Ce dernier geste, improvisé par «une actrice vraiment imprévisible (et) libre d’esprit», selon la réalisatrice, fait son effet…

Rôle physique

On est très loin des représentations habituelles de l’impératrice, mais Marie Kreutzer est formelle : «Le cœur du film raconte l’histoire que j’ai lue, avec beaucoup de liberté artistique.» Une fantaisie, anachronismes à l’appui, qui fait ponctuellement cohabiter l’héroïne et notre époque, pour faire valoir Élisabeth en figure moderne et post-#MeToo.

Si Marie Kreutzer a eu envie de raconter l’histoire de l’impératrice à 40 ans, c’est parce que cette période méconnue de sa vie lui permettait de remodeler Sissi, le symbole, pour la faire redevenir Élisabeth, la femme. «On sait tout ou presque de ses 20 ans (…) et sa mort est tout aussi célèbre, dit la réalisatrice, mais entre les deux, rien. Lorsque j’ai découvert qu’elle a beaucoup lutté avec cette image qu’on lui a créée et dont elle devait prendre soin, j’ai eu le sentiment qu’elle voulait y échapper.»

Entre deux âges – elle mourra assassinée à 44 ans –, Sissi continue d’être obsédée par son poids et son tour de taille, s’obligeant à étouffer toujours plus dans le corset qui donne son titre au film, et qui symbolise ici le carcan dont elle veut se libérer.

Il s’agit là du plus beau rôle de Vicky Krieps, mais aussi du plus physique. L’actrice a dû s’entraîner à nager dans l’eau glacée pour le besoin de plusieurs scènes, mais aussi, donc, à porter en permanence le fameux corset. «Pendant la préparation, on le serrait de huit centimètres en plus par jour, se souvient Marie Kreutzer. On sous-estime ce que cela signifie pour une actrice de ne pas pouvoir manger pendant la journée, de ne pas pouvoir respirer profondément, et le corset est devenu un sujet de conversation de plus en plus important durant le tournage. Il avait sa propre vie, d’une certaine façon, mais il était essentiel de le représenter comme une cage dans laquelle on l’enferme, aussi belle qu’elle soit.»

Corsage,

de Marie Kreutzer.

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