Arrivé en poste en septembre dernier, Christophe Bouchard est le nouvel ambassadeur de France au Luxembourg. Ce diplomate âgé de 62 ans va avoir de nombreux dossiers à gérer, notamment au niveau transfrontalier.
Vous êtes arrivé au Luxembourg à un moment assez important pour le pays, lors du changement de trône. Comment se sont passés vos premiers pas ?
Christophe Bouchard : Effectivement, j’ai eu la chance d’arriver à un moment qui n’arrive que tous les 20, 25 ou 30 ans avec l’avènement du nouveau Grand-Duc un mois après mon arrivée. C’était évidemment une chance pour moi, une opportunité d’abord, parce que c’est un moment important dans la vie du pays, et puis parce que ça a aussi permis une rencontre entre le président de la République et le nouveau Grand-Duc. Là aussi, en tant que nouvel ambassadeur, c’est toujours une chance d’avoir l’occasion d’organiser une rencontre au plus haut niveau entre les dirigeants de son pays et ceux du pays où on vient d’être nommé.
Le Grand-Duc Guillaume a déjà effectué une visite de courtoisie aux Pays-Bas, en Allemagne et en Belgique, trois des pays invités au Trounwiessel. Est-il prévu qu’il vienne en France ?
Oui, le Grand-Duc a fait part de son souhait d’effectuer une visite de courtoisie auprès du président à Paris. On est en train de chercher une date pour cette visite qui aura lieu prochainement.
Comment se portent les relations entre la France et le Luxembourg ?
Les relations entre nos deux pays se portent au mieux, parce que, bien sûr, nous sommes deux pays voisins dont les histoires sont entremêlées depuis des siècles. Et puis, surtout aujourd’hui, nous sommes deux pays qui partagent exactement les mêmes engagements européens. On est évidemment tous les deux des pays fondateurs de l’UE et tous les deux en faveur d’une construction européenne plus forte. Ensuite, on a le même engagement sur les valeurs et sur les grands sujets internationaux comme le multilatéralisme, la protection des droits de l’homme, le développement de la démocratie partout dans le monde, la lutte contre le changement climatique ainsi que pour la protection des minorités et de la diversité.
Et puis, sur les grands sujets internationaux, c’est pareil, nous partageons la même vision, la même ligne sur les grandes crises du moment : l’engagement en faveur de l’Ukraine et, au Proche-Orient, l’engagement en faveur d’une solution à deux États. Comme vous le savez, la France et le Luxembourg ont tous deux reconnu l’État palestinien en septembre.
Et évidemment, le voisinage, ça veut dire aussi une dimension humaine très importante avec tous les Français qui vivent au Luxembourg et puis ceux qui y travaillent mais vivent en France. Il y a également une présence économique avec beaucoup d’entreprises françaises au Grand-Duché, mais aussi beaucoup d’investissements qui vont du Luxembourg vers la France. Et pour rajouter encore un dernier élément, les relations sont extrêmement amicales, très proches entre nos dirigeants.
En tant qu’ambassadeur, organiser une rencontre au plus haut niveau est une chance
En ce moment, la France connaît une instabilité politique. Cela a-t-il un impact sur les relations, sur la manière dont vous devez travailler au Luxembourg ?
Non, il n’y a pas d’impact. C’est vrai que dans la période récente, il y a eu deux changements de gouvernement. Mais d’abord, à l’heure actuelle, nous avons un gouvernement qui travaille. Et puis, de toute façon, même quand les gouvernements changent, les administrations continuent à travailler. La seule conséquence concrète, c’est que ça a conduit au report de trois mois de la Commission intergouvernementale qui devait avoir lieu en septembre et qui aura lieu en décembre. Mais à part ça, le travail entre les deux gouvernements continue entre les deux pays.
Quand on parle de la construction européenne, on pense souvent à la relation franco-allemande ou au Benelux. Qu’est-ce que la relation entre la France et le Luxembourg peut apporter ?
La France et le Luxembourg, comme les deux autres pays du Benelux, ainsi que l’Allemagne et l’Italie, ce sont les six pays qui ont commencé l’aventure européenne. Le Luxembourg, en tant que pays cofondateur, a un rôle particulier à jouer. Depuis le début de la construction européenne, il y a des personnalités luxembourgeoises qui ont joué un rôle majeur, notamment en étant présidents de la Commission européenne.
Donc, je crois que le Luxembourg a toujours été un élément moteur dans la construction européenne avec bien sûr les autres partenaires présents au départ et puis les autres pays qui les ont rejoints depuis.
Quels sont les premiers dossiers auxquels vous vous êtes attelé ?
Il y avait bien sûr la relation politique, puisque le président de la République est venu quelques semaines après mon arrivée. Une visite du président de la République dans le pays où on est en poste, c’est toujours un moment particulier. Et sinon, le grand dossier prioritaire, c’est la relation transfrontalière. C’est clairement un dossier majeur, parce que ça impacte la vie de dizaines de milliers, même de centaines de milliers de personnes si on prend en compte toutes les familles. Ça impacte la vie du Luxembourg, la vie de toute la Grande Région.
Et donc nous devons traiter de l’ensemble des questions et des problèmes liés à ce phénomène : le transport, l’emploi, la fiscalité, la santé, l’éducation. C’est vraiment la priorité du début de ma mission et ça restera de toute façon une priorité pour cette ambassade.
Le Luxembourg a effectivement une particularité, c’est qu’il compte énormément de frontaliers, plus d’ailleurs que de résidents français. J’imagine qu’on ne peut pas faire l’impasse dessus.
Oui, bien sûr, c’est essentiel. Alors déjà, c’est vrai qu’il y a plus de frontaliers que de résidents, mais il y a quand même environ 60 000 Français qui vivent au Luxembourg. C’est, je crois, une des dix plus grosses communautés françaises dans le monde, et par rapport à la population de Luxembourg, évidemment, c’est un pourcentage important.
Mais, bien sûr, il y a les 126 000 frontaliers, qui ne sont pas forcément tous français. C’est important pour le Luxembourg parce que c’est une part essentielle de la population active qui fait fonctionner le pays et c’est une dimension essentielle pour les régions frontalières en France. Parce que ça impacte la vie, le fonctionnement des communes et des départements, essentiellement de Moselle et de Meurthe-et-Moselle.
J’imagine que vous devez aussi nouer des contacts et vous rendre en Lorraine.
Alors oui, ça, c’est une dimension que je n’ai pas connue dans d’autres pays, à Madagascar et au Niger, parce qu’évidemment, on était plus loin de la France. Mais oui, je passe beaucoup de temps à rendre visite et dialoguer avec les élus de Lorraine, mais aussi mes collègues fonctionnaires, les préfets, les sous-préfets, comme à Thionville. On a besoin d’être vraiment en contact. C’est une dimension qui est très passionnante, parce que cela incarne réellement au quotidien ce lien très étroit de part et d’autre de la frontière.
Pour rester sur les frontaliers, il y a énormément de dossiers comme vous l’avez dit. En quoi consiste votre rôle à ce niveau ?
Ce sont de multiples dossiers qui, côté français, concernent à la fois beaucoup de ministères différents ainsi que l’État mais aussi les collectivités locales, puisque, selon les sujets, certains sont de la compétence des régions, des départements ou des communes. Toutes ces administrations travaillent ensemble avec le préfet de Moselle qui est le chef de file côté administration française.
Moi, mon rôle en tant qu’ambassadeur, c’est plus particulièrement de faire le lien entre les visions des administrations françaises et celles de nos partenaires luxembourgeois. Je suis aussi là pour relayer auprès du Luxembourg les demandes de la France et faire part à mes collègues français du point de vue du Luxembourg.

Le nouvel ambassadeur aura notamment à s’occuper des nombreuses questions concernant les travailleurs frontaliers.
Et pour ce qui est des résidents français, quelles sont leurs préoccupations ?
Je n’ai évidemment pas rencontré, loin de là, tous mes compatriotes qui vivent ici, mais ceux que je rencontre sont, je crois, très heureux de vivre ici. Souvent, ils me disent qu’ils étaient venus au Luxembourg pour un travail de quelques années et puis ils ont décidé de rester bien plus longtemps. Parfois, ils restent même après avoir pris leur retraite. Donc, je crois que, globalement, ils sont très satisfaits de leur vie au Luxembourg.
Après, ils ont les préoccupations qu’on peut avoir dans tout le pays. Ceux qui ont des enfants se posent des questions sur la scolarisation. Évidemment, ils suivent la situation économique du pays, mais elle ne leur crée pas beaucoup d’inquiétude, je crois. Donc, je pense qu’honnêtement, c’est une communauté qui vit bien, qui est très heureuse d’être ici et qui n’a pas beaucoup de revendications particulières.
Au moment de votre prise de fonction, vous avez parlé de coopération économique et culturelle. Comment va-t-elle s’articuler ?
La coopération économique, elle se joue tous les jours avec les entreprises françaises, notamment les banques, mais pas seulement. Elles investissent et font du commerce ici. Dans l’autre sens, il y a aussi des investissements luxembourgeois vers la France. Notre rôle, c’est de favoriser ces courants d’affaires, de favoriser les intérêts des entreprises et leur développement au Luxembourg, mais aussi d’attirer en France des investissements luxembourgeois, parce que nous en avons besoin.
Nous devons nous concentrer sur un certain nombre de secteurs qui sont les priorités du Luxembourg et sur lesquels les entreprises françaises peuvent se positionner. Je pense à tout ce qui est nouvelles technologies. Il y a beaucoup d’entreprises françaises qui sont très en pointe dans le domaine de l’intelligence artificielle, il y a eu un accord il y a quelques mois avec Mistral AI par exemple. Mais il y a également le domaine des technologies quantiques qui est une priorité du Luxembourg. On essaye de faire en sorte que ces entreprises puissent trouver des marchés ici. Et puis, il y a le nouveau secteur de la défense, qui est une nouvelle priorité pour le Luxembourg. Là aussi, on va essayer de faire en sorte que les entreprises françaises puissent y contribuer.
On essaye de faire en sorte que les entreprises françaises puissent trouver des marchés ici
Le fait que le secteur de la défense se développe de plus en plus au Luxembourg est, j’imagine, plutôt bien vu du côté de Paris, par rapport à la situation en Europe, avec la guerre en Ukraine.
Alors, bien sûr, c’est un choix du Luxembourg, mais ça correspond effectivement à une volonté plus globale, notamment des pays de l’OTAN. Et c’est lié à la situation géopolitique en Europe. Clairement, en tant que voisin, en tant que partenaire très proche, on est particulièrement disposé à collaborer et à participer à cet effort. Comme vous le savez, il y a ce projet de bataillon belgo-luxembourgeois qui s’inscrit lui-même dans une coopération avec la France, puisque la Belgique et la France travaillent ensemble. Donc, il y aura des équipements français pour ce bataillon belgo-luxembourgeois.
Et au niveau culturel ?
Il y a le fait que nous partageons la langue française, même si on sait bien que le Luxembourg a la particularité de vivre avec plusieurs langues. Mais évidemment, nous favorisons et nous aidons toutes les initiatives qui visent à promouvoir la langue française et son enseignement. Les contacts culturels, c’est aussi favoriser les échanges entre les artistes, les intellectuels, les écrivains français et luxembourgeois.
Par exemple, la semaine dernière, pour la Luxembourg Art Week, il y avait beaucoup de galeries et d’artistes français qui étaient présents. Pour donner un exemple, il y a eu une coopération avec l’Ensad, l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy. Quatre jeunes artistes lauréats de l’école ont pu présenter leurs œuvres au public luxembourgeois de l’Art Week. Je pense aussi à la coopération universitaire, puisqu’il y a des parcours universitaires qui commencent au Luxembourg et continuent en France, et ça c’est un point très important aussi.
Au cours de votre carrière, vous avez été directeur de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Quel regard portez-vous sur la réforme de l’alphabétisation en français avec le projet Alpha ?
C’est une décision et un choix souverain du Luxembourg. Mais évidemment, tout ce qui favorise la langue française est regardé avec beaucoup d’intérêt. Après, il faudra voir les conséquences que cela peut avoir sur l’offre d’enseignement en français, puisque nous avons ici deux établissements scolaires qui suivent les parcours français (NDLR : le lycée Vauban et l’école privée Notre-Dame Sainte-Sophie).
Les familles auront toujours la possibilité de mettre leurs enfants dans ces établissements français, mais elles auront aussi peut-être plus envie de mettre leurs enfants dans le système luxembourgeois à partir du moment où l’enseignement en français commencera plus tôt dans le cursus.
État civil. Christophe Bouchard est né le 26 septembre 1963 à Vanves. Il est marié.
Formation. Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’École nationale d’administration (ENA).
Carrière. Entré au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en 1989, Christophe Bouchard a été ambassadeur à Madagascar (2019-2022) et au Niger (2011-2014). Il a également été ministre-conseiller à Alger (2005-2008), consul général et conseiller commercial à Miami (2001-2005), et a servi à Londres de 1991 à 1994.
Enseignement. À Paris, Christophe Bouchard a exercé les fonctions de directeur de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (2016-2019). Il est également président du conseil d’administration de l’université Rose-Dieng France-Sénégal depuis juin 2025 et du conseil d’administration de France Éducation International depuis 2023.
Décorations. Il est chevalier de la Légion d’honneur et officier de l’ordre national du Mérite.