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Christian Hahn : «L’agriculteur n’est pas celui qui cherche à détruire la nature»


«Les périodes de sécheresse peuvent être surmontées en misant sur d’autres variétés de cultures et en adaptant la façon de travailler», avance Christian Hahn. (Photos : julien garroy)

Christian Hahn, le nouveau président de la Chambre d’agriculture, se défend de l’image d’un secteur qui nuit à l’environnement. Bien d’autres problèmes préoccupent ses collègues. De grands espoirs sont placés dans le nouveau gouvernement.

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S’agit-il d’une révolution ? Non, répond Christian Hahn, venu déloger début avril Guy Feyder de la présidence de la Chambre d’agriculture. Il est le premier à ne pas être issu des rangs de la Centrale paysanne. L’élection pour renouveler l’institution représentative du secteur agricole marque toutefois un tournant, qui ne doit pas mener à une division entre syndicats agricoles. Car les défis sont de taille, avec en tête les effets du changement climatique, la hausse des prix de l’énergie et l’explosion des taux d’intérêt.

Le nouveau comité de la Chambre d’agriculture a une première fois été accueilli, mardi dernier, par la ministre Martine Hansen. Quelles sont les conclusions que vous pouvez tirer après cette entrevue ?

Christian Hahn : Le dialogue a été très constructif. On avait défini cinq thèmes prioritaires, avec en tête le retard de paiement des fonds alloués dans le cadre de la PAC (NDLR : politique agricole commune menée à l’échelle de l’UE). Le support informatique adéquat fait encore défaut. L’argent est attendu de pied ferme par les agriculteurs afin d’avoir une sécurité de planification. Des points plus techniques et administratifs ont été évoqués.

Rien que sur ces quelques exemples, on décèle l’importante charge administrative que vous subissez.

La documentation est nécessaire, mais elle est souvent trop importante et exigeante. Les déclarations de surface agricole peuvent être faites sur Guichet.lu. Or, la masse de dossiers introduits a dépassé les capacités du portail. Mais au-delà de ce couac, le remplissage des formulaires est très complexe.

Combien de temps consacrez-vous au travail administratif ?

Sur une année, on se rapproche des 20 % de l’ensemble du travail que nous abattons sur nos fermes. À un moment, le cumul des deux tâches devient ingérable. On déplore le fait d’être obligés de soumettre plusieurs fois les mêmes informations et documents. Je prends un exemple : toutes les vaches ont une marque auriculaire. La démarche fournit à l’État toutes les données nécessaires, ce qui n’empêche pas que l’on doive renseigner une deuxième ou troisième fois les mêmes données, dans le cadre d’autres démarches.

Le principe du « once only », promu par le nouveau gouvernement pour réduire sensiblement la lourdeur administrative, pourrait ou devrait-il aussi soulager le secteur agricole ?

On n’y est pas encore, mais nous sommes clairement demandeurs pour être intégrés dans la boucle.

Pour la première fois, le président de la Chambre d’agriculture n’est pas issu des rangs de la Centrale paysanne. L’objectif de votre liste « Aktiv Baueren fir eng staark Landwirtschaft » était-il de briser cette suprématie ?

Notre premier objectif était un rajeunissement du comité. On ne peut pas viser d’office la présidence. Par contre, notre équipe était tout à fait prête à prendre des responsabilités. On veut aider à faire bouger les choses. Le résultat obtenu démontre que le secteur souhaitait un changement. En partant de zéro, nous avons récolté un tiers des voix. Tout cela nous a amenés à relever le défi qui se présente à nous.

Il y a pourtant eu un bras de fer avec Guy Feyder, le président sortant du comité, qui n’était pas disposé à se mettre en retrait. Ces tensions ne risquent-elles pas de compliquer le travail que la Chambre est censée mener ?

Je peux comprendre qu’il a été difficile pour la Centrale paysanne de céder le siège de président, détenu depuis la création de la Chambre d’agriculture. Mais même s’ils ont gagné un siège de plus, leur majorité absolue a été brisée. Il nous a donc semblé logique qu’un élu de la nouvelle alliance prenne la présidence. L’intention n’était toutefois pas de mener la fronde contre l’un ou l’autre syndicat. Le bureau est constitué par un membre de chaque liste, y compris un viticulteur et, ce qui est inédit, aussi un maraîcher. Cette constellation nous permettra de représenter le plus largement possible notre secteur.

Auprès de nos confrères de la radio 100,7, vous avez lancé la piste d’une fusion entre les trois syndicats agricoles. S’agit-il d’une perspective réaliste ?

Les retours que j’ai obtenus à la suite de cette déclaration ont globalement été positifs. Je plaide pour une plus grande alliance. D’ailleurs, l’idée d’unir les forces a motivé la mise sur pied de notre liste comprenant à la fois des représentants de syndicats et des agriculteurs non affiliés. Mais ce n’est sûrement pas moi qui pourrai décider seul. En tant que président, je suis toutefois disposé à soutenir toute initiative qui peut aller dans ce sens.

Cette volonté d’unir les forces est une de vos priorités. Quels sont les autres dossiers sur lesquels vous et votre comité comptez travailler en premier ?

La communication vers l’extérieur. L’objectif est d’atteindre les consommateurs et de peser face à la politique. Mais il m’importe encore plus de nouer un contact plus étroit avec les agriculteurs. La promesse de revenir à une relation plus terre à terre nous a apporté beaucoup de voix. L’agriculteur sait peut-être que la Chambre d’agriculture abat un important travail, mais il n’est pas forcément conscient de ce qui est fait. Peut-être qu’il s’est, par le passé, senti moins bien représenté.

Un agriculteur se retrouve davantage chez un CSV ou DP que chez déi gréng

En début d’année, la colère des agriculteurs a éclaté un peu partout en Europe. Au Luxembourg, le mouvement est resté limité à une manifestation paneuropéenne des jeunes agriculteurs à Schengen. Avec un peu de recul, était-ce le bon choix de ne pas descendre avec les tracteurs dans la rue ?

L’action à Schengen a clairement ciblé la politique agricole européenne. Les raisons de la gronde dans les pays voisins avaient un caractère national. En Allemagne et en France, ce sont des taxes nationales qui ont fait déborder le vase. Au Luxembourg, le secteur agricole était dans sa majorité demandeur pour un changement de coalition. Un agriculteur se retrouve davantage chez un CSV ou DP que chez déi gréng. Il est aussi à rappeler que la culture de la grève est tout à fait différente au Luxembourg. Beaucoup ont poussé pour rejoindre le mouvement. Or, même si le secteur ne se porte pas bien, on ne pouvait pas mener la fronde contre un nouveau gouvernement, appelé de nos vœux, alors qu’il n’a pas encore eu la possibilité de prendre ses marques.

Est-ce que la lune de miel avec la ministre Martine Hansen est toujours en cours ?

La nouvelle coalition doit encore faire ses preuves. Mais si lors des 100 premiers jours, le gouvernement avait réussi à son tour à se mettre à dos le secteur, le Luxembourg aurait vécu les mêmes manifestations que les autres pays européens.

Quels sont les facteurs qui rendent malade votre secteur ?

Il est un fait que les prix de l’énergie nous plombent. La hausse des taux d’intérêt a un impact encore plus important. Nous sommes un secteur qui doit investir d’importantes sommes d’argent pour se conformer aux nouveaux défis et nouvelles obligations qui se posent. On est toutefois un des secteurs qui amortit le moins vite les investissements consentis. Si l’on sait que la construction d’une nouvelle étable, avec une durée de vie de 20 ans, ne sera rentable qu’au bout de 18 ans, les taux d’intérêt sur les prêts contractés nous font très mal.

Le changement climatique plombe-t-il également les agriculteurs ?

Les épisodes de pluie profitent plus à l’une qu’à l’autre exploitation. Les périodes de sécheresse peuvent être surmontées en misant sur d’autres variétés de cultures et en adaptant la façon de travailler. Ce que l’on ne peut pas contrôler, c’est le gel. Malgré tout, le secteur n’est pas encore suffisamment outillé pour trouver suffisamment vite les solutions adéquates pour faire face au changement climatique.

Le volet administratif, sur une année, se «rapproche des 20 % de l’ensemble du travail que nous abattons sur nos fermes», chiffre Christian Hahn. Photos : julien garroy

Quelles sont les autres méthodes de travail auxquelles vous faites allusion ?

Un exemple est l’emploi de pesticides. Je sais que les consommateurs veulent qu’on les emploie au minimum. Nous, agriculteurs, voulons la même chose. Leur coût est élevé et il est pénible de travailler avec. Notre objectif est d’avoir de bonnes récoltes. Toutefois, les conditions météorologiques peuvent influencer le rendement. Pour prévenir, par exemple, les maladies de cultures provoquées par la pluie, l’agriculteur doit, le cas échéant, recourir à des pesticides. En même temps, les cultures deviennent de plus en plus résilientes, ce qui réduit l’emploi de tels produits phytosanitaires.

La renouvellement pour dix ans de l’autorisation à employer du glyphosate est donc une bonne nouvelle ?

L’approche choisie est plus positive qu’une interdiction. Cela ne veut pas dire que les agriculteurs sont tous pro-glyphosate. Au Luxembourg, le nombre d’exploitations qui y renonce sur base volontaire est en hausse. Agir ensemble nous permet de mieux avancer dans la protection de la nature. L’agriculteur n’est d’ailleurs pas celui qui cherche à détruire la nature. La terre, l’eau et l’air sont ses outils de travail. Dans cet ordre d’idées, nous saluons que la ministre Hansen compte maintenir les primes pour renoncer au glyphosate.

Lors des années covid, les consommateurs se sont mis à acheter beaucoup plus de produits locaux. Cette tendance est-elle encore présente ?

Même si on n’atteint plus le niveau des années covid, les ventes directes sont toujours supérieures aux années précédant la pandémie. Je ne peux que conseiller aux gens de consommer local. Il nous faut cependant aussi bénéficier du soutien politique afin de créer, notamment, un cadre légal pour permettre à plusieurs exploitations de s’unir pour organiser une vente en direct. Pour l’instant, chaque agriculteur est obligé de limiter la vente à sa propre exploitation.

Qu’en est-il de la demande des grandes chaînes de distribution pour acheter du local ?

Des pourparlers informels sont engagés avec plusieurs acteurs du secteur, y compris de plus grandes chaînes qui hésitent encore à vendre des produits locaux. On sonde le terrain pour identifier les problèmes qui peuvent exister. Nous redoutons toutefois que le repreneur d’un réseau de supermarchés renonce à vendre nos produits. En tant que Chambre d’agriculture, on ne veut rien imposer, mais notre volonté est de bien travailler avec tous les acteurs.

Repères

État civil. Christian Hahn est né le 23 septembre 1983 à Luxembourg. Il est célibataire.

Formation. Il est titulaire d’un diplôme de technicien décroché au lycée technique agricole (LTA), alors basé à Ettelbruck (Gilsdorf aujourd’hui).

Agriculteur. En 2003, il intègre l’exploitation familiale à Roodt (commune d’Ell). En 2010, la transition de père en fils est lancée, achevée en 2015. L’exploitation est notamment spécialisée dans la culture de potirons.

Politique. Christian Hahn a occupé pendant une mandature (2011-2018) un poste d’échevin à Ell. De 2018 à 2023, il a siégé comme conseiller communal.

Syndicat. Déjà chef de file des Jongbaueren de 2007 à 2011, Christian Hahn est nommé, le 6 avril dernier, président de la Chambre d’agriculture. Il a intégré en 2019 l’assemblée plénière de la Chambre.