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Christian Bos : «Quand on parle de souffrance au travail, il faut un harceleur et un harcelé»


«C’est très lourd d’avoir quelqu’un qui mène une enquête de ce type et qui n’a pas forcément les outils pour le faire.»

Connu pour former des médiateurs professionnels en France et au Luxembourg, Christian Bos lance une nouvelle école et un nouveau métier : l’enquêteur en risques professionnels.

C’est un métier émergent qui cadre avec l’obligation qui pèse sur les employeurs de combattre le harcèlement moral ou sexuel et toutes les formes de discrimination. Christian Bos crée ainsi une école unique en Europe. Une formation va débuter à Luxembourg à la rentrée prochaine.

Vous avez créé l’Institut supérieur des enquêteurs en risques professionnels, l’ISERP, et vous allez maintenant former des candidats à ce nouveau métier au Luxembourg. Comment cette idée est-elle née ?

Christian Bos : Cela fait dix ans que je suis au Luxembourg, où je m’occupe de la formation à la médiation. Notre entreprise part à la fois d’une passion et d’une conviction qui est de dire que tout est histoire de perception et de comportement. Quand on parle de souffrance au travail, de harcèlement, il faut un harceleur et un harcelé. La question que l’on se pose, c’est de savoir si on peut un jour, être dans la peau d’un harcelé. La réponse est oui, car si un jour, je ne vais pas bien à cause de problèmes familiaux ou professionnels, j’ai toute mon ossature psychologique qui commence à faillir, et les choses que je vais entendre vont davantage me toucher. Mon ressenti sera alors d’être dans une situation de harcèlement. C’est d’abord un ressenti avant d’être des faits.

Est-ce votre expérience en tant que juge aux affaires sociales à Metz qui vous autorise à avancer cela ?

Je me suis aperçu qu’il y avait une recrudescence de dossiers qui arrivaient devant les juridictions où, systématiquement, était évoquée une situation de harcèlement. C’était, à la rigueur, ce qui justifiait les dommages et intérêts que devait payer l’employeur à la personne qui se sentait harcelée. Le juge a besoin de faits. Avant de vérifier s’il y a du harcèlement, il faut vérifier comment le salarié a averti son employeur et ce que ce dernier a entrepris dans ce contexte. Un entretien individuel a-t-il eu lieu? Éventuellement une formation, une enquête, etc.? Si l’employeur n’a rien fait, le juge considère déjà qu’il a tort, parce qu’il constate que l’employeur n’a pas protégé les salariés. Au Luxembourg, c’est encore différent, car en cas de situation de harcèlement, si l’employeur n’est pas intervenu, le salarié peut faire appel à l’Inspection du travail et des mines (ITM), qui peut faire une enquête et sanctionner, le cas échéant. C’est dur pour l’employeur.

Ce sont les chefs d’entreprise que vous voulez sensibiliser ?

Oui, en premier lieu, car ils ont des obligations légales. Vous savez, c’est très lourd d’avoir quelqu’un qui mène une enquête de ce type et qui n’a pas forcément les outils pour le faire. On ne s’improvise pas enquêteur, ce n’est pas une réunion où on va discuter autour d’une table. J’ai pu constater, au cours de ma carrière, qu’il y avait beaucoup d’enquêtes de convenance, menées par des gens qui ne sont pas formés pour ça. C’est en discutant avec des avocats, des magistrats que l’on a créé l’École nationale des enquêteurs en risques professionnels (NDLR : sous le chapeau de l’ISERP) pour en faire un métier nouveau. Le concept a séduit Tom Wirion, le directeur général de la Chambre des métiers, car les premiers à en payer le prix sont ceux qui ne sont pas forcément conscients qu’ils ont une entreprise au sein de laquelle ils ont un statut de patron et de manager. Quand un patron est visé par une plainte pour harcèlement, il est complètement démuni. Il faut informer les chefs d’entreprise et les former à ce risque pour qu’ils puissent intervenir en amont, de manière préventive. Cette école permet de former en France et au Luxembourg des enquêteurs en risques professionnels.

Quelle est la définition d’une situation de harcèlement ?

Le harcèlement, c’est notre perception d’une situation conflictuelle ou notre perception d’un mal-être. Le harcèlement moral, c’est un pot-pourri : le salarié peut être victime de la mauvaise humeur d’un supérieur ou d’un collègue, d’un désaccord avec une façon de travailler ou un point de vue, et il va alerter son employeur. C’est à ce moment-là que l’on parle, au minimum, de souffrance au travail, sans pour autant vivre une situation de harcèlement. C’est à partir du moment où le salarié commence à avoir une perception ou une émotion négative qu’il va rechercher des mots à ses maux. Plutôt que de parler de souffrance au travail, il va dire qu’il est harcelé, parce que c’est civilement et pénalement répréhensible. Que ce soit vrai ou pas, le salarié va dire qu’il est harcelé.

C’est à ce moment-là que les enquêteurs interviennent, mais que recherchent-ils ? Ils se mettent dans la peau du salarié qui se plaint ?

Toute la complexité d’une enquête consiste à aller chercher le manipulateur qui peut se trouver dans la présupposée victime, qui peut être la personne mise en cause ou encore le témoin. C’est tout un travail qui nous amène à être professionnels. J’attache autant d’importance aux victimes qui subissent du harcèlement qu’à ceux qui sont mis en cause injustement, car les deux souffrent. Les enquêteurs sont là pour aller chercher les faits qui vont leur permettre de dire si, oui ou non, nous sommes en présence d’un cas de harcèlement.

«Il vaut mieux investir dans une formation d’enquêteur, qui coûte aux alentours de 10 000 euros, que de payer des enquêtes externes.»

Faut-il avoir des prédispositions pour devenir enquêteur ou faut-il tout apprendre ?

Enquêter ne s’improvise pas, il y a une technique de recherche des informations, une technique de communication qui sert dans un premier temps à rassurer la personne que l’on a en face de nous et, dans un deuxième temps, à aller rechercher la vérité dans les émotions. Ce qui intéresse l’enquêteur, c’est de savoir ce que la personne a vécu, quand elle l’a vécu et comment elle l’a ressenti. Pour mener une enquête, il faut une écoute active, il faut être bienveillant, ne pas être impliqué émotionnellement par les récits qui sont livrés, utiliser des techniques de communication, avoir une compréhension de l’aspect juridique, parce qu’il existe une loi qui protège les salariés et les employeurs. Il faut avoir une analyse technique de l’entreprise, savoir ce qu’elle fait, les conditions de travail qu’on y trouve. Il faut être capable d’aller chercher dans les émotions des gens. J’ai vu des enquêtes menées par des consultants ou des juristes qui étaient catastrophiques à la fois pour le salarié, l’employeur et les partenaires sociaux.

On ne s’improvise pas enquêteur, ce n’est pas une réunion où on va discuter autour d’une table

Vous menez des enquêtes depuis une quinzaine d’années. La grande nouveauté, c’est la création de cette formation. Est-elle déjà reconnue ?

Ce diplôme va être reconnu par France compétences, puisque nous sommes en train de créer un nouveau métier. En France, notre formation est soutenue par l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de l’université de Lorraine et je suis en contact avec l’université du Luxembourg pour obtenir les mêmes dispositions. Cette formation est une nouveauté, tout comme l’arrivée au Luxembourg d’un groupement d’enquêteurs qui permettra à tous les chefs d’entreprise, à toutes les victimes, de faire appel à eux.

Quel est le niveau d’études requis pour entamer une formation d’enquêteur en risques professionnels ?

Cette question a fait l’objet d’une discussion avec France compétences. Il a été décidé de fixer un bac plus deux pour accéder à cette formation, tout en laissant la porte ouverte à toutes les personnes qui se sont construites toutes seules, moi-même étant autodidacte, et qui passeront devant une commission pour pouvoir intégrer la formation.

Les grandes entreprises compteront-elles dans leur effectif, à l’avenir, un enquêteur en risques professionnels ?

Oui, c’est tout à fait imaginable. Notre école s’adresse à trois cibles différentes. La première, c’est la personne qui veut devenir enquêteur indépendant et qui pourra s’installer sur le territoire luxembourgeois, comme cela se fait déjà en France.  Ensuite, elle s’adresse aussi à tous les étudiants qui font une école de management et qui veulent avoir un complément de formation. Et enfin, notre troisième cible, ce sont toutes les entreprises qui décident de nous envoyer un ou plusieurs salariés pour avoir leurs propres enquêteurs en interne. Je suis déjà en discussion avec certaines institutions qui sont intéressées à les intégrer au sein de leurs effectifs. Les dossiers sont traités en interne, et il vaut mieux investir dans une formation d’enquêteur, qui coûte aux alentours de 10 000 euros, que de payer des enquêtes externes qui peuvent varier de 15 000 à 25 000 euros.

Qui sont les formateurs ? Viennent-ils de différents horizons ?

Oui, nous avons des avocats, des magistrats, des enquêteurs, un ancien policier des renseignements généraux, mais aussi des gendarmes. Il y a les formateurs et les intervenants comme un médecin du travail, mais aussi des inspecteurs de l’Inspection du travail et des mines ou encore des psychologues.

Combien d’enquêteurs avez-vous déjà formés à Metz ?

Nous démarrons actuellement avec le premier groupe à Metz et cette session s’est très vite remplie, nous en démarrons une autre au mois de décembre prochain, qui est déjà complète. Ce sont des groupes de 10 à 12 personnes qui viennent aussi de tous horizons, du chef d’entreprise au consultant indépendant.

Quels sont vos objectifs aujourd’hui ?

Donner l’opportunité aux personnes qui sont formées de rejoindre un groupement d’enquêteurs européen, sous forme de franchise ou sous licence de marque. Mais nous voulons limiter le nombre de personnes que nous allons intégrer, pour pouvoir donner à la justice une identité sérieuse, réglementée et très exigeante. On peut imaginer aussi, et c’est une démarche que je mène en parallèle, obtenir l’aide juridictionnelle pour les enquêteurs, comme c’est déjà le cas pour les avocats.

Quelle valeur aura le rapport des enquêteurs devant la justice ?

Devant un tribunal, ce rapport sera un début de preuve qui aura autant de valeur qu’un témoignage. Il s’agit bien ici d’une mission d’enquête, et c’est à nous de faire en sorte que le rapport soit clair et factuel, car toute la difficulté se situe là. Quand un juge regarde notre rapport d’enquête, il doit avoir la certitude qu’il y a ou pas harcèlement. Nous avons quand même une compagnie d’assurances qui couvre tous nos enquêteurs dans l’exercice de leurs fonctions.

Avez-vous déjà des inscriptions pour la session que vous comptez démarrer à Luxembourg en octobre ?

Oui, nous avons déjà huit personnes inscrites et nous avons aussi des Luxembourgeois qui suivent déjà notre formation à Metz. Mon objectif est de faire quatre sessions par an à la Chambre des métiers, où je dispense depuis quelques années maintenant mes formations de médiateur.

Repères

Juge. Christian Bos, né le 10 août 1968, est juge au conseil de prud’hommes de Metz.

IEDRS. Il crée en 2012 l’Institut européen pour le développement des relations sociales (IEDRS). Depuis, avec ses équipes, il a formé plus de 200 personnes.

Médiation. En 2010, il organise la première rencontre nationale sur le thème de la médiation à l’Arsenal à Metz.

ISERP. Il crée en 2024 l’Institut supérieur des enquêteurs en risques professionnels (ISERP) et lance une première formation à Metz.

École. L’École nationale des enquêteurs en risques professionnels est unique en Europe. Après Metz, il propose également sa formation à Luxembourg, dont la première session est prévue à la rentrée prochaine.

Un commentaire

  1. nouari naghmouchi

    BRAVO A TOUTE LEQUIPE DU JOURNAL LE QUOTIDIEN.

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