Accueil | A la Une | Chiffres des violences faites aux femmes : le compte n’y est toujours pas

Chiffres des violences faites aux femmes : le compte n’y est toujours pas


(photo Adobe Stock)

Alors que le Luxembourg est pointé du doigt pour son manque de données fiables en matière de violences faites aux femmes, aucune mesure concrète n’est prévue pour y remédier.

Lancé en 2019, l’Observatoire de l’égalité avait suscité l’espoir, dans les milieux militants et associatifs, de pouvoir enfin disposer de statistiques fiables sur toutes les formes de violences faites aux femmes au Luxembourg, alors que le pays était à la traîne par rapport à ses voisins.

Or, cinq ans plus tard, force est de constater que peu d’efforts ont été faits, et peu de moyens alloués, pour mettre sur pied un système efficace et uniformisé destiné à la collecte de ces données. Ainsi, dans le premier rapport de l’observatoire publié en 2023, seul le volet domestique des violences est exploré, et encore, à travers des chiffres discutables.

La convention d’Istanbul n’est pas respectée

Ce sont les experts du Conseil de l’Europe qui le disent : dans ses conclusions rendues en juillet dernier, le Grevio, groupe chargé d’évaluer les mesures prises dans chaque État membre pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, souligne que «la collecte de données administratives au Luxembourg ne satisfait pas la convention d’Istanbul» qu’il a pourtant ratifiée dès 2018.

Ce texte impose aux signataires de dresser des statistiques spécifiques sur toutes les formes de violences subies par les filles et les femmes.

«Difficile de connaître l’ampleur du phénomène»

Ces experts indépendants ont identifié plusieurs problèmes majeurs. D’abord, ils notent que l’Observatoire de l’égalité ne fait qu’agréger des données existantes, et regrettent que certaines formes de violences – sexuelles, psychologiques, économiques, harcèlement, mutilations génitales, mariages forcés – passent totalement sous les radars.

«Difficile pour les autorités comme pour la société de connaître l’ampleur du phénomène» dans ces conditions, résument-ils.

Un tiers de femmes auteures de violences?

Le Grevio regrette aussi l’absence d’indicateurs communs à tous les acteurs du secteur, «ce qui limite l’évaluation précise» de la situation.

Quant aux violences domestiques, il relève – non sans une certaine surprise – que les autorités luxembourgeoises font état de 30 % de femmes auteures d’infractions en 2020 et 2021, contrairement à tous les autres pays, où elles sont très majoritairement victimes.

Une faille reconnue par le gouvernement lui-même, dans un commentaire joint au rapport final du Grevio : «Parmi les 30 % d’auteurs de sexe féminin, il n’est pas exclu que certains soient également considérés comme victimes de violence domestique.»

En clair, la méthode de comptage ne permet pas de compter correctement les victimes.

Des moyens qui manquent 

L’ex-ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes (MEGA), Taina Bofferding, a pourtant souvent insisté sur l’outil statistique comme base indispensable à toute politique efficace de lutte contre les inégalités de genre.

Il semble malheureusement que les moyens accordés à ce portefeuille n’aient pas été à la hauteur.

Comme nous le faisions déjà remarquer dans nos colonnes l’an dernier, l’enveloppe annuelle du MEGA ne représentait que 0,10 % du budget de l’État ces dernières années, soit 23 millions d’euros, dont 80 % versés directement aux structures conventionnées.

L’Observatoire de l’égalité devant, quant à lui, se contenter de 1,5 poste équivalent temps plein.

Après avoir passé au crible les mesures introduites par le gouvernement sortant, et conscients de ces obstacles sur le terrain, les experts du Grevio encouragent le Luxembourg à «étendre la collecte de ses données à toutes les formes de violences faites aux femmes», et surtout «à y mettre les moyens».

Aucun projet pour la collecte de données

Entretemps, les anciens responsables politiques ont valsé et les attributions du MEGA ont été revues – il couvre maintenant aussi la diversité, avec Yuriko Backes à sa tête. Alors, quelles actions l’observatoire prévoit-il pour améliorer la collecte de données sur les violences et répondre à ses engagements internationaux ?

Aucune. Dans le programme déroulé vendredi par sa responsable lors d’un séminaire au Statec, rien ne cible cet objectif. On est loin de la promesse de départ, qui voulait faire de cette structure «un centre de référence pour les statistiques sur l’égalité au Luxembourg».