Myriam Muller met en scène, à partir de vendredi au Grand Théâtre, « Breaking the Waves », pièce tirée du film homonyme de Lars von Trier.
Les cinéphiles se souviennent d’une époque où Lars von Trier faisait plus parler de lui pour ses films et les prix prestigieux qu’il remportait que pour ses frasques ou autres mots douteux. C’est à cette époque, en 1996, que sort Breaking the Waves. Le film se déroule dans un village isolé au nord de l’Écosse. C’est là que vit Bess, une femme-enfant angélique, qui épouse Jan, lequel travaille sur une plateforme pétrolière et se retrouve paralysé à la suite d’un accident. Pour qu’elle continue à vivre, il lui demande alors de coucher avec d’autres hommes. Ce qui choquera tout ce village, plutôt renfermé sur lui-même et à la pratique religieuse rigoriste. C’est ce même récit que met désormais en scène Myriam Muller.
« Je n’ai pas revu le film de Lars von Trier après sa sortie, il y a plus de 20 ans », lance d’entrée Myriam Muller quand on commence à parler de son projet Breaking the Waves. «En travaillant sur la pièce, je me suis rendu compte que beaucoup de gens ne connaissaient pas le film. En fait, c’est un truc de cinéphiles quadragénaires !» Et celle qui avait déjà travaillé sur l’adaptation scénique du film Blind Date ajoute : «C’est un film générationnel. Je trouve donc intéressant de raconter cette histoire à plein de gens qui ne la connaissent pas.»
Avec Chloé Winkel, Jules Werner, Brigitte Urhausen, Louis Bonnet, Mathieu Besnard, Olivier Foubert, Brice Montagne, Valéry Plancke et Clotilde Ramondou, on replonge donc dans l’histoire de Bess, Jan, Dodo, du Dr Richardson, etc. Dans ce monde clos, presque sectaire, où tout le monde a une place prédéfinie et doit s’en tenir à son rôle. Un monde où la religion tient une place centrale et où on a du mal à accepter toute présence extérieure.
Une situation qui n’est pas sans rappeler le contexte sociopolitique européen actuel avec «la difficile acceptation des migrants», note la metteure en scène qui a travaillé sur une adaptation préexistante de Viviane Nielsen et dont le Grand Théâtre présente la première version francophone. Mais, avant le contexte, il y a bien évidemment le texte. «Je ne vois pas ça comme quelque chose de dur. Cet aspect dans le film venait beaucoup de son hyper-formalité avec cette caméra qui bougeait dans tous les sens et qui donnait presque le tournis. Pour moi, c’est une histoire sur l’amour et la bonté. En tout cas, c’est ça qui m’intéresse. Parler du don de soi. Et essayer de voir ce que ça veut dire aujourd’hui de vouloir tout donner à quelqu’un, par amour.»
Une pièce à controverse
Des sentiments mal vus aujourd’hui, selon la metteure en scène : «La bonté, c’est quelque chose de totalement galvaudé aujourd’hui. Il y a cette idée du ‘trop bon, trop con’. Les gens ont peur des émotions, ils ont peur de pleurer, de rire, si ce n’est avec un côté intellectuel et cynique qui permet de garder les choses à distance. Là c’est un mélodrame. Un récit bourré de sentiments. Comme certains grands classiques du théâtre en fait !» Et elle poursuit : «Dans le théâtre on est souvent dans une forme très analytique qui garde une distance, mais là, j’avais envie de plonger entièrement dans cette histoire.»
La mise en scène se veut simple, à la fois proche et lointaine par rapport au film. S’il est toujours question d’un petit village et de plateforme pétrolière, le lieu n’est pas précisé, car le récit est universel.
Un récit dont l’aspect sexuel est «articulé différemment», d’autant que depuis la sortie du film en 1996 le regard porté sur la chose «a beaucoup changé». Mais cette soif de liberté et d’indépendance que représente Bess est encore parlante aujourd’hui, assure Myriam Muller. Selon elle, bien plus que le sexe, c’est le rapport à la religion et à ses excès qui risque de créer la controverse aujourd’hui au Grand-Duché.
De toute façon, la pièce – malgré un aspect «très accessible, avec des scènes courtes et simples, un langage simple, une histoire qui avance…» – est officiellement déconseillée aux moins de 16 ans et conseillée, surtout, à un public averti, amateur de mélodrame et, en même temps, très ouvert d’esprit.
Pablo Chimienti
Grand Théâtre – Luxembourg. Vendredi à 20h. Puis du lundi 4 au jeudi 7 février