Face à l’explosion des factures d’énergie et des charges, les patrons boulangers-pâtissiers ne s’y retrouvent plus, et c’est désormais le maintien de leur activité qui se joue, alors qu’un premier artisan vient de jeter l’éponge.
Fin d’année morose dans les boulangeries-pâtisseries du pays, où les fournées de Boxemännchen vont bon train, à quelques jours de la Saint-Nicolas : après avoir encaissé des augmentations de leurs charges en cascade ces derniers mois, ces patrons luttent pour sauver leur commerce.
En effet, dans la foulée de la crise sanitaire, la guerre en Ukraine a éclaté, faisant grimper le cours du blé et le prix d’autres matières premières – beurre, lait, œufs – bientôt suivis par les factures d’électricité et de gaz atteignant des sommets. Une situation intenable.
Plus aucun bénéfice
«Nous sommes très préoccupés», reconnaît d’emblée Jean-Marie Neuberg, président de la fédération des patrons boulangers-pâtissiers du Luxembourg. «Aujourd’hui, de nombreux confrères travaillent pour rien : ils n’arrivent plus à dégager un bénéfice. Et impossible de répercuter ces hausses sur leurs tarifs», poursuit-il.
«Dans notre secteur, les frais de personnel absorbent 50% du chiffre d’affaires, les matières premières 25%, les frais généraux, comme les loyers, 15 à 20%, l’énergie 6%, et il reste entre 5 et 7% de profit», détaille le directeur général de la Bäckerei Jos & Jean-Marie. «Mais ça, c’était avant», coupe-t-il net.
Les frais de personnel vont «peser très lourd»
«Actuellement, l’énergie engloutit le double du budget habituel, les matières premières atteignent 34%, il n’y a donc plus de place pour un quelconque bénéfice», démontre-t-il, ne cachant pas ses craintes pour l’année prochaine, alors que deux tranches indiciaires successives sont planifiées. «Les frais de personnel passeront alors de 50 à 55%, et ces 5% vont peser très lourd», anticipe Jean-Marie Neuberg.
Les acteurs les plus importants du secteur – dont il fait partie, avec 17 points de vente et 140 collaborateurs – s’attendent à un bénéfice nul l’an prochain et se préparent à puiser largement dans leurs réserves : «On espère un climat plus favorable en 2024, sinon ce sera une catastrophe», prévient-il.
Finies les cuissons dans la journée
De son côté, Jean-François Schafer, à la tête des établissements Tartefine et Gérard Cayotte, qui comptent une quarantaine d’employés, a dû prendre des mesures : «On a fermé deux points de fabrication pour tout réunir sur un site.
Faire tourner plusieurs laboratoires qui consomment énormément d’électricité et de gaz pour les cuissons creusait nos dépenses», explique-t-il.
Et pour économiser davantage, il n’y a plus de cuissons supplémentaires en cours de journée, quitte à ce que les étals soient clairsemés : «Même si c’est un peu juste, on évite de recuire pour ne pas rallumer le four. D’autant que l’atelier de fabrication est maintenant plus éloigné, ce qui veut dire plus de trajet et de frais de carburant», précise-t-il, ajoutant que les prix en magasin ont dû être adaptés.
«Pas le choix», regrette ce patron, qui appréhende aussi beaucoup l’impact des index à venir sur sa trésorerie. «On a gelé tous nos projets de développement. On s’efforce de maintenir notre volume d’affaires, et de tenir. C’est la survie», conclut-il, résigné.
«S’il ne reste rien, tant pis pour moi»
Et pour les petits patrons, la situation s’avère encore bien plus critique. Depuis plusieurs mois, Gilles Trombini, qui tient la boulangerie-pâtisserie du même nom à Esch-sur-Alzette, grignote ainsi ses propres économies pour ne pas voir sombrer son affaire et ses six employés.
«Je n’ai jamais connu ça en 20 ans», confie ce professionnel, qui tient bon pour l’instant : «Je prends tout sur mon dos. Je paye d’abord les salaires, ensuite les fournisseurs, et s’il ne reste plus rien, tant pis pour moi. Si ça continue, ça risque de devenir compliqué», reconnaît-il.
Augmenter ses prix : un crève-cœur
«Depuis la crise du Covid, je fais tout pour garder mon personnel, que j’ai augmenté en début d’année, parce que c’est dur aussi pour eux», souligne le boulanger, qui a dû se résoudre à augmenter ses prix de 5%. Un crève-cœur.
«Ça limite un peu la casse, mais bien sûr, ça ne couvre ni les 50% d’augmentation des matières premières ni le doublement de la facture énergétique. Augmenter encore, je m’y refuse. Ce serait du vol aux clients», estime-t-il.
L’aide de l’Etat ne suffit pas
Quant à l’aide de l’État, dans ce contexte, elle ressemble à une goutte dans l’océan : «La lettre que j’ai reçue dit que, en fonction de la hausse appliquée au gaz – qui est énorme – la moitié sera prise en charge. Au final, au lieu de payer trois fois plus pour le gaz, je ne payerai que deux fois plus», ironise Gilles Trombini, ajoutant qu’il ne bénéficie d’aucun autre soutien.
Acculé, un boulanger de Remich jette l’éponge
Deux mois que le rideau de fer s’est définitivement refermé sur les deux boulangeries-pâtisseries Claude Feltz à Mondorf et Remich. Alors que nos sollicitations sont restées sans réponse, ce boulanger dont le commerce était une institution sur les bords de Moselle depuis 1928, s’est confié en quelques mots, scotchés sur sa vitrine.
«En raison de l’augmentation catastrophique des prix de l’énergie – trois fois plus cher pour le gaz, deux fois plus pour la farine, +40% pour l’électricité – de la hausse de 20 à 30% des matières premières, de l’augmentation des salaires ces deux dernières années, et maintenant que les charges sociales accumulées pendant la pandémie doivent être payées en une seule fois, en plus de celles en cours, nous ne pouvons plus faire face à cela, malgré l’apport de fonds privés. C’est un gouffre sans fond. Je vous remercie, chers clients, pour vos décennies de fidélité.»