Thomas Gilles, coach de Hamm Benfica, sort du silence qui lui avait été imposé. Pour revenir sur un an d’une invraisemblable galère qui prendra fin dans un mois.
Cela fait quelques semaines déjà que le RM Hamm Benfica est officiellement relégué en Promotion d’honneur sans que cela soit une surprise. Et dans un mois, cette saison galère prendra fin. Après de très longs mois à garder le silence parce que cela lui avait été demandé, Thomas Gilles, son coach, désormais libéré de ces restrictions médiatiques («parce qu’à un moment, il faut arrêter de se comporter comme un club pro, surtout quand on n’a pas les structures»), a pris la liberté de parler de neuf mois d’une folie douce qu’il n’est pas près d’oublier et pour cause : il pourrait replonger pour une saison de Promotion d’honneur.
Vous apprêtez-vous à boucler la saison la plus dure de votre vie ?
Thomas Gilles : Je me suis retrouvé isolé à tous les niveaux. Pendant toute la saison, j’ai dû faire tout seul. J’ai même dû remplir les feuilles de match et laver les maillots à l’occasion. Je pourrais écrire un livre. Vous savez, quand vous reprenez l’entraînement sur un terrain pas tondu et pas tracé, avec des joueurs qui se permettent d’arriver en retard dès le premier jour… Et arrivé en hiver, j’ai dû apprendre à des gars que sur des terrains gras, il valait mieux mettre des crampons vissés. Je me suis demandé si je n’étais pas coach de patinage artistique à certains moments.
On en était à ce point-là d’entrée de jeu ?
De jeunes Luxembourgeois qui avaient la chance de jouer en BGL Ligue me disaient du jour au lendemain qu’ils devaient partir 15 jours en vacances. Il y en a un, il m’a dit qu’il n’avait pas trouvé le stade… un jour où on jouait à domicile. Ça a été dur, j’ai pris beaucoup de coups. Heureusement que je suis costaud. Au début de la saison, on n’était que quatre au club : le président Lopes, son fils, le directeur sportif et moi. Puis le fils du président a été muté en Espagne, donc on s’est retrouvés à trois. Puis le directeur sportif est parti…
Comment fait-on pour résister dans ces conditions et ne pas quitter le navire ?
C’est mon éducation. Quand je m’engage à faire quelque chose, je le finis. On critique beaucoup les coaches pour leur manque de fiabilité, mais pas moi. On m’a effectivement demandé pourquoi je n’étais pas parti, d’autant que beaucoup de gens ne se sont pas privés pour me dire que j’étais tombé dans un traquenard. Rendez-vous compte : pour le premier match de championnat, on était treize, avec le coach adjoint sur le banc donc j’ai tout de suite su que… Mais, et c’est important de le signaler, regardez les statistiques, lors de ce premier match contre la Jeunesse (NDLR : défaite 5-0), nous sommes l’équipe qui a effectué le plus de passes de toutes les équipes de DN sur la 1re journée de championnat : 614. Dont 93 % de réussite.
On a quand même voulu mettre des choses en place, malgré tout, au niveau du jeu. J’ai essayé de les faire jouer. D’ailleurs, vous, les médias, j’avoue que j’ai parfois trouvé que vous étiez injustes : quand une équipe ne gagnait que de justesse contre nous, c’était toujours leur faute et jamais notre mérite. Et on n’a jamais parlé de tous nos très bons juniors. Des gosses qui, il faut le rappeler, n’avaient plus joué depuis deux ans avec le covid. Ils se retrouvaient à un niveau qui n’était pas le leur – la plupart de mes joueurs ont le niveau Division 1 – sans repères, sans rythme, en manque de concentration… Avec des milieux qui jouaient défenseurs centraux, des attaquants qui jouaient arrières latéraux…
Mais pour revenir au projet, si tant est qu’on puisse l’appeler ainsi, quel était le sens de cette saison ?
L’objectif, en ce moment, c’est de ne pas fausser le championnat. On se bat pour ça. Et je ne pense pas qu’on puisse nous reprocher de ne pas nous être battus! Moi, je demande juste qu’on finisse les matches morts, les mains sur les genoux, même si on a du mal à fermer la boutique et qu’on s’est souvent retrouvés menés avant même la fin du premier quart d’heure. Et puis j’avoue : on est aussi contents de finir sans avoir dû faire un seul forfait alors qu’en décembre, je vous promets, c’était chaud. Dimanche, au Progrès, pour la première fois de la saison, je vais pouvoir faire ce que je n’ai encore jamais fait : aligner deux fois de suite la même équipe de départ!
Sur la deuxième partie de saison, j’avais 3 500 euros mensuels de masse salariale
Vous avez eu énormément de défections sur la saison…
On n’a pratiquement eu que des juniors sur le banc, en permanence. Après, ceux qui sont partis parce qu’ils étaient blessés durablement, je les comprends : ils étaient payés au match joué. Donc ils ne touchaient rien. Comment voulez-vous qu’ils gardent leurs appartements dans ces conditions ? C’était inévitable. Une fois, il y a un mec, après notre défaite 9-1 contre le Progrès (NDLR : en novembre), il m’envoie un message qui dit : « Dieu est grand, t’es pas un coach, arrête d’entraîner ». Comment voulez-vous continuer à bosser avec un gars comme ça ? Je lui ai demandé de ne plus venir. Et d’autres ont arrêté parce que malgré le fait qu’ils jouaient en DN alors qu’ils n’avaient pas le niveau pour, ils voulaient… jouer à une autre place qui leur convienne mieux… Vous savez, sur la deuxième partie de saison, j’avais 3 500 euros mensuels de masse salariale. On ne peut pas faire de miracles avec ça. Mettez Guardiola à Metz, il ne remportera pas le championnat de France.
Et vous dans tout ça ?
Oh, ce n’est pas un secret, j’ai postulé dans d’autres endroits ! Mais certains m’ont ri au nez. Pour eux, je suis le coach qui n’a fait que quatre points. Cela me déçoit : je pensais qu’on valorisait le travail dans ce pays. Mais non, comme mes joueurs, j’en ai pris plein la gueule. Du coup, je me demande : que va-t-on retenir de moi ?
Cela veut-il dire que, bien entendu, vous jetez l’éponge pour la saison prochaine ?
Ah non, non, je ne sais pas encore.
Vous ne savez pas encore ?
Peut-être que je suis un peu fou, mais on m’a proposé de rester dans le cadre d’un nouveau projet. Je fais un peu patienter mes dirigeants, c’est de bonne guerre. Écoutez, peut-être que le football luxembourgeois ne me connaît pas parce que je n’ai jamais été présenté au public ni dans les médias ni sur les réseaux sociaux, que je n’apprécie pas beaucoup d’ailleurs, mais moi, je le connais. J’ai failli jouer ici étant plus jeune, à Pétange. J’ai aussi été formé dans les Ardennes, où j’habitais le village à côté de celui de Michel Leflochmoan, qui était un ami de mon père. Alors sa carrière luxembourgeoise, les clubs qu’il a fréquentés, je les connais. Ses joueurs aussi.
Bon, ma fille est à 300 kilomètres, mais le foot, c’est ma vie, je ne fais que ça et je sais qu’aucun autre coach ne viendrait dans ses conditions, alors… Et vous savez, je m’occupe aussi des jeunes. Des fois, j’étais au stade de 9 h à 21 h. Toute cette saison, je n’ai fait que ça. C’est mon boulot. Même si on m’avait promis un CDD de deux ans qui n’est jamais arrivé. Mais je ne veux tirer à boulets rouges sur personne : cette saison m’a permis de prendre dix ans d’expérience d’un coup ! Et puis j’aurais quand même dirigé une trentaine de matches de DN. Sans me faire virer malgré les résultats ! À 37 ans, c’est pas mal.
Avez-vous quand même hâte que ça se termine ?
Oui, j’attends ça avec impatience. Mais il nous reste encore des matches contre le Progrès et le F91. C’est pas des cadeaux ! Et après, je vais m’occuper un peu de moi. La suite on verra. Mais ce n’est pas plus mal que le club tombe. Il a été opportuniste en fusionnant avec Muhlenbach, a eu la chance de rester à un niveau qui n’est pas le sien grâce au covid mais maintenant, il est temps de remettre les choses à plat.