Véritable moteur du milieu de terrain du leader pétangeois après avoir été la 5e roue du carrosse l’an passé à Dudelange, Yannick Kakoko aurait pu vivre une toute autre carrière…
Vous parlez vraiment un français parfait. Cela peut surprendre quand on sait que vous êtes allemand…
Yannick Kakoko : Je suis plus à l’aise en allemand mais mes parents étant d’origine congolaise, on parlait le français à la maison. Mon père, Etepe, a aussi joué au foot. Il était international congolais (NDLR : 31 sélections, 9 buts) et il a participé à la Coupe du monde 1974 en Allemagne. Avant de signer un contrat quelques années plus tard à Stuttgart, puis à Sarrebruck qui jouait alors en 2e Bundesliga. Mes parents se sont installés là-bas, avant d’y rester. C’est là que je suis né. Et c’est là que je vis désormais. Me rapprocher des miens est une des raisons qui m’ont poussé à revenir dans la région voici un peu plus d’un an. Après avoir passé quatre ans en Pologne.
Vous aviez quitté la D1 polonaise et le club d’Arka Gdynia pour Dudelange. Mais avec le double handicap d’être joueur transféré et de ne pas être luxembourgeois. Sans compter l’énorme concurrence à votre poste (Stelvio, Kruska, Couturier, Pokar…). Vous avez très peu joué au F91, même s’il se disait que Dino Toppmöller vous appréciait…
Moi aussi, je l’appréciais et c’est, sincèrement, un très bon coach. Mais cela a été un moment très dur à vivre pour moi. J’arrivais quand même d’un championnat d’un niveau supérieur à celui du Luxembourg où j’avais gagné des titres (NDLR : une Coupe de Pologne et champion de D2) et où j’avais toujours eu ma place. J’avais été transféré au F91 pour renforcer l’équipe. Je n’étais pas juste là pour m’entraîner… Certes, mes concurrents étaient costauds mais j’ai toujours eu confiance en mes qualités. Si je respectais les choix de l’entraîneur, je ne comprenais pas pourquoi je ne jouais pas. J’étais déçu… La communication n’a pas non plus toujours été optimale, même si je connaissais les règles en vigueur dans ce championnat.
Vous avez parfaitement réussi à rebondir en rejoignant Pétange. Vous vous attendiez à une telle saison ?
Je n’avais pas d’attentes spécifiques. Je faisais juste confiance à Yassine (NDLR : Benajiba, le directeur sportif). C’est lui qui m’avait recruté au F91 et qui a toujours été là pour moi quand cela n’allait pas la saison dernière. C’est pour ça que je l’ai suivi avec plaisir à Pétange. Un club où il apporté sa mentalité.
Et qu’est-ce qui vous marque le plus au Titus ?
Le recrutement a été excellent ! Les joueurs enrôlés sont bons, mais on sent aussi le boulot qui a été effectué au niveau de l’état d’esprit des gars. Sans oublier le travail du coach, Carlos Fangueiro. Il a réussi à souder cette équipe, alors que tout le monde sait à quel point c’est dur quand il y a 20 nouveaux. Avec lui, on partage la même philosophie de jeu. Yassine me disait toujours qu’il avait à Pétange un coach qui veut vraiment jouer au foot. C’est ce que j’ai pu constater. Carlos Fangueiro a le courage de demander à ce que son équipe construise depuis l’arrière alors qu’il serait tellement plus simple de jouer long quand on possède un point d’appui comme Eddire Mokrani. Et ça, en tant qu’amoureux du foot, je ne peux qu’apprécier.
La même chambre qu’un certain Miralem Pjanic
À 29 ans, vous avez un CV déjà très long : Metz, le Bayern, Greuther Fürth, le Waldhof Mannheim, la Suisse, la Pologne…
J’ai commencé le foot chez moi, à Sarrebruck, avant de filer à Metz à 13 ans où je logeais dans la même chambre qu’un certain Miralem Pjanic avec qui on s’écrit encore de temps en temps. Tout s’est alors emballé un peu autour de moi, les recruteurs, l’équipe nationale allemande (NDLR : il a été repris en U16 et U17), le Bayern qui vient m’acheter… J’ai débarqué en Bavière à 16 ans et j’y suis resté trois années et demie. On a tout de suite gagné la Coupe d’Allemagne contre Dortmund et j’ai même marqué le premier but en finale. Je jouais avec le fils de Franz Beckenbauer, Stephan, décédé voici quatre ans… Mais aussi Thomas Muller, David Alaba, Toni Kroos, Matts Hummels ou Mehmet Ekici qui évolue désormais à Fenerbahçe… J’ai pu m’entraîner avec la première, aux côtés des Ribery, Robben… Cela reste des souvenirs incroyables. Le genre de chose dont on rêve quand on est gamin.
Avec le recul, vous avez su identifier les raisons pour lesquelles vous n’avez pas réussi à percer ?
Il y a tellement de paramètres qui entrent dans l’équation… J’ai toujours été très talentueux. C’est pour ça que le Bayern est venu me chercher. Mais je sais que je n’ai pas assez travaillé. Maintenant, je m’en rends compte. J’étais quelqu’un qui se reposait beaucoup sur son talent. Vous savez quand vous évoluez dans un tel club et que vos amis vous disent « quel talent tu as », tu peux te croire arrivé. Et ce alors que tu n’es même pas encore pro. On oublie vite qu’il faut continuer à travailler pour y parvenir.
Après, il y a d’autres facteurs. À commencer par la chance. Et dans un grand club comme le Bayern, on en a peut-être encore un peu plus besoin qu’à un niveau inférieur. Beaucoup d’éléments doivent vous être favorables. Souvenez-vous de Thomas Muller. Van Gaal l’avait pris parce qu’il n’avait plus personne pour son poste. Et derrière, il a su saisir sa chance.
Je suis quelqu’un qui aime trop le foot pour lâcher
À quel moment vous vous êtes rendu compte que la belle carrière qu’on pouvait vous prédire n’arriverait pas ?
Pas quand j’ai quitté, voici 10 ans, le Bayern pour Greuther Fürth. Ce club évoluait en D2 et je n’avais que 19 ans. Plutôt vers 2012 lorsque j’évoluais au Waldhof Mannheim en Regionalliga et que j’ai connu ma première grosse blessure. Je me suis fait le ménisque droit, avant le gauche au moment où je reprenais et que ça avait été justement très dur mentalement de revenir… J’ai vécu pratiquement un an de galère. C’est là que je me suis dit que je ne pourrais peut-être jamais évoluer au plus haut niveau. Mais je suis quelqu’un qui aime trop le foot pour lâcher. J’ai donc continué. Et puis, c’est à ce moment-là que j’ai rencontré ma compagne Frederike qui m’a aidé forcément aussi. Réussir au Bayern aurait été exceptionnel mais, si vous n’y arrivez pas, il y a toujours d’autres portes qui s’ouvrent derrière. Et pas que footballistiquement. Si je regarde toute ma carrière, je me dis qu’elle m’a formé en tant que footballeur mais aussi et surtout en tant qu’homme. Via toutes les valeurs qu’elle m’a inculqué.
Entretien avec Juliette Carette