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Beckerich : faute de soutien, le Beki pourrait disparaître


Héritiers du projet porté par Camille Gira, Max Hilbert (coordinateur) et Marc Neu (président) ne s’avouent pas vaincus. (Photos : julien garroy)

Lancée il y a plus de dix ans, la monnaie locale du canton de Redange pourrait vivre ses derniers jours, brutalement lâchée par le syndicat intercommunal.

La nouvelle est tombée comme un couperet, fin octobre : les nouveaux élus siégeant à la table du syndicat intercommunal du canton de Redange ont décidé de couper les vivres à l’ASBL De Kär, gestionnaire de la monnaie locale Beki, en circulation sur le territoire depuis dix ans. Une enveloppe de 60 000 euros annuels – soit 6 000 euros par commune – qui couvrait jusque-là 62 % des frais de fonctionnement de ce système monétaire parallèle, unique au Luxembourg.

Avec des conséquences immédiates : les deux salariés de l’association (1,5 poste) ont été licenciés, faute de budget disponible pour payer leur salaire ces prochains mois. Le coordinateur historique, Max Hilbert, en période de préavis, a appris l’issue du vote par SMS : «Ça a été une surprise. Je ne m’y attendais vraiment pas», raconte-t-il.

Un arrêt aux raisons obscures

D’autant que les raisons ayant motivé l’arrêt de cette convention reconduite depuis neuf ans restent obscures : aucun bilan ou état des lieux n’a été présenté aux élus en amont du vote, tandis que l’équipe et les élus ne se sont pas rencontrés l’année dernière, contrairement à ce que prévoient les statuts de l’ASBL.

Contacté, le président du syndicat intercommunal, Thierry Lagoda, avoue lui-même son amertume : «Je regrette cette décision, j’ai personnellement voté en faveur de la reconduction», confie l’actuel bourgmestre de Beckerich, dans le fauteuil de Camille Gira, initiateur du Beki et emblématique défenseur de la commune et de la région, décédé en 2018. «Les élections communales ont entraîné une nouvelle composition du syndicat et, malheureusement, à une large majorité, les membres ont souhaité couper ce financement», poursuit-il, évoquant une décision basée avant tout sur «des points de vue subjectifs».

Dans une lettre adressée au syndicat en septembre, l’association priait les élus de se positionner rapidement, afin d’avoir une vue sur le budget 2024. «On aurait souhaité que le canton investisse davantage, vu le succès du Beki», rapporte Max Hilbert. «On a sollicité une aide de 110 000 euros pour qu’on puisse se développer», mais au final, ce sera zéro.

Désormais, sans ces fonds indispensables, c’est l’avenir du Beki qui se joue. Or les 123 entreprises et commerces partenaires se sentent aujourd’hui laissés pour compte, alors que c’est leur engagement qui a permis de concrétiser ce projet un peu fou au départ, mais qui a fait ses preuves.

Depuis sa mise en circulation, ce sont en effet 1,9 million d’euros qui ont été dépensés en Bekis dans les boutiques et services aux quatre coins du canton. Et 2022 fut une année record, avec pas moins de 256 000 euros convertis en Bekis. Et si l’association compte aujourd’hui 400 membres actifs, une enquête montre que de nombreux consommateurs (un tiers des sondés) utilisent occasionnellement des Bekis sans pour autant avoir leur carte de membre. Un véritable potentiel.

Un circuit local vertueux

Quel est l’intérêt ? L’idée fondatrice de cette monnaie régionale est de relier directement le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises au canton de Redange, afin de booster le circuit économique local et de maintenir ses emplois. Mais pas que! Le Beki permet aussi de raccourcir les distances de transport des produits, de garantir la transparence et la proximité entre consommateurs et producteurs, et de promouvoir la coopération, tout en revenant à un système financier à taille humaine.

Ça marche vraiment ? Contrairement aux euros qui quittent rapidement le canton, un Beki passe en moyenne cinq fois d’une main à une autre avant d’être converti en euros : concrètement, pour 100 Bekis dépensés, le chiffre d’affaires des entreprises de la région augmente de 500 Bekis.

Si les entreprises décident de convertir leurs Bekis en euros, elles doivent verser au passage 5 % de frais à la région (3 % pour les particuliers). De quoi les inciter à ne pas les échanger, mais, au contraire, à les réinjecter dans le circuit auprès de fournisseurs locaux par exemple.

Et si je veux participer ? Pour s’engager en faveur de l’économie régionale et être certain que ses sous alimentent ce circuit vertueux, le consommateur résidant dans le canton peut simplement retirer des Bekis depuis son compte courant. Un Beki égale un euro. Pour l’instant, vu le contexte incertain, l’édition de nouveaux Bekis cette année est compromise.

«Hors de question de laisser tomber»

Depuis l’annonce de la mauvaise nouvelle, deux réunions ont déjà regroupé une quarantaine de membres du réseau, déterminés à ne rien lâcher, et à faire vivre cette bonne idée qui marche, renforce l’économie locale et crée du lien.

«Hors de question de laisser tomber», lance Max Hilbert, qui cite un investissement de 80 000 euros pour l’appli BekiPay permettant de régler ses achats avec des Bekis dématérialisés. «Tout ça n’a pas été fait pour rien. Certes, nous avons perdu en capital financier, mais nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur un important capital social», sourit-il. De nouvelles pistes sont explorées pour sauver le Beki et ses valeurs.

Ainsi, tout en gardant son identité, le Beki pourrait bientôt franchir les frontières du canton : «On lance un appel à toutes les communes, associations, entreprises et organisations du pays prêtes à intégrer notre réseau», annonce-t-il, en parallèle d’un appel au don pour tenter de combler le déficit de 50 000 euros à court terme et remettre l’ASBL à flot. Une cagnotte sera prochainement en ligne sur le site de l’ASBL.

À plus long terme, l’équipe devra trouver des sources de financement capables de couvrir les 100 000 euros annuels nécessaires pour la gestion globale du Beki. Enfin, l’ASBL De Kär fait savoir aux détenteurs de Bekis que ceux-ci resteront valables quoi qu’il arrive au moins jusqu’à la fin de cette année.

Les dates clés

2010 Le bourgmestre de Beckerich de l’époque, Camille Gira, lance l’idée au conseil communal. Il rêve d’une monnaie régionale pour instaurer une forme de souveraineté en matière d’économie solidaire et de développement local.

2012 Le Beki se concrétise, sous la houlette de l’ASBL De Kär, chargée de l’édition des billets.

2013 La nouvelle monnaie est officiellement lancée dans le canton de Redange, une première au Luxembourg. En quelques mois, l’initiative convainc 370 membres, dont 71 associations et entreprises.

2022 Une année record pour le Beki avec 256 000 euros convertis, tandis que l’appli BekiPay apparaît, pour régler ses achats en Bekis numériques.

2023 Le syndicat intercommunal décide de ne plus soutenir l’initiative, mettant en danger l’avenir du Beki.

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