Nelson Delgado est l’un des plus grands joueurs de l’histoire du basket luxembourgeois. Il revient sur quelques épisodes marquants de son immense carrière.
Votre adversaire le plus fort ?
Nelson Delgado : C’était en 1999, on était devenu champions et on jouait la Coupe d’Europe. On affrontait Ostende qui avait dans ses rangs JR Holden, tout simplement l’un des meilleurs meneurs en Europe. On avait une belle équipe et tout le monde se disait qu’on pouvait rivaliser avec eux. Le match était diffusé à la télé et on s’est pris une raclée de 50 pts ! Holden, c’était un pur meneur, qui gérait parfaitement le tempo du match, qui marquait quand son équipe en avait besoin. Il avait un crossover difficile à lire. Moi, j’étais tout jeune, j’étais MVP du dernier championnat et je suis bien vite redescendu sur Terre!
Et le plus célèbre ?
J’ai joué un match de gala à Trèves organisé par le Sparta contre des anciens joueurs NBA. Le Sparta avait lancé un vote pour que deux joueurs se joignent à l’équipe et on a voté pour moi. Je me suis retrouvé à affronter Dennis Rodman, Tim Hardaway et Mugsy Bogues. Il y avait aussi des super dunkers, parmi les meilleurs de la planète. Et pour la petite histoire, j’ai appris le lendemain que Dennis Rodman avait été arrêté par la police. Visiblement, il était parti sans payer la note au bar. Il y en avait pour plusieurs milliers d’euros!
Avec Larrie, on ne se faisait pas de cadeau sur le terrain. Mais j’ai été marqué par l’être humain qu’il est!
Y a-t-il un joueur qui était particulièrement dur ?
J’ai toujours aimé les mecs qui étaient durs sur le terrain, mais pour qui j’avais du respect en dehors. Et le meilleur exemple, c’est Larrie Smith (NDLR : légende du Sparta). C’était toujours très compliqué face à lui sur le parquet. En plus, c’était un joueur du Sparta et on sait qu’entre Sparta et Etzella, ce n’est pas toujours facile. En équipe nationale, je me suis retrouvé dans la même chambre que lui et je me demandais ce que j’allais bien pouvoir lui dire. Maintenant, les mecs peuvent partir en vacances, mais à l’époque, ce n’était pas le cas. Je me rappelle Fabio Palumbo qui avait débarqué à l’entraînement de l’équipe nationale juste après le titre avec le maillot de champion du Sparta. Ça ne le faisait pas du tout. Pour revenir à Larrie, il a eu un geste qui m’a touché à vie. Il savait que ma mère était gravement malade. Il a fait agrandir une belle photo où je défendais sur lui, on a chacun signé et on l’a offert à ma mère. Avec Larrie, on ne se faisait pas de cadeau sur le terrain. Mais j’ai été marqué par l’être humain qu’il est.
Un joueur réputé pour être un peu cinglé ?
Sans hésitation, je dirais Anthony Simpson. Une fois, on avait entraînement à 10 h 30. Lui, il arrive à 11 h. Normalement, le coach va lui rentrer dedans. Mais dès qu’il est arrivé, il a lancé à tout le monde « Désolé, j’ai passé une belle nuit. J’ai un peu trop fait la fête.« Il balançait cela en laçant ses chaussures. Du coup, le coach ne pouvait plus rien lui dire.
Votre meilleur souvenir ?
Je dirais mon premier titre en 1999. Je marque le panier de la gagne à 3 secondes de la fin devant le Sparta. C’était le rêve de tout gosse. À l’époque, je n’avais que 19 ans et je n’ai pas tout de suite réalisé ce qui s’était passé. C’était un truc de fou, la salle était envahie. Il y avait un monde de dingue.
Votre pire souvenir ?
J’ai perdu beaucoup de finales. Plus que je n’en ai remporté. Mais pour moi, la défaite la plus dure, c’était contre Contern, en 2001. À la mi-temps, on menait de 18 pts. Peut-être qu’inconsciemment, on s’est dit que c’était gagné. Et James Cason (NDLR : par la suite convaincu de dopage) nous avait tués en deuxième mi-temps. Mais dopé ou pas, on aurait dû gagner ce match. On a mal géré. On a le sentiment d’avoir gâché une belle fête chez nous.
Je ne voulais pas repartir de zéro. Mais aujourd’hui, j’aurais sûrement tenté le coup
Le plus gros regret ?
À l’époque, tout le monde me disait que je pouvais aller à l’étranger. Beaucoup de clubs étaient intéressés, en Pro B française, en Autriche, en Suisse, mais les contrats n’étaient pas très intéressants. Et une fois, ça a failli se faire avec Oldenburg, qui allait devenir champion en Allemagne. J’étais à la Coque avec l’entraîneur pour signer le contrat. Il m’a expliqué qu’il n’allait pas me proposer beaucoup d’argent, mais qu’il m’offrait la possibilité d’apprendre. Qu’il n’avait pas besoin de moi pour marquer des points « J’ai mes Américains pour cela« .
Et qu’il attendait de moi que je fatigue le meneur adverse. Il m’a dit que je pouvais espérer entre 1 et 6 minutes de temps de jeu si j’avais de la chance. Au Luxembourg, j’étais une star, je prenais du plaisir à être quelqu’un devant des salles qui étaient combles à l’époque. J’ai préféré renoncer. Je ne voulais pas repartir de zéro. Mais maintenant, avec l’armée qui offre une certaine sécurité, j’aurais sûrement tenté le coup. Et puis, comme le dit Rick Brooks (NDLR : son formateur), je suis quelqu’un de très attaché à la famille. Et j’aurais mal vécu le fait d’être loin d’eux.
Le plus gros exploit ?
En 2006, le Sparta était clairement favori. À l’époque, c’était une belle connerie, les finales se déroulaient à la Coque. On joue contre eux. Premier match, Gilles Becker sort pour cinq fautes très tôt, il vient me voir et me dit « C’est à toi de gagner ce match!« Larrie Smith était très fort, comme d’habitude. Et dans le dernier quart, j’étais chaud. J’ai mis des tirs à trois points avec la planche. Dont un avec Chris Wulff qui avait la main devant mon visage et malgré tout mon tir est rentré. En menant 1-0, on mettait la pression sur le Sparta. C’est une finale qui m’a beaucoup marqué.
Une anecdote que vous n’avez jamais racontée ?
On avait un match à Esch. Juste avant, j’avais une communion. J’ai pris une coupe de champagne, des bières. Je n’étais pas bourré, mais j’avais peut-être une ou deux bières de trop. En arrivant, j’avais peur que Doug Marty, l’entraîneur, remarque que j’avais bu. Et il se trouve que Jairo (Delgado), Elton (Ferreira) et Raphael (Albaladejo) avaient aussi un apéro avant. Le coach ne l’a jamais su. Maintenant, on en rigole, car on avait fait un gros match à Esch.
Un coup de gueule ?
À Mersch, il restait deux matches avant la fin de la saison, on ne pouvait plus terminer premier ni troisième, donc il n’y avait pas vraiment d’enjeu. Pendant deux semaines, Jan Enjebo nous avait fait énormément bosser physiquement à l’entraînement. Et à la mi-temps du match, Gilles Becker s’était plaint qu’on s’entraînait beaucoup. Le coach, qui était très calme d’habitude, s’est tourné vers nous et a balancé un énorme « Jesus Fuck!« Tout le monde était scotché. On s’est dit « OK, là, on ne plaisante plus.« Il nous a démolis. Et ensuite, on a démoli Mersch en deuxième mi-temps. Et quelques semaines plus tard, quand on a gagné la finale, dans les vestiaires, on s’était tous mis d’accord. On a dit au coach qu’on avait quelque chose à lui dire. Et on a tous gueulé : « Jesus Fuck!«
Votre pire blessure ?
Le 12 décembre 2008. Un match contre le Racing. Je voulais monter très fort sur un adversaire et je marche sur le pied de quelqu’un. Je me suis tordu la cheville. Jairo et Raphaël m’ont conduit à l’hôpital et j’ai failli tomber dans les pommes. On m’a donné six semaines pour être de retour. Mais on avait un match de Coupe face au Sparta le 9 janvier. Un ancien joueur d’Etzella est venu apporter un bouquet de fleurs à ma femme et m’a donné un remède naturel. J’ai suivi ses indications et au bout d’une semaine, le gonflement était complètement parti. Finalement, j’ai pu revenir au bout de quatre semaines. Même si j’étais hors de forme et qu’on a perdu, c’était important pour moi d’être présent.
Votre plus grosse fête ?
Il y en a un paquet. À Ettelbruck, on avait les meilleures fêtes des équipes qui gagnaient. On restait à la buvette jusqu’à 5-6 h du matin. Tout le monde chantait, fêtait. Tout le monde ramenait des spécialités, les Italiens, les Luxembourgeois, les Canadiens, les Capverdiens. Les Italiens des focaccia, ma mère faisait des spécialités capverdiennes, des beignets. J’avais même appelé un DJ capverdien pour mettre l’ambiance.
Le jour où vous avez décidé d’arrêter ?
Ça ne s’est pas fait en un jour. Sinon, je n’aurais pas fait de come-back (NDLR : à la fin de la saison 2016, il annonce sa retraite « à 99 %« , mais revient finalement pour une ultime saison lors de la suivante). Je ne voulais pas arrêter sur une blessure. Et au début des play-offs, j’ai eu une petite blessure qui m’a fait rater quelques matches. Je me suis dit que c’était un signe que m’envoyait mon corps. J’ai réussi à jouer la demi-finale contre les Pikes à 100 %. Et après, je me suis dit que si je repartais et que ça pétait, je raterais ma sortie. Je ne voulais pas cela. Donc ça m’a conforté dans le fait de ne pas continuer au-delà.
Ses faits d’armes
Parmi les meilleurs marqueurs de l’histoire du championnat, Nelson Delgado, qui a tout de même un record sur un match de 45 pts, a marqué le sport luxembourgeois. D’une longévité exceptionnelle (21 saisons), il termine sa carrière – entièrement disputée avec Etzella – avec 11 titres, trois de champion et huit coupes. Pilier de la sélection, il décrochera également trois médailles aux JPEE, le bronze en Andorre en 2005 et l’argent à Monaco en 2007 et Chypre en 2009.
Aujourd’hui
Nelson Delgado, marié et père de deux enfants, est comptable à l’hôpital neuropsychiatrique depuis une vingtaine d’années. S’il a été, un temps, assistant coach de l’équipe première d’Etzella, il est désormais en charge des U16.