La journée mondiale de Sensibilisation à l’autisme s’est tenue dimanche, place d’Armes. On y a entendu la réalité de ces troubles au Luxembourg, les innovations sur ce terrain… et pointer certains dysfonctionnements.
Grisaille et installation en plein air font rarement bon ménage, mais le 2 avril étant la journée mondiale de Sensibilisation à l’autisme, professionnels, intéressés et simples passants n’hésitaient pas à s’arrêter aux stands installés dimanche sur la place d’Armes. Et pour cause, certains prenaient l’allure d’un petit marché où l’on pouvait se procurer de jolies cartes de vœux, de la confiture, des paniers garnis pour Pâques… Avec la particularité que tout cela a été entièrement fabriqué par des résidents atteints de troubles du spectre de l’autisme (TSA) des foyers de Munshausen et Rambrouch. «Pour nous, fabriquer tout cela, c’est un travail qui peut nous sembler redondant; eux, s’ils aiment une tâche, ils peuvent la faire pendant des heures !», nous explique un employé de la Fondation Autisme Luxembourg (FAL). Ils ont même trouvé une fan de la première heure : Corinne Cahen se régale avec d’excellents bonbons au fruit de la passion, que la ministre de la Famille et de l’Éducation propose même à qui en veut autour d’elle.
La FAL, fondée en 1996, alerte sur l’augmentation constante de cas d’autisme diagnostiqués au Luxembourg et bat, année après année, son record du nombre d’évaluations diagnostiques qu’elle effectue sur simple demande de la personne concernée ou des parents. Ce qui explique pourquoi, en plus des 39 résidents – âgés de 16 à 70 ans – des foyers de Munshausen et Rambrouch, elle gère d’autres centres à Dudelange, Capellen et Steinsel, qui affichent tous complet. Et s’apprête à ouvrir à Sanem un nouveau site. «Nos résidents ont besoin d’une prise en charge et d’un accompagnement car la plupart sont non verbaux; ainsi, les activités que l’on met en place peuvent être compliquées, mais elles sont valorisantes», poursuit-on du côté de la FAL.
On sait pourtant, grâce à la nouvelle visibilité dont il bénéficie, à quel point le spectre de l’autisme est large, avec des sensibilités, des comportements, des degrés de communication et d’intégration tous très différents. Il y a bien des «règles d’or», que la FAL compte au nombre de douze, afin de comprendre l’autisme et d’adapter son comportement face à la personne, mais le soutien aux TSA, ainsi qu’à leurs familles, ne peut que s’envisager «au cas par cas». Gianluca Marinelli, lui, s’est posé un défi : mettre au point un outil de communication qui puisse servir à toutes les personnes atteintes de troubles autistiques, une idée qu’il a eue «sur le papier en 2017», motivé par sa compagne, qui a deux frères autistes.
L’application Talkii a été «créée en 2019 et on a fait notre première vente en 2020», se félicite-t-il, conscient qu’«il a fallu énormément de temps». «Quand j’ai eu l’idée, je ne trouvais pas normal qu’à notre époque, les enfants autistes devaient encore travailler avec des pictogrammes en papier, que les parents devaient découper, plastifier… Mais une idée ne vaut rien sans le travail qui va avec : je me suis associé à des développeurs, des orthophonistes et des éducateurs spécialisés qui nous ont amené leurs connaissances et être sûr que cela pouvait convenir aux utilisateurs.»
Aujourd’hui, Talkii est vendue avec une tablette, un téléphone de configuration, une housse, une coque et six heures de formation, durant lesquelles Gianluca assiste l’orthophoniste, les parents ou les éducateurs. Une éducatrice spécialisée s’émerveille : «J’avais découvert l’application en 2020 avec deux enfants, mais c’était encore très limité. Pour nous, c’était déjà laborieux, alors pour eux, c’était très compliqué. C’est devenu génial!» Talkii a même ouvert ses horizons : «Maintenant, on travaille aussi avec le Centre pour le développement moteur (CDM) et des personnes âgées en maison de retraite. J’en suis fier!», dit Gianluca. Son application a été utile aussi pendant la pandémie, permettant aux personnes intubées de communiquer.
L’autisme se manifeste dès la petite enfance, c’est pourquoi le rôle des parents est central dans l’accompagnement et le soutien. Ce que Corneliu Baciu, qui a cofondé en 2019 Autism Awareness Association Luxembourg (3AL), ne dira jamais assez. Son association s’adresse aux parents qui, comme lui, ont un enfant autiste. «Il est essentiel que l’on fasse quelque chose pour nos enfants», souligne-t-il. Lui s’emploie à faire «de la sensibilisation et de la thérapie ABA» (pour «applied behaviour analysis», ou analyse appliquée du comportement, visant à développer l’apprentissage de l’enfant dès le plus jeune âge) directement à domicile, mais regrette de ne pas pouvoir «répondre suffisamment à la demande par manque de personnel». «Des difficultés, en réalité, il y en a plein, à commencer par le fait que cette thérapie n’est pas reconnue au Luxembourg, alors qu’au Royaume-Uni, même les instituteurs en école publique sont habilités à faire de l’ABA !»
Corneliu était pourtant le bienvenu dimanche, et pouvait présenter sa démarche, mais il y a encore «un long chemin à parcourir» pour la faire accepter, tout certifié qu’il est. Ses principes sont fondamentaux : il lutte pour le droit à l’autonomie, à l’égalité des chances, au respect et à l’inclusion sociale des personnes autistes, qu’elles soient dans l’incapacité de communiquer ou qu’elles aient une vie de famille. «Malgré tout, quand on fait part de conseils ou de demandes à des professionnels, on ne nous entend pas. Ça évoluera, mais ça prendra beaucoup de temps : on est un peu fermé au Luxembourg au sujet de l’autisme, mais on n’est pas les seuls.»