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Au chevet des dernières moules perlières du Luxembourg


Dans son laboratoire, Frankie Thielen veille au grain... et garde espoir qu'un jour les mollusques repeuplent nos rivières. (photos Romain Van Dyck)

Le saviez-vous ? On trouve des moules d’eau douce au Luxembourg. On les pouponne, même ! Tout au nord du pays, une station d’élevage tente de sauver de la disparition ces filtres naturels de nos rivières.

Dossier réalisé par Romain Van Dyck

Des moules perlières au Luxembourg ? Quelle drôle d’idée. Si on pouvait se faire des plâtrées de moules-frites ou des colliers de perles «made in Luxembourg», ça se saurait, non ?

Et pourtant, le mollusque a été un habitant très commun de nos rivières, explique Frankie Thielen : «Les moules étaient abondantes en Europe il y a quelques siècles, du Portugal jusqu’en Scandinavie. Au Luxembourg, on les trouvait surtout dans le Nord. Et par milliers !»

Certaines de nos rivières avaient alors un tout autre aspect. Car ces moules sont des stations d’épuration naturelles, explique ce biologiste qui est responsable de la station d’élevage de la moule perlière, au moulin de Kalborn : «Toutes les moules se nourrissent en filtrant l’eau, les particules organiques, les microalgues… Il faut donc imaginer, il y a 200 ans, l’Our était vraiment claire, car il y avait des milliers de moules qui, tous les jours, filtraient l’eau. Ce qu’elles rejetaient attiraient les insectes, qui eux-mêmes attiraient les poissons, poissons qui permettaient aux larves de moules de grandir…»

«97% ont disparu d’Europe»

Un cercle vertueux désormais interrompu. L’agriculture, l’industrie, l’urbanisation, les pratiques forestières ont pollué les cours d’eau et détruit le biotope. «On estime que jusqu’à 97 % des moules ont disparu d’Europe.»

Au Luxembourg, on compte sept à huit espèces de moules d’étang, de lac, de rivière… Les moules perlières, qu’on trouvait surtout dans le Nord, ont désormais disparu. Quant à la «mulette épaisse», «on l’avait partout dans le pays, il en reste maintenant un peu dans le Nord et dans l’Ouest».

L'état de nos cours d'eau est plus que préoccupant.

L’état de nos cours d’eau est plus que préoccupant.

«On dit que la moule perlière est un parapluie, car si elle va bien, c’est que tout le reste va bien, puisqu’elle a besoin d’un environnement propre. Or, la qualité de l’eau n’est pas terrible au Luxembourg. La moule veut un état de l’eau ‘très bien’, mais ici, trouver un état ‘bien’ est déjà rare !»

Vu leur rôle de filtre dans des eaux plus ou moins dormantes, on comprend qu’elles n’aient jamais été très prisées des gastronomes. «Je n’ai pas connaissance qu’on en mangeait ou alors dans les temps vraiment très durs.» Et de nos jours, vu ce que ces éponges avalent (traitements chimiques des cultures, pollution atmosphérique, pollutions des déjections humaines et animales…), mieux vaut les laisser loin de nos assiettes !

Exportation dans la Grande Région

Bref, le mollusque est en voie de disparition. Et il faut monter jusqu’au moulin de Kalborn pour trouver un foyer de résistance.

Dans cette zone Natura 2000, un projet fou est devenu réalité : une station d’élevage de la moule perlière. Elle a été construite en 2008, grâce à l’association natur&ëmwelt, la Fondation Hëllef fir d’Natur et au cofinancement du projet par le gouvernement et l’Union européenne (programme «Life»). Sur ce site qui remonte à 1728, Frankie et ses collaborateurs produisent des moules pour toute la Grande Région.

Dans ces bacs, de jeunes moules commencent leur croissance.

Dans ces bacs, de jeunes moules commencent leur croissance.

Le procédé, complexe (lire ci-dessous), permet de repeupler les cours d’eau en Belgique, en Allemagne… Mais pour le Luxembourg, l’état de l’eau reste un sérieux handicap : «Leur retour est encore incertain. Depuis neuf ans, la qualité de l’eau se stabilise, et on a quand même quelques rivières, dans la région des Ardennes, où on est encore capable de sauvegarder l’environnement des moules. Donc si tout se passe bien, elles pourraient rejoindre l’Our. Mais cela prendra du temps.»

C’est pourquoi ils veillent autant sur les moules que sur leur habitat, en combattant les espèces invasives et la pollution, en faisant des actions de sensibilisation… En espérant qu’un jour, les voyants de nos cours d’eau repassent au vert !

Une dure à cuire

L’élevage commence par la récupération de moules porteuses de larves. Ces larves sont mises en contact avec un poisson hôte, la truite fario (en baisse dans nos cours d’eau), car elles s’accrochent aux ouïes du poisson pour survivre et grandir.

Quelques mois plus tard, les jeunes moules recueillies traversent une courte phase d’élevage en laboratoire, puis sont transférées dans un fossé d’élevage en plein air. À l’âge de cinq ans, elles sont progressivement libérées dans leur habitat naturel… Mais pas au Luxembourg : «Il faut qu’elles grandissent dans des rivières moins polluées, donc on les envoie en Allemagne. Et dans sept ou huit ans, on verra si on peut les réimplanter ici.»
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En théorie, une moule d’eau douce est une dure à cuire : elle peut vivre jusqu’à 80-90 ans chez nous. Mais dans les pays plus froids, on parle même de 200 ans !

Mais au fait, les perles ?

490_0008_14816881_img_8412Malgré leur nom, «il est très rare de trouver des perles dans ces moules. On estime qu’une sur 2 000 ou 3 000 en fait. «Moi, je n’en ai vu qu’une fois ici», dit Frankie Thielen.

Il faut en effet qu’un objet irritant – un grain de sable par exemple – passe dans la coquille, pour que le mollusque l’entoure progressivement de nacre jusqu’à former une perle.

Pourtant, il y a plusieurs siècles, lorsque les moules foisonnaient par millions en Europe, certains rois avaient même leurs pêcheurs de perles !