Peu connue, l’art-thérapie permet à de nombreuses personnes en souffrance psychique de s’exprimer ou d’affronter une épreuve de la vie en dépassant la barrière des mots.
Comment aller mieux quand parler de soi et de ses maux face à un psychologue ou un psychiatre n’est pas si simple, voire tout bonnement impossible? En passant par la musique, la danse, le théâtre, le dessin ou les arts plastiques, de nombreuses personnes en situation de handicap ou en souffrance psychique après un traumatisme ou un accident de la vie, parviennent ainsi à s’apaiser ou se reconstruire.
«Dès qu’on n’a plus besoin de parler, les barrières se lèvent», constate Katalin Wagner, danse-thérapeute. Elle qui travaille depuis six ans en tant que psychomotricienne au CHNP d’Ettelbruck auprès de patients atteints de troubles psychiatriques, mesure chaque jour les bénéfices de la thérapie par la danse qu’elle propose en petits groupes : «Mes patients ont tous des difficultés à sentir leur corps, ses limites, et à s’exprimer verbalement. On travaille donc la conscience corporelle, avec des exercices ciblés, des ballons, des tapotements, de l’automassage», décrit-elle, ajoutant que les séances amènent aux patients un moment rien qu’à eux, sans toutes les pensées et les angoisses qui les assaillent au quotidien.
«Ils recherchent cette décharge motrice, ce lâcher-prise qui renforce au passage la confiance en soi et en les autres», poursuit la jeune femme, qui s’adapte sans cesse aux besoins des participants, en fonction de leur humeur du jour. Avec souvent de bonnes surprises : «Je me rappelle cette jeune fille, d’habitude si souriante, qui est arrivée complètement fermée. C’était un mauvais jour. À la fin de la séance, elle était transformée : son corps avait parlé, le mouvement lui avait permis de s’ouvrir.»
Une forme de libération qu’on retrouve aussi en musicothérapie, utilisée auprès de nombreux profils, des jeunes enfants aux personnes âgées, en passant par les personnes avec un traumatisme, un trouble dépressif ou un handicap mental. «La musique est un autre moyen d’expression que les mots», explique Ann Majerus, musicothérapeute et porte-parole de la Gesellschaft fir Musiktherapie zu Lëtzebuerg (GML). «On peut écouter une chanson qui va faire surgir des émotions, puis on va en parler. On peut jouer avec des instruments et faire sortir des choses qu’on a en soi, improviser et même chanter : aucune séance ne ressemble à une autre.»
«L’art-thérapie offre une immense liberté»
Christiane Baltes, art-thérapeute depuis une quinzaine d’années, intervient principalement dans le domaine de la rééducation, auprès de patients victimes d’un AVC, d’un traumatisme crânien ou d’une mauvaise oxygénation cérébrale ayant entraîné des séquelles. En thérapie de soutien, l’objectif est alors légèrement différent : «On travaille sur le deuil de la vie d’avant, l’acceptation de cette nouvelle personne qu’on est devenu, l’image de soi parce que, parfois, ça peut être dur de se regarder dans le miroir», détaille cette professionnelle du Rehazenter, également présidente de l’Association luxembourgeoise des art-thérapeutes diplômés (ALAtD).
Pour elle, l’apport de l’art-thérapie est intéressant dans de multiples cas, «partout où le verbal n’est pas ou n’est plus possible». En pédiatrie, face à des enfants qui ont été maltraités, agressés sexuellement, ou qui ont fui un conflit armé, mobiliser le dessin est particulièrement efficace pour leur permettre d’exprimer leur mal-être et de le soigner.
Idem chez des patients atteints de démence, qui perdent leurs mots, avec des réfugiés pour contourner la barrière de la langue, ou encore de manière préventive, face à un risque de burn-out ou de dépression. «Souvent, il y a des larmes, parce qu’on touche à l’intime», confie-t-elle, se souvenant de cette jeune femme, prise dans une fusillade, qui avait reçu des éclats de plomb dans l’épaule : «On a travaillé pendant des mois pour faire de cette idée de mort quelque chose de beau. Elle a fini par sculpter une poterie en intégrant les plombs qu’on lui avait retirés : ils ont fondu comme des coulées de lave.»
«Avec les mots, on est vite limité, et ce sont souvent les mêmes qui reviennent, on n’arrive pas aller au-delà. Contrairement à l’art-thérapie qui offre une immense liberté», pointe Christiane Baltes.
Pour se lancer, le mieux est de suivre sa sensibilité envers l’une ou l’autre des disciplines et de tester. Il faut compter environ 90 euros pour une séance de 1 h 30, non remboursés (lire ci-contre). L’ALAtD tient une liste de professionnels de confiance sur son site, tout comme la GML.
Des professions non reconnues
«On travaille en zone grise», déplore Christiane Baltes, présidente de l’Association luxembourgeoise des art-thérapeutes diplômés (ALAtD), alors que les métiers liés à l’art-thérapie ne sont ni reconnus ni réglementés au Luxembourg. Ce qui pose de nombreux problèmes, à commencer par le non-remboursement des séances par la Caisse nationale de santé : «Exercer en libéral est quasiment impossible», note-t-elle, précisant que l’immense majorité de la soixantaine de professionnels que compte le pays travaillent donc au sein d’institutions, et souvent sous une autre casquette, comme éducateur, infirmier ou psychomotricien formé à l’art-thérapie. Et encore, ces établissements peinent parfois à percevoir une prise en charge de l’art-thérapie par leurs autorités de tutelle.
De fait, alors que la demande est croissante, du côté des particuliers comme des organisations, les art-thérapeutes ne peuvent proposer leurs services. Aux côtés des musicothérapeutes regroupés au sein de la Gesellschaft fir Musiktherapie zu Lëtzebuerg, l’ALAtD milite pour faire reconnaître officiellement la pratique.