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Anne Calteux : «On doit devenir une Union qui performe et qui livre»


«Un Parlement trop fragmenté avec beaucoup de petites forces qui ne comptent pas s’engager pour le projet européen risque de mener à un blocage», met en garde Anne Calteux. (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Anne Calteux, la représentante de la Commission européenne au Luxembourg, préface les élections du 9 juin. Le scrutin est qualifié de «moment charnière» pour une UE confrontée à un aussi important nombre de défis.

Dans moins d’un mois, près de 360 millions d’électeurs que compte l’Union européenne sont appelés à élire un nouveau Parlement européen. Dans la foulée seront aussi renouvelées les autres institutions, avec en tête la Commission européenne, représentée au Luxembourg par Anne Calteux.

La diplomate défend le bilan de ces cinq dernières années, évoque les grands enjeux des cinq prochaines et lance une série de mises en garde.

Le 25 avril, le président français, Emmanuel Macron, a mis en garde contre la « mort«  de l’UE, lors d’un discours à la Sorbonne. Ces propos inspirent quoi à la Commission européenne que vous représentez ici au Luxembourg?

Anne Calteux : Je suis convaincue que le discours du président Macron a suscité de l’intérêt au sein du Berlaymont. Beaucoup des constats dressés sont justes. Une très bonne analyse y est notamment livrée en ce qui concerne les défis qui se présentent actuellement à nous et certaines des solutions que le président Macron propose correspondent à celles qui se trouvent sur la table de la Commission, en vue justement du prochain cycle institutionnel.

Affirmer que l’Europe risque de mourir est à considérer comme un signal d’avertissement posé en tant que chef d’État d’un pays aussi important que l’est la France pour l’Europe. Il veut dire, et je suis d’accord avec lui, qu’on est arrivé à un moment charnière, car jamais auparavant, l’Europe n’a été confrontée à autant de défis.

Il importe de ne pas rater le train en marche si l’Europe veut renforcer son autonomie stratégique, aussi face à des pays comme les États-Unis et la Chine. L’Europe ne peut se permettre de manquer ce rendez-vous.

Le tournant qui s’annonce arrive après cinq années marquées par une polycrise, à commencer par la pandémie. Quelle a été l’importance que l’UE s’accorde à apporter des réponses sanitaire et financière communes au covid?

Il s’agit d’un jalon décisif, car il existe un monde avant et après le covid. Ce qui est important de retenir est que la réponse de l’UE face à la crise sanitaire a été la base pour une nouvelle solidarité entre États membres, que l’on retrouve dans la réponse apportée à la guerre en Ukraine.

Tout au début de la pandémie, les pays avaient le réflexe de se replier sur eux-mêmes afin de défendre leurs intérêts nationaux. Mais, très rapidement, les mêmes pays ont compris qu’agir seul ne leur permettait en rien d’avancer, et qu’une solution européenne était nécessaire, même dans un domaine comme la santé, qui ne fait pas partie des compétences attribuées à l’UE.

Cette prise de conscience a permis de réaliser ce qui était encore impensable il y a quelques années, à savoir l’acquisition commune de vaccins à hauteur de milliards d’euros. Un plus petit pays comme le Luxembourg, voire d’autres pays plus grands, n’auraient à eux seuls eu aucune force de négociation par rapport aux producteurs. L’UE s’est montrée très efficace et les pays ont pu lancer tous au même moment les campagnes de vaccination.

Qu’en est-il du volet financier, avec notamment les emprunts conjoints signés pour contrebalancer le coût économique et social de la pandémie?

Il a fallu se rendre à l’évidence que nos économies ont été fortement fragilisées en raison d’importantes dépendances par rapport à des pays tiers dans des secteurs absolument critiques, comme les médicaments, les masques, etc. Il fallait mobiliser de grandes sommes d’argent pour inverser la vapeur. Et nous l’avons fait grâce au programme de relance « NextGenerationEU« , un instrument financier sans précédent (NDLR : enveloppe de plus de 800 millions d’euros).

Nous avons ainsi réussi à prendre en main un problème pour le transformer en opportunité. Des objectifs communs ont été définis, avec l’obligation pour les États membres d’investir ces fonds non seulement pour sauver l’économie, mais aussi pour faire avancer la double transition écologique et digitale.

La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine est l’autre crise majeure à laquelle l’UE doit faire face. Plus de deux ans et demi après l’invasion, l’unité des Vingt-Sept est-elle toujours suffisante?

La solidarité affichée avec l’Ukraine est importante, car cette guerre est aussi orientée contre nos valeurs. Notre solidarité s’adresse à un pays, mais aussi à ses citoyens qui ont dû prendre la fuite et qui souffrent toujours de la guerre. Dans un contexte de tension migratoire, l’UE a réussi à accueillir plus de 4 millions de réfugiés ukrainiens, ce qui a, selon moi, contribué à favoriser l’accord sur le Pacte de la migration et l’asile, une grande victoire des 27 après de nombreuses années de négociations très complexes et difficiles.

Il y a eu une prise de conscience que l’UE a une responsabilité à assumer par rapport aux flux migratoires et les personnes en détresse tout en protégeant nos frontières extérieures. Mais au-delà de cet aspect, nous avons également dû constater notre dépendance par rapport à d’autres pays, notamment dans le domaine de l’énergie, un sujet qui va nous accompagner pendant les années à venir. Grâce à notre solidarité, nous avons réussi à économiser de l’énergie pour affronter l’hiver, nous avons rempli nos stocks et acheté ensemble l’énergie dont nous avions besoin.

Les appels du président ukrainien pour obtenir davantage d’armes sont devenus plus pressants depuis plusieurs semaines. L’UE est-elle à la hauteur des attentes?

Il faut activer plusieurs leviers pour renforcer la livraison d’armes à l’Ukraine. L’initiative tchèque (NDLR : mobilisation d’une vingtaine d’États européens pour acquérir 1,5 million d’obus) est certainement intéressante. En tant que Commission, on se félicite que les États membres soient engagés à trouver des solutions, aussi dans le but de perdre le moins de temps possible.

Un grand défi reste l’insuffisante capacité de production industrielle en Europe et le manque d’interopérabilité entre équipements militaires. Pour y parvenir, le financement devra être conséquent. Il faudra à la fois mobiliser des fonds privés et publics.

Ici, la BEI (NDLR : Banque européenne d’investissement) peut et va jouer un rôle plus important. Nous visons une nouvelle architecture en matière de défense et de sécurité et cela se reflètera dans les priorités de la prochaine Commission.

Une porte a été ouverte en décembre à l’Ukraine pour devenir membre de l’UE. S’agit-il d’un acte symbolique ou d’un engagement plus formel?

C’est bien plus que de la symbolique. On entend dire que tout est allé tellement vite pour offrir à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion. Or, en dépit de la situation de guerre, il faut reconnaître que l’État fonctionne bien, même si nous sommes lucides quant aux problèmes liés au respect de l’État de droit et à la corruption.

Les fonds européens qui sont envoyés en Ukraine ne sont pas uniquement destinés à soutenir son économie, mais aussi à lui permettre de renforcer l’État de droit et les institutions. Le but est d’être à la hauteur au moment d’une adhésion, qui ne va pas se faire avant de nombreuses années. L’Ukraine devra devenir une démocratie stable et un partenaire stable pour l’UE avant de devenir un État membre.

Il est incontestable que le nouveau Pacte migratoire va amener de nettes améliorations

N’est-il pas consternant d’avoir dû attendre des crises majeures comme la pandémie et la guerre pour réduire les dépendances, mais aussi pour relancer le processus d’adhésion avec des pays comme l’Ukraine et la Géorgie?

Comme évoqué, il faut parfois attendre de telles urgences. Mais le plus important, c’est de les transformer en opportunités. Et puis, le fait que l’UE a tendance à mieux fonctionner en temps de crise démontre aussi que l’on forme une communauté de valeurs et de solidarité. Cela fait partie de l’ADN européen.

Le Pacte migratoire, qualifié d’historique, restera comme un des autres acquis majeurs de cette législature européenne. Le compromis trouvé suscite toutefois de vives critiques de la part de défenseurs des droits de l’homme. Les inquiétudes formulées sont-elles audibles à Bruxelles?

La Commission entend ces critiques. Ce fut d’ailleurs aussi le cas au Parlement européen au moment du vote. Mais, il faut aussi savoir que par rapport à ce qui était en place, il est incontestable que le nouveau pacte va amener de nettes améliorations une fois qu’il sera applicable. Il faudra observer de près comment les États membres vont le transposer, un plan d’implémentation de la Commission les guidera. L’objectif est de trouver un équilibre entre la solidarité et la responsabilité.

L’UE assume aujourd’hui mieux ses frontières extérieures. D’où aussi la décision de procéder déjà aux frontières extérieures aux contrôles quant à l’éligibilité des migrants tout en respectant leurs droits. Les règles sont claires : faute de remplir les conditions, les migrants devront retourner immédiatement dans leur pays. C’est aussi dans ce contexte que l’on intensifie les contacts avec les pays d’origine pour assurer ces retours. Il s’agit de tout un édifice qui permettra d’enlever la pression sur les États membres situés aux frontières extérieures.

Mais, justement, ces filtrages inquiètent les détracteurs du pacte. Ils redoutent la mise en place de centres de rétention.

C’est trop simplifier les choses. Le règlement adopté comprend des garanties très claires par rapport au respect des droits de l’homme. Par exemple, un nouveau mécanisme indépendant de surveillance est prévu. L’accueil se fera dans le même respect. Des nouvelles procédures pour des personnes vulnérables sont mises en place.

Et, puis, il ne faut pas oublier qu’un des objectifs du Pacte migratoire est aussi de lutter contre la traite d’êtres humains, ce qui va aussi permettre de renforcer les droits de l’homme. Nous devons éviter que les migrants ne tombent entre les mains de trafiquants que l’on peut carrément qualifier de meurtriers.

Au vu de ce lourd contexte, quel est l’enjeu des élections européennes qui approchent à grands pas?

Il sera crucial de maintenir une majorité saine au Parlement européen, pour que les propositions de directives et de règlements, dont l’Europe a besoin pour avancer, aient une chance d’être adoptées. Un Parlement trop fragmenté avec beaucoup de petites forces qui ne comptent pas s’engager pour le projet européen risque de mener à un blocage. Ce n’est pas ce que l’on souhaite.

Nous voulons une Europe forte, opérationnelle à tout moment et apte à mener des réformes ambitieuses. On en a besoin. Après toutes les crises, on doit devenir une Union qui performe et qui livre. C’est d’ailleurs aussi une attente de la part des citoyens : ils veulent que leurs gouvernements, mais aussi Bruxelles, livrent des solutions à leurs problèmes.

En tant que Commission, nous sommes prêts à répondre à ces nombreuses attentes. Il faudra bien entendu discuter des solutions qui seront mises sur la table. C’est l’essence de la démocratie. Et puis, le Parlement et le Conseil auront aussi leur mot à dire.

La reconnaissance de ce que l’UE leur a apporté en ces temps de crises pourra-t-elle amener les citoyens à voter en faveur de partis pro-européens?

Je l’espère. Les derniers sondages Eurobaromètre laissent conclure à un taux de participation qui passerait de 51 % en 2019 à 70 %. Au Luxembourg, le taux d’inscription de résidents non luxembourgeois issus d’un autre pays de l’UE est également en hausse.

Tout cela démontre qu’une prise de conscience a eu lieu quant à la valeur ajoutée apportée par le projet européen pendant les quatre dernières années, mais aussi bien avant. C’est rassurant, mais rien n’est acquis. Attendons plutôt le résultat des élections.

«Il importe de ne pas rater le train en marche, si l’Europe veut renforcer son autonomie stratégique», souligne Anne Calteux. (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Repères

État civil. Anne Calteux (50 ans) est de nationalité luxembourgeoise. Elle est mariée et mère de deux enfants.

Études. Son parcours académique l’amène en Alsace et au Royaume-Uni. En 1997, Anne Calteux décroche une maîtrise en droit à l’université Robert-Schuman de Strasbourg. En 1999 suit un «Master of Laws» obtenu au King’s College de Londres.

Bruxelles. Après avoir exercé comme avocate (avril 1999-décembre 2003), Anne Calteux rejoint en janvier 2004 la représentation permanente du Luxembourg auprès de l’UE, où elle occupera, jusqu’en août 2013, différentes fonctions, avec un focus mis sur la santé publique et la sécurité sociale.

Santé. En septembre 2013, Anne Calteux intègre le cabinet de la ministre de la Santé Lydia Mutsch. En janvier 2019, elle devient cheffe de cabinet et cheffe du département des Affaires européennes et internationales. En février 2020, vient s’ajouter la coordination de la cellule de crise Covid-19.

Commission. Le 1er septembre 2021, Anne Calteux prend sa fonction de représentante permanente de la Commission européenne au Luxembourg, en succession de Stephan Koppelberg, ayant assuré depuis septembre 2020 l’intérim après le départ de Yuriko Backes, en poste depuis septembre 2016, à la Cour grand-ducale.

3 plusieurs commentaires

  1. Cette gourde est pour l adhesion de l ukraine .
    Bref…un discours de poubelle qu elle nous tient.

  2. Cette dame, qui gagne son abondance au club des riches á Bruxelles ne mettra pas en doutte son patron tellement généreux!

  3. J’ai envie de dire à cette UE, la même chose que les malouins ont répondu à Louis XIV qui leur demandait ce qu’il pouvait faire pour eux: « Sire, surtout ne faites rien ».
    Ils avaient déjà compris que les citoyens se portent beaucoup mieux quand ceux qui croient les gouverner ne font rien. Au moins, ne faisant rien, ils ne font pas de bêtises.