La «grande dame» des lettres luxembourgeoises est morte mercredi, l’année de ses 94 ans.
Il y a plus de quatre ans, elle avait reçu le Quotidien chez elle à Dommeldange, avec son sourire délicat et un aveu : «Vous devez avoir de la patience, car parfois les mots m’échappent…»
Anise Koltz les a pourtant maniés longtemps avec force et éloquence, à travers une œuvre épurée et percutante. Avec elle, la poésie devait dire des choses, pour mieux s’en libérer, comme un cri cathartique.
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«C’est un exutoire!, confiait-elle. Le poème peut délivrer d’un problème, de ce qui vous tracasse, vous intrigue. On se bat alors avec pendant quelques jours, voire plusieurs semaines, jusqu’à ce que ça puisse sortir…».
Mercredi, la «grande dame» des lettres luxembourgeoises, comme on pouvait la surnommer, est décédée l’année de ses 94 ans, laissant derrière elle une œuvre riche et pléthorique, traduite dans plus de dix langues.
Goncourt de la poésie en 2018
Parmi ses ouvrages, citons entre autres La terre se tait (1999), Le Porteur d’ombre (2001), Galaxies intérieures (2013) ou Un monde de pierres (2015).
Entrée en 2016 chez Gallimard avec une anthologie de ses poèmes (Somnambule du jour), elle a été honorée du prix Goncourt de la poésie en 2018 pour l’ensemble de son œuvre, couronnant une carrière plusieurs fois distinguée : prix Batty-Weber (1996), prix Servais (2008), prix Apollinaire (1998), prix de littérature francophone Jean-Arp (2009)…
Née le 12 juin 1928 à Eich, à Luxembourg, Anise Koltz est la petite-nièce d’Émile Mayrisch, cofondateur de l’ARBED. À part de nombreux voyages en Asie, États-Unis, Afrique et Europe, elle a depuis sa naissance toujours vécu dans son pays d’origine auquel elle est très attachée. «Il est tout petit, mais je l’adore!», lâchait-elle d’un regard malicieux.
Elle écrit d’abord en allemand et publie son premier recueil, Spuren nach innen, en 1960. Mais une décennie et demie plus tard, elle n’écrira plus qu’en français, abandonnant totalement sa première langue littéraire.
Le rejet de la langue allemande
Son mari, le Dr René Koltz, étant mort prématurément en 1971 des suites des tortures que lui avaient infligées les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, elle se refuse depuis lors à user de la langue des bourreaux de son époux. Avec lui, dès 1963, ils ont animé les «Biennales de Mondorf», qui se voulaient «un laboratoire, modeste, de la construction d’une société multiculturelle».
Marquée dans sa chair par les tragédies du XXe siècle, Anise Koltz cisèle une écriture concise, âpre et d’une implacable lucidité – un peu à la manière d’un Paul Celan, grandi comme elle dans une terre de langue allemande écrasée sous la botte de la dictature.
Elle y questionne notamment la vie et l’âpre réalité d’une nature barbare. «Oui, le monde est brutal, violent. Alors ma poésie l’est aussi! Quand on voit toute la misère, les injustices, oui, il faut se positionner et les pointer du doigt», précisait-elle à l’époque.
«Il convient de ne pas être naïf»
Avec le temps, sa colère intérieure, aussi puissante qu’un haïku, se mute en quelque chose de plus doux, plus méditatif, éloigné. Une sorte de «violence pacifique» comme le définissent certains.
«Oui, il convient de ne pas être naïf, de bien observer et comprendre le monde qui nous entoure, mais de ne jamais condamner. Sauf la barbarie, la haine… Je hais la violence!», expliquait-elle en 2018.
Dans l’un de ses derniers livres, elle écrivait : «Sans fin, ni commencement, nous errons dans un monde de pierre».
À l’heure du dernier voyage, le même détachement s’impose sûrement. Elle y avait déjà pensé : «La vie, c’est long! Oui, elle m’a beaucoup donné, mais la mort ne me fait pas peur, bien au contraire : ça me fera un peu de repos!»
La réaction de la ministre de la Culture, Sam Tanson
Le ministère de la Culture a réagi au décès d’Anise Koltz dans un communiqué publié jeudi où Sam Tanson a souhaité «exprimer, au nom de toute l’équipe du ministère ainsi que de celle du Centre national de littérature, toutes ses condoléances et sa sincère compassion à toute la famille d’Anise Koltz».
D’après le ministère, «ses poèmes, depuis le premier, des années 50, jusqu’au dernier, pénètrent au plus profond de notre conscience, et éveillent à la dignité d’être et d’être libre. La condition humaine a été sa nourriture.»
«Par son engagement exemplaire», poursuit le communiqué, «et les nombreux contacts internationaux qu’elle cultivait avec intelligence, élégance et détermination, Anise Koltz fut une remarquable ambassadrice de la poésie et de la création littéraire luxembourgeoise».