Le combat en faveur du progrès social, aussi bien au niveau de la politique intérieure que sur le plan européen, continue pour André Roeltgen, le président du syndicat n° 1 au Luxembourg, l’OGBL.
Volte-face du gouvernement à propos des mesures d’austérité qui ont caractérisé la première partie de sa législature, conflits sur différents dossiers de politique intérieure, enjeux de la digitalisation ou encore Europe sociale et présidentielle française: André Roeltgen fait le point avant la fête du Travail, le 1er mai.
Le Quotidien : Quel bilan tirez-vous des mesures du paquet d’avenir du gouvernement à un an et demi de la fin de la législature et des prochaines élections législatives?
André Roeltgen : Le début de mandat du gouvernement de Xavier Bettel a été caractérisé par une politique erronée que nous avons fortement critiquée, car il ne fallait surtout pas poursuivre une politique d’austérité et de coupes sociales.
L’unique prise de décision positive de la part du gouvernement, en 2014, aura été de réintroduire une indexation automatique des salaires sans manipulation. Si l’OGBL a fortement critiqué ce paquet d’avenir, c’est parce que les finances publiques étaient parfaitement saines et que les coupes sociales avaient déjà passé le cap de l’acceptable. De plus, ce paquet d’avenir ne permettait aucune relance économique, du point de vue des investissements et du pouvoir d’achat.
D’où le ficelage d’un paquet social alternatif de la part de l’OGBL?
En effet. Mais avant cela, nous sommes parvenus à limiter la casse, en signant un accord avec le gouvernement fin 2014. Puis, parallèlement à son opposition aux mesures d’économies, l’OGBL a commencé à prendre des mesures politiques en vue de relancer le progrès social, par le biais de la mise sur pied de notre paquet social, en novembre 2015.
Cela étant, au cours d’une seconde phase, à savoir à partir de 2016, le gouvernement a changé de cap, de manière positive, en abandonnant finalement sa politique d’austérité. Les charges ont été baissées et le gouvernement a repris certaines mesures de crise, en s’engageant dans un certain processus de progrès social.
Tout va donc désormais mieux?
Nous n’en sommes qu’aux deux tiers de la législature et les coupes sociales n’ont été que partiellement compensées. Nous ne sommes donc pas au bout de nos peines. Il faut intensifier le progrès social! D’autant plus que la Commission européenne constate elle-même la situation absolument saine des finances publiques luxembourgeoises. Et ceux qui me connaissent savent qu’il est rare que je cite l’exécutif européen de manière positive!
Dans ce sens, qui est également celui des recommandations de Bruxelles, le pays doit mener une politique budgétaire expansive et renforcer ses investissements publics, de même que la demande intérieure. Cela se fait, entre autres, par l’augmentation du pouvoir d’achat. En clair, le gouvernement est sur la bonne voie, mais il doit poursuivre sur sa lancée.
Dans ce contexte, vous avez largement critiqué le principal parti d’opposition, le CSV, qui pourrait bien se retrouver au pouvoir l’année prochaine… Pourquoi?
Le CSV veut revenir à l’austérité et se trompe en critiquant la réforme fiscale et celle du congé parental, en les qualifiant de « cadeaux électoraux ». Pourquoi remettre en question les premiers progrès sociaux? Le CSV joue sur les peurs des gens.
Mais n’est-ce pas là simplement de la politique politicienne?
Peut-être. Ceci dit, je lance un appel au gouvernement pour qu’il ne se laisse pas influencer par cette approche négative.
Vous appelez à amender le projet de réforme de l’assurance dépendance. Pourquoi?
Concernant ce projet, je reste sur ma faim. Premièrement, l’OGBL s’oppose toujours fermement à l’introduction d’un modèle de classes de dépendance (forfaitisation) tel qu’il est envisagé.
Deuxièmement, l’OGBL juge que le projet de réforme, s’il n’est pas amendé, entraînera une sérieuse détérioration des prestations offertes par l’assurance dépendance. Troisièmement, l’OGBL estime que le projet favorisera le travail au noir.
Par ailleurs, nous militons contre les inégalités et invitons le gouvernement à prendre position en faveur d’un système de pensions solidaire et public, car les générations futures en seront impactées. De plus, il faut aborder la question du déchet fiscal, qui est en constante augmentation, pour subventionner les assurances privées commerciales.
Vous êtes également d’avis qu’il faut augmenter le salaire social minimum (SSM) et revoir le projet de nouveau RMG, c’est-à-dire le Revis?
L’OGBL revendique une adaptation structurelle du SSM de 10 %, car une personne adulte seule, qui travaille 40 heures par semaine, perçoit un revenu net qui se situe sous le seuil de risque de pauvreté, comme l’atteste, par exemple, une étude du Statec… Cela est inacceptable!
Concernant le Revis, l’OGBL juge, entre autres, que les plafonds prévus restent largement trop bas. Dans le cas d’un adulte seul, par exemple : 1402 euros, soit 1 euro de plus qu’actuellement. De manière générale, l’OGBL milite pour une augmentation des salaires perçus au Luxembourg et pour une meilleure redistribution des richesses créées.
Où en est-on au niveau du conflit dans le secteur des soins?
Je compare ce conflit à une bombe qui fait tic-tac! Mais plus pour longtemps. Une grève générale sera menée si le patronat n’accepte pas notre revendication concernant les carrières dans ce secteur. Il s’agit d’un parfait scandale, car cela fait une quarantaine d’années que nous attendons une revalorisation des carrières dans le secteur socioéducatif et des professions de santé. De plus, je note que le patronat n’a pas retenu la leçon de notre manifestation de l’an passé…
Vous appelez également à légiférer afin d’éviter les licenciements abusifs…
Il faut une loi qui modifierait les motifs acceptés dans le cadre de la mise en place d’un plan social. On l’a vécu avec le secteur bancaire et maintenant dans l’industrie. Je pense évidemment à l’entreprise John Zink qui, parallèlement aux bénéfices qu’elle réalise, met un plan social sur pied. Face à cela, je dis stop! Il faut que la loi édicte des motifs légitimes de licenciement. De plus, il faut réformer la législation en vue d’élargir la période des négociations, afin de permettre des négociations convenables.
Enfin, il faut de véritables droits de négociation renforcés. Une clarification légale relative aux plans sociaux est indispensable. Celle-ci devra inclure une définition de la durée maximale d’un plan social. De plus, dans le contexte de la digitalisation, j’estime qu’il faut progressivement légiférer par rapport au maintien dans l’emploi. Il faut pouvoir préparer la transition afférente à la digitalisation en mettant de nouveaux instruments en place. Mais le patronat bloque toutes ces discussions.
Comment appréhendez-vous la digitalisation, justement?
Une des problématiques qui seront posées concerne la rapidité des évolutions. Par ailleurs, une chose est claire : la digitalisation ne sonnera pas la fin du capitalisme! Je ne partage pas les thèses de Jeremy Rifkin. D’autre part, il faut éviter les logiques de déterminisme. La question est de savoir dans quelle direction on va évoluer par rapport à tous les aspects technologiques, économiques, sociaux et politiques.
Les rapports de force politiques et sociaux seront déterminants dans ce contexte. L’intégralité des aspects de la vie de tous les jours sera impactée et pas uniquement le monde de l’entreprise. Je pense, entre autres, aux droits démocratiques ou encore à la protection des données personnelles quand je vois des multinationales capitalistes d’outre-Atlantique collecter ce genre de données à grande échelle. Il s’agit d’un véritable problème. Les enjeux de la digitalisation sont énormes.
Et concernant le facteur travail proprement dit?
Il s’agira de voir vers quelle organisation du travail cela nous mènera : vers une organisation digitale du travail à la chaîne ou vers une organisation davantage créative et participative? À côté du futur visage du travail se pose également la question des qualifications professionnelles. L’État va-t-il comprendre qu’il aura la même mission d’éducation publique concernant le lifelong learning (NDLR : la formation tout au long de la vie)?
Justement, quelle est votre position sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle et continue?
Ce projet est une blague! Il n’est nullement adapté aux questions qui se posent à l’heure actuelle. Quel est le rôle des partenaires sociaux dans ce cadre? Les entreprises ne sont pas les seules concernées. L’implication du salarié est primordiale.
Où en est-on au niveau des débats sur le temps de travail?
Personne ne sait dans quelle direction l’on se dirige. Pour moi, une chose est néanmoins claire : nous sommes confrontés à un chômage de masse en Europe. Si l’on se base sur l’hypothèse d’une réduction du volume de travail et de gains en matière de productivité, je vois une bonne perspective de vraiment bénéficier des bienfaits d’une évolution digitale, et ce, pour chacun. On peut envisager des réductions du temps de travail, mais qui ne sont pas liées à des pertes salariales.
Il s’agit d’une question de répartition de la productivité. Cela étant, les dernières négociations avec le patronat sur la loi PAN (NDLR : plan d’action national pour l’emploi) ont échoué, bien que nous ayons obtenu, au final, un bon résultat. Maintenant nous sommes en pleine discussion sur une loi relative à un système de négociation par rapport à l’introduction d’un compte épargne-temps. Si échec il devait y avoir sur ce point, cela constituerait un mauvais signe.
Pourquoi donc?
La Fedil commence à parler télétravail tout en oubliant l’accord national concernant le télétravail négocié avec l’OGBL et l’UEL. Pourquoi la Fedil n’estime-t-elle pas qu’il faille tenir compte des négociations entre partenaires sociaux? Veut-elle recommencer le petit jeu que l’UEL a tenté de jouer sur la loi PAN, en voulant « négocier » unilatéralement? Ce point d’interrogation sera un test.
Ceci dit, tout n’est pas sombre dans ce dossier : l’intention commune de la Chambre des métiers et de la Chambre des salariés, de concert avec le ministre du Travail, de faire une analyse commune des industries 3.0 et 4.0 au Luxembourg, avec des instituts étrangers, est à saluer. Je soutiens cette volonté de structuration des enjeux du futur. Peut-être se trouve-t-on face aux prémices d’un nouveau modèle social du Luxembourg?
Quelles revendications formulez-vous par rapport à la réforme fiscale?
L’OGBL maintient, entre autres, sa revendication d’introduction d’un automatisme de l’adaptation du barème des personnes physiques à l’inflation. Nous appelons également à la défiscalisation du SSM. Sur le point de la discrimination des frontaliers mariés, nous sommes en attente du retour que le ministre des Finances nous a promis.
Pour conclure : que dire sur l’Europe sociale?
Tout reste à faire, après des années de politiques européennes d’austérité erronées qui ont mené l’UE dans cette crise sans précédent.
Claude Damiani