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Aline Rosenbaum : «On peut être ambitieux, mais il faut être lucide»


«N'oubliez pas d'écouter ou de consulter aussi les organisations de défense des consommateurs», lance Aline Rosenbaum aux futurs représentants européens du Grand-Duché. (Photos : alain rischard)

Directrice de l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC), Aline Rosenbaum attend avec intérêt le résultat du scrutin afin de connaître les députés qui discuteront des nombreuses revendications de l’ULC.

À l’approche des élections européennes, le 9 juin prochain, l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) a publié un catalogue de ses revendications à destination des candidats qui vont représenter le Grand-Duché au niveau européen.

Bien qu’Aline Rosenbaum, directrice de l’ULC, concède que le droit du consommateur ne soit pas un sujet central de la campagne, le scrutin européen a son importance puisque les instances européennes légifèrent la majorité du droit de la consommation.

Et la liste des revendications de l’ULC est longue.

Dans quel but avez-vous adressé vos revendications aux politiciens luxembourgeois?

Aline Rosenbaum : Dans notre catalogue, nous avons surtout voulu mettre la lumière sur certaines thématiques afin de dire aux politiques : « Vous allez traiter ces thématiques-là au niveau européen, il y a des sujets qui sont déjà en cours et très avancés au niveau des processus législatifs, d’autres qui sont prévus et donc n’oubliez pas d’écouter ou de consulter aussi les organisations de défense des consommateurs.« 

Ici au Luxembourg, avec l’Union luxembourgeoise des consommateurs, nous avons des spécialistes qui étudient, examinent ces projets et qui ont des choses à dire par rapport à ce qui se fait.

Êtes-vous en contact régulier avec les politiciens?

Depuis quelques années maintenant, nous avons des contacts réguliers avec le ministère qui a la protection des consommateurs dans ses compétences et nous avons effectivement l’occasion de soumettre certaines thématiques par leur intermédiaire.

Ici, nous sommes sur des thématiques plutôt européennes et donc nous dialoguons aussi avec d’autres organisations au sein d’une organisation européenne : le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), qui lui-même a des contacts directs avec les politiciens européens.

Parce que pour les thématiques européennes, même si nos politiques, ici au Luxembourg, ont leur rôle à jouer, on a intérêt à agir de concert avec les autres organisations européennes et, donc, on fait le choix des thématiques elles-mêmes, de concert avec les autres organisations.

Puis si nous voyons qu’il y a intérêt à ce que l’on fasse un peu pression au niveau national, alors oui, on peut essayer d’entrer en contact avec les politiciens luxembourgeois et plus particulièrement nos représentants européens.

Est-ce dur d’exister au niveau européen?

Oui, on peut être ambitieux, mais il faut être lucide aussi. C’est pour cela que nous avons repris dans notre catalogue de revendications des thématiques qui sont actuellement en discussion au niveau européen.

Nous, au Luxembourg, n’allons pas tout seuls décider d’une thématique à discuter au niveau européen.

Depuis des années, l’ULC souhaite combattre les frais bancaires et la digitalisation automatique des services. À quel point est-ce compliqué de changer les choses au sein des instances européennes?

C’est très compliqué parce qu’effectivement c’est un phénomène qui n’est pas limité au Luxembourg, que ce soit pour les frais bancaires ou cette tendance générale à la digitalisation. Même au niveau de la Commission européenne, il y a ce souhait d’aller toujours vers plus de digitalisation.

Donc c’est très compliqué d’aller à l’encontre de ce courant. Mais je dirais que des voix s’élèvent de plus en plus. Nous ne sommes pas les seuls, il y a quand même pas mal d’associations qui font entendre leur voix et qui essaient d’alerter sur ces frais bancaires très élevés pour les opérations qui ne se font pas en ligne.

Ce sont des façons de dissuader le consommateur de continuer à utiliser le papier plutôt que l’e-banking. C’est un cercle vicieux : on dissuade les gens de faire appel à ces services, il y a de moins en moins de personnes qui recourent aux services physiques ou au papier, et donc ce n’est plus rentable, il faut compenser par des frais supplémentaires ou fermer les agences. Il faut par ailleurs arrêter de saucissonner tous les services au niveau bancaire pour apprécier leur rentabilité.

À vos yeux, la digitalisation peut être une menace pour les consommateurs?

Nous réclamons souvent un maintien des agences bancaires, des bureaux de poste et cetera pour les consommateurs. La digitalisation, c’est bien, nous ne voulons pas aller contre, mais le problème, c’est l’exclusivité.

Cela devrait être complémentaire afin d’avoir toujours la possibilité d’obtenir un conseil de la part d’une personne en chair et en os, car il y a toute une partie de la population pour qui cela est vraiment important.

Les personnes âgées représentent un groupe de personnes qui a souvent besoin de contacts humains, mais ce ne sont pas les seules. Il y a aussi toute une partie de la population qui est plus précarisée par exemple.

Avec la digitalisation vient aussi le commerce en ligne et ses dangers comme le dropshipping ou les arnaques. Que désirez-vous changer à ce sujet?

C’est un phénomène qui a commencé déjà depuis un certain nombre d’années, mais qui est en constante évolution, et nous remarquons que les pratiques sont de plus en plus agressives au niveau marketing envers les consommateurs. Il y a des choses à faire, à commencer par l’harmonisation sur ce qui est réglementé ou non.

Il y a aussi le développement des influenceurs. Au départ, tout le monde pense que c’est bien sympathique ces petits jeunes qui font des vidéos sympas.

Puis on se rend compte qu’ils ne sont peut-être pas si indépendants que cela, que c’est presque professionnalisé pour certains, voire une activité tout à fait professionnelle pour d’autres, potentiellement, il peut y avoir exactement les mêmes soucis pour les consommateurs qu’avec des commerçants classiques.

En ce qui nous concerne à l’ULC, nous n’avons pas eu connaissance de problèmes très concrets entre un influenceur et un consommateur. Mais nous devons être vigilants par rapport à cela et déjà nous poser des questions.

Votre catalogue comprend aussi une liste de revendications pour les voyageurs. Quels sont les points les plus importants à traiter au niveau européen?

Notre liste est un constat général au niveau de l’Europe, au niveau des organisations de consommateurs et je dirais même des autorités nationales. Il y a eu des points qui ont été vraiment des sujets de préoccupation et de polémique durant la période covid et qui le restent encore.

C’était l’occasion de voir qu’il y avait des réglementations qui n’étaient pas satisfaisantes. Depuis, il y a des solutions qui ont été trouvées pour certains problèmes, mais pour d’autres cas, il y aura vraiment des adaptations à faire.

Les plus gros problèmes surviennent en cas de changement de vol, d’annulation de voyage, de faillites d’opérateurs ou compagnies. Dans ces cas-là, les droits des consommateurs n’étaient pas assez protégés.

Il s’agit de difficultés à récupérer les acomptes déjà versés, de difficultés à pouvoir retrouver un vol en cas d’annulation ou de difficultés à modifier un voyage en cas de nécessité. Il y a beaucoup à faire.

Ces dernières années, l’Europe a-t-elle simplifié la vie des consommateurs?

Elle a fait beaucoup de choses pour améliorer les droits des consommateurs, mais de là à dire que c’est plus simple, je ne franchirai pas le pas. Il y a beaucoup de réglementations assez complexes et ce n’est pas facile de les faire connaître, de les expliquer, de faire respecter.

Il y a beaucoup de choses qui sont très intéressantes pour les consommateurs dans les directives, dans les règlements. Est-ce que tout cela est bien respecté sur le terrain? Non.

Pour moi, un des enjeux serait de se concentrer sur la mise en application de ce qui existe. On doit travailler sur la clarté des lois et surtout travailler pour la mise en application des outils. Sur la succession des différentes directives ou règlements  adoptés, il y a des outils assez généraux et auxquels on ne pense pas toujours, mais il faudrait pouvoir les appliquer.

On constate un manque de moyens pour faire appliquer les lois ou certaines défaillances dans certaines réglementations, plutôt que de véritables lacunes, une absence totale de réglementation pour des problématiques spécifiques…

«On doit travailler sur la clarté des lois et surtout travailler pour la mise en application des outils.»

On retrouve cette complexité au niveau des recours pour les consommateurs transfrontaliers, selon vous?

Oui. Déjà, il faut trouver devant quel tribunal il faut agir. Si je suis un consommateur au Luxembourg, est-ce que je dois agir au Luxembourg ou bien dans le pays où le professionnel a son établissement? Est-ce que je vais faire appliquer la loi luxembourgeoise ou bien une loi étrangère?

Cela peut être assez compliqué et s’il s’avère qu’il y a une loi étrangère que le juge doit appliquer, quel que soit le pays, c’est toujours plus compliqué aussi. D’où notre volonté d’avoir une harmonisation des lois, car cela apporte aussi une certaine sécurité juridique, tant pour les consommateurs que pour les entreprises.

Sinon, cela ajoute des éléments de complexité supplémentaires, alors que ce n’est déjà pas simple pour un consommateur luxembourgeois d’agir au Luxembourg.

Durant cette période électorale, à quel point les candidats parlent de protection des consommateurs?

Ils en parlent très peu. Mais cela vaut quand même la peine de regarder leurs programmes car certains en parlent plus que d’autres, certains mentionnent uniquement des objectifs, d’autres des mesures très concrètes.

Mais c’est assez rare d’avoir des partis politiques qui préconisent des mesures très précises en ce qui concerne la protection des consommateurs. Ce n’est pas l’un des sujets principaux, il faut quand même l’avouer. Pourquoi? Probablement parce que c’est assez technique, cela demande d’entrer trop dans les détails.

Je pense qu’au niveau de la communication politique, ce ne sont pas les sujets les plus évidents. Pourtant, ce sont des sujets qui touchent vraiment les gens au quotidien. Si au moins les partis nous montraient « voici les thèmes sur lesquels nous avons envie d’aller plus loin« .

Par contre, nous sommes très intéressés par les résultats, car la majorité du droit de la consommation, surtout au Luxembourg, provient malgré tout de la législation européenne et de la transposition.

Il n’y a pas vraiment eu d’initiative nationale pour faire évoluer le droit de la consommation

Pour les consommateurs, des élections européennes sont-elles plus importantes qu’une élection nationale?

Au niveau du droit de la consommation, j’ai envie de dire que oui. Maintenant au sujet de la protection des intérêts économiques du consommateur, je dis non, car il y a des choses qui sont très importantes au niveau national comme la fiscalité.

Pour ce qui est du droit de la consommation, force est de constater que depuis de nombreuses années, il n’y a pas vraiment eu d’initiative nationale pour faire évoluer le droit de la consommation.

On reste au niveau des transpositions de directives et même dans les cas où les directives laissent une certaine latitude aux États, le Luxembourg ne va pas les utiliser. C’est le slogan « Toute la directive, rien que la directive« .

Catalogue de revendications sur www.ulc.lu

Repères

État civil. Aline Rosenbaum (54 ans) est de nationalité belge.

Études. Elle a commencé ses études de droit à l’université de Liège, puis a poursuivi avec des cours complémentaires en droit luxembourgeois à Luxembourg.

Avocate. Elle entame sa carrière d’avocate à la Cour à Luxembourg en 1996 jusqu’en 2011.

ULC. Forte de quinze années d’expérience au barreau, elle intègre l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) en 2011 en y débutant en tant que juriste au sein du service contentieux, avant d’en prendre la direction quelques années plus tard. Depuis le 1er janvier 2023, elle est désormais directrice de l’ULC, succédant à Guy Goedert.

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