MeteoLux annonce des températures négatives jusqu’à lundi. Mais si de nombreux vignobles français craignent le pire, les Luxembourgeois semblent confiants.
Cela devient une sale habitude, même si, aujourd’hui, elle ne surprend plus grand monde. Les vignerons, comme l’ensemble des agriculteurs, se sont fait une raison : le dérèglement climatique leur promet des nuits blanches à l’entrée du printemps.
Que l’on se mette d’accord, ce ne sont pas les températures prévues ce week-end qui sont anormales. Elles sont même parfaitement de saison. Ce qui l’est moins, en tout cas sur un temps long, ce sont les chaleurs du week-end dernier. À la station météo de Remich, les services de l’État ont enregistré jusqu’à 21,5 °C le lundi 28 mars à 14 h.
Les températures élevées pour la saison et cet ensoleillement généreux ont provoqué le réveil de la vigne. «Les vignes ont commencé à pleurer il y a une semaine environ», explique le conseiller en viticulture et œnologie des vignerons indépendants, Jean Cao. Cette jolie expression imagée signifie simplement que la sève commence à remonter dans la plante, suintant des plaies de la taille hivernale.
Les larmes des vignes
On observe alors de petites gouttes – comme des larmes – au bout des sarments. Elles contiennent le glucose, le fer, le potassium, le calcium, le phosphore et les acides organiques qui vont permettre à la vigne de relancer sa croissance.
Les larmes des vignes ne signifient toutefois pas que les bourgeons vont s’ouvrir tout de suite. Il faut une somme de températures journalières supérieures à 10 °C qui n’ont pas encore été atteints. Les bourgeons commencent juste à grossir, mais ils sont encore bien fermés et les embryons de feuilles à l’abri.
«Dans cet état, même les cépages les plus précoces (NDLR : le chardonnay, le gewurztraminer ou le pinot noir, par exemple) devraient pouvoir supporter sans trop de problèmes la descente du mercure annoncée, rassure Jean Cao. Si des températures sous -10 °C étaient prévues, ce serait plus ennuyeux, mais là, je ne suis pas très inquiet.»
Des gelées tardives en 2019, 2017, 2016
Les vignerons devraient passer à côté d’une catastrophe, mais ils entrent toutefois maintenant dans une période stressante. «Là, ça va, mais si ces mêmes températures reviennent dans deux semaines, on aurait sans doute des problèmes», glisse le vigneron Marc Berna (Caves Berna, à Ahn). L’année dernière, des températures légèrement négatives autour du 8 avril avaient été assez inoffensives.
Mais la nappe de froid qui s’était abattue sur la Moselle le 5 mai 2019 avait grillé 40 % de la récolte nationale, certains domaines ayant perdu beaucoup plus (notamment autour de Remerschen). En 2017, la gelée tardive du 17 avril avait également causé des dégâts importants à Mertert, Stadtbredimus et Remerschen. Le gel avait aussi coûté entre 50 et 80 % de la récolte sur 350 hectares (la Moselle en compte 1 300) le 23 avril 2016.
On le voit, ces dernières années ont vu le retour quasi annuel de cette menace qui avait pratiquement disparu pendant plusieurs décennies. Les gelées tardives étaient pourtant bien présentes au milieu du XXe siècle, puisque, entre 1950 et 1970, des coopératives avaient été créées à Remerschen et Stadtbredimus pour poser et entretenir un coûteux système d’aspersion des vignes en cas de coup de froid.
«C’est du stress»
Juste avant la gelée, on arrosait les ceps et, sous l’effet du gel, un cocon de glace se créait autour des bourgeons et des jeunes feuilles. Grâce à l’«effet igloo», la température sous cette enveloppe de glace ne tombait sous les degrés négatifs fatidiques. Mais puisque la fréquence de ces épisodes s’est espacée, ce bouclier coûteux à l’usage et à l’entretien n’était plus indispensable.
Et puis, le gel n’est pas la seule crainte. «La grêle aussi peut venir…», souffle Marc Berna. Globalement, la Moselle luxembourgeoise a plutôt de la chance par rapport à ce fléau qui a causé beaucoup de dégâts ces dernières autour du pays (Champagne, Bourgogne, Alsace, Moselle allemande). Mais les 28, 29 et 31 mai 2017, il n’y a pas si longtemps, la grêle avait provoqué des pertes importantes à Bech-Kleinmacher et Remich et des pertes moyennes à Ahn, Dreiborn, Niederdonven et Machtum.
«Chaque année, on connaît ces mêmes problèmes, soupire Marc Berna. C’est du stress.» La vigne ne produisant qu’une fois par an, une journée sous de mauvais augure peut effectivement grever toute une année de revenus.
[/infobox]En France, c’est l’inquiétude
Les nombreuses régions françaises qui ont déjà vécu une année 2021 catastrophique à cause du gel voient pointer le spectre d’une nouvelle annus horribilis. Comme pour le Luxembourg, les vignes d’Alsace et de Champagne ne sont pas suffisamment avancées pour que le gel de ce week-end soit dévastateur. Mais ailleurs, il y a de quoi frissonner.
[caption id="attachment_367514" align="alignnone" width="665"] Vendredi, les vignes ont été recouvertes de neige dans le sud-ouest de la France. (Photo : AFP)[/caption]Sur le média en ligne Vitisphère, le docteur en agroclimatologie Serge Zaka avance que les cartes de risque de gel annoncent des pertes potentielles «en val de Loire (moins dans le pays nantais, avec 20 à 30 % de dégâts, qu’en Touraine, avec 40 à 70 % de pertes), dans le Beaujolais, dans le Dijonnais. Pour Bordeaux et Cognac, il y a un dégradé de dégâts de l’Ouest, la façade atlantique étant moins touchée, vers l’est, jusqu’à 30 à 40 % de pertes».
En Bourgogne aussi, les craintes sont élevées. «On est dans la même configuration que l’année dernière. C’est la goutte froide : on bascule de l’anticyclone et du beau temps à l’arrivée d’air froid et potentiellement de neige. C’est une gelée noire, d’hiver», relève Louis Moreau, le vice-président de la commission Chablis au sein du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), toujours dans Vitisphère. Même le Languedoc et la Provence ne sont pas sereins.
Dans les vergers, «cela devient vraiment difficile de s’adapter»
Si la vigne semble à peu près hors de danger, la crainte est réelle dans les vergers. Jean-Claude Müller, agriculteur et distillateurs de très belles eaux-de-vie et de liqueurs à Contern, confirme : «Le risque est là… il n’est pas énorme, mais il existe.» L’ensemble de son verger n’est pas concerné, mais les arbres qui viennent de développer leurs fleurs, si. «Pour les cerisiers et les quetschiers, ce sera limite, précise-t-il. S’il fait -1 °C, ça ira, mais si les températures descendent jusqu’à -2 ou -3 °C, il y aura des soucis.»
Pour autant, si dégâts il y a, on ne le saura que dans un mois lorsque les fruits se développeront… ou pas. Il est impossible de faire des prévisions lorsqu’on flirte avec la limite, comme ce sera le cas ce week-end. Tout dépend des flux d’air, du sens du vent (s’il y en a), de la topographie du terrain…
«Par rapport à 2017, où le gel avait provoqué de grosses pertes, nous avons la chance que le sol soit déjà humide», explique Jean-Claude Müller. Effectivement, les sols secs sont de mauvais conducteurs thermiques et n’ont pas la propriété d’emmagasiner autant de chaleur que les sols humides, d’où un risque accru de gel.
«Il n’y a rien de très logique»
Comme les vignerons, le Conternois insiste sur le fait que ce ne sont pas les températures à venir qui posent problème, mais la chaleur de ces derniers jours qui a incité les fruitiers à sortir tôt de leur sommeil hivernal.
Est-ce à dire que, désormais, privilégier les variétés précoces n’est plus aussi pertinent qu’auparavant? «Non, parce que l’année dernière, par exemple, a été tardive. Alors qu’elle se termine généralement la deuxième quinzaine de juillet, la récolte des cerises s’est étirée jusqu’au 15 août. Il n’y a rien de très logique dans la succession des saisons. Cela devient vraiment difficile de s’adapter.»
Il cite un autre exemple, la culture des edamames (des fèves de soja prisées dans les restaurants japonais) qu’il a inaugurée en 2020 : «La première année, tout était parfait puisqu’il a fait chaud et sec, mais l’an dernier, ça n’a pas du tout marché». Encore plus qu’un réchauffement, c’est bien à un dérèglement climatique que nous avons affaire.