Alain Durieux, qui sifflait mardi Atlético – Leverkusen en Youth League, revient sur sa surprise d’avoir hérité de matches de la phase de poules d’Europa League, à Glasgow, Barcelone ou Lisbonne.
Le clin d’œil aurait été trop appuyé, mais on ne peut s’empêcher d’y voir un signe : Alain Durieux a fait, le 17 juillet dernier, son entrée dans le grand monde là où Alain Hamer a quasiment terminé sa carrière, le 27 novembre 2010 : à Celtic Park. Le plus grand arbitre enfanté par le Luxembourg, qui pèse 27 rencontres européennes et 36 matches internationaux avait été rattrapé par une dernière pige forcée à Anderlecht un mois plus tard, sinon le passage de témoin eût été parfait entre les deux générations avec presque dix ans d’une longue attente, à se demander si le Grand-Duché reverrait encore l’un de ses sifflets à un tel niveau. Depuis juillet, Alain Durieux a officié sur Celtic Glasgow – Sarajevo, Espanyol Barcelone – Stjarnan et Sporting Lisbonne – LASK. Que du lourd.
Avez-vous été aussi surpris que tout le monde au pays de vous voir confier de telles responsabilités à seulement 34 ans ?
Moi, j’avais reçu l’information de ma promotion dans la catégorie 2 des arbitres en juin-juillet, après les évaluations et la publication du classement. J’ai été à la fois surpris et content. Je connaissais mes notes, je savais qu’elles étaient bonnes, mais je ne connaissais pas celles des autres arbitres, donc je ne pouvais pas me douter. Et oui, 34 ans, c’est plutôt très jeune par rapport aux autres arbitres de la catégorie. Comme tout petit joueur de foot, je rêve bien entendu de la Ligue des champions mais pour intégrer la catégorie 1, où les grandes nations de l’arbitrage de sont représentées, il y a encore beaucoup de boulot.
Avez-vous parlé de cette nomination avec Alain Hamer ?
Bien sûr ! Je suis en contact régulier avec lui. Il est ma personne de contact, forcément. Il avait un niveau bien supérieur au mien mais se réjouit qu’un arbitre luxembourgeois soit enfin sorti de la catégorie 3. Son conseil, c’est de travailler très fort les points négatifs. Et ne jamais croire qu’on est plus fort que les autres.
On peut les connaître, vos « points négatifs » à travailler ?
(Il sourit) Non. On n’en parle pas à l’extérieur. C’est confidentiel.
On pense à quoi, quand on se retrouve devant 60 000 personnes à Glasgow, au centre du terrain ?
J’ai été très surpris que cela soit ma première nomination ! Tout de suite un club de renommée mondiale comme le Celtic Glasgow ? Ça change de se retrouver devant 200 ou 300 personnes au Luxembourg. Je n’ai pas eu peur, mais j’avoue que ça m’a rendu un peu nerveux.
Quel était votre dernier match de BGL Ligue avant ça ?
Pétange – Mondorf.
C’est très différent, on imagine, comme arbitrage ?
Oh, ils jouent tous au football avec les mêmes règles. En fait, c’est plus facile pour un arbitre de siffler une équipe qui joue au football qu’une équipe de besogneux mais oui, c’est vrai que ça va très vite à ce niveau mais c’est finalement plus facile. Sauf qu’il y a plus de décisions importantes à prendre au niveau de la phase de poules de l’Europa League.
Comment cela ?
À ce niveau, ils sont plus souvent aux alentours des surfaces de réparation que ce qu’on peut voir, par exemple, en Division nationale.
C’est votre vision des choses ?
Non, c’est statistiquement prouvé. On le constate. Regardez un match de Ligue des champions et vous verrez aussi que les équipes sont bien plus souvent proches du but adverse. En tout cas des 16 m. Donc c’est plus de stress parce qu’il y a plus de situations limites à juger. Cela nécessite une préparation mentale, on ne peut pas rater un penalty…
N’est-ce pas plus sympa, sinon, d’être dans un stade dans lequel on n’entend pas les insultes que les supporters profèrent à votre encontre ?
Ah ça c’est vrai qu’en DN, on entend toutes les paroles qui peuvent être prononcées. Dans un grand stade, on profite plus de l’ambiance mais ce n’est pas « plus sympa ». Pour vraiment pouvoir en profiter, il faut beaucoup travailler en amont.
Comment est-ce que vous travaillez, d’ailleurs ?
Je suis agent immobilier. Alors des fois, combiner la famille, le foot et 40 heures dans la semaine, c’est compliqué. On a un entraînement obligatoire par semaine à l’INS plus trois-quatre heures de travail individuel avec les montres qui enregistrent nos données personnelles et que nous devons transmettre aux préparateurs physiques de la fédération. Il y a aussi trois-quatre cours par an au CFN. Mais ça vaut la peine de faire tout ça pour ce genre d’évènements absolument formidables.
Justement, Charles Schaack, le patron de l’arbitrage luxembourgeois, indiquait que vous étiez formé aussi depuis peu à la VAR ?
Je sors il y a tout juste trois semaines de cinq jours de formation à Amsterdam. Il y a eu aussi quatre jours à Istanbul et il y en aura encore quatre autres dans la capitale turque. Cette formation, pour moi, c’est un très bon signe quand on sait que la saison prochaine, la VAR sera introduite en Europa League. Et que sans cette formation, on n’aurait plus le droit d’y arbitrer.
Mais c’est une formation pour être derrière l’écran, ou pour savoir comment cela fonctionne une fois qu’on est sur le terrain ?
Les deux.
Très honnêtement, c’est excitant, la perspective de se retrouver derrière une télé ?
Ce ne serait pas frustrant en tout cas. Car on fait malgré tout partie d’une équipe. Après, on reste des sportifs et forcément, ce qu’on veut, c’est être au centre, sur le terrain.
Comment s’est constituée votre équipe, avec vos adjoints luxembourgeois ?
Au niveau des assistants, il y a quand même six Luxembourgeois tous à un bon niveau qui peuvent officier. Je les ai choisis avec le comité des arbitres luxembourgeois. D’ailleurs, Gilles Becker et Joaquim Da Silva m’accompagneront pour la dernière session VAR à Istanbul.
En matière de progression, n’aimeriez-vous pas bénéficier de ces exceptions qui permettaient à Alain Hamer, en son temps, d’arbitrer en Belgique, en France…
Pour l’instant, nous avons des échanges avec l’Allemagne mais seulement jusqu’au niveau Regionalliga parce que c’est le dernier échelon géré par les régions. À partir de la 3e Bundesliga, c’est la DFB. Or la Regionalliga, on peut la comparer à ce qu’on rencontre sur les quatre ou cinq meilleures équipes de DN. Oui, ça m’aiderait qu’il y ait un accord avec d’autres fédérations dont on puisse bénéficier pour aller arbitrer à un autre niveau à l’étranger mais ce n’est ni à moi de décider ni à moi de m’en occuper.
De quoi rêvez-vous, ces prochains mois ?
Quand j’étais petit, j’ai suivi des matches en Bundesliga alors… Sinon, l’Angleterre, ce serait quelque chose. Mais en vrai, le Celtic, comme le Sporting, c’était déjà un rêve…
Vos notes sur les trois premiers matches de phase de groupes qu’on vous a confiés sont-elles bonnes ?
(Il sourit) Je les connais, oui, elles ne sont pas mauvaises, mais je ne peux pas en dire plus.
Entretien avec Julien Mollereau