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Accessibilité et transports : les oubliés de la réforme


Les personnes en situation de handicap "devront payer leurs déplacements parce que leur condition ne leur permet pas de prendre les transports publics", déplore Info-Handicap. (illustration Editpress)

Une réforme de la loi sur l’accessibilité des personnes en situation de handicap est en cours. Alors qu’elle promeut l’intégration et l’inclusion, la partie concernant les transports semble avoir été oubliée.

Olivier Grüneisen, le directeur d’Info-Handicap, salue ce nouveau projet de loi, mais pointe les obstacles auxquels les personnes en situation de handicap sont confrontées.

Une réforme de la loi de 2001 sur l’accessibilité est en cours de préparation. Que pensez-vous du contenu de cette nouvelle loi ?

Olivier Grüneisen : Info-Handicap a pu donner son avis à sur le sujet, de même que le Conseil supérieur des personnes handicapées (CSPH) ou l’Adapth, le centre de compétence national pour l’accessibilité des bâtiments, et le groupe d’experts multidisciplinaire en accessibilité (MEGA). Nous avons apprécié que le gouvernement nous consulte et nous donne un droit de regard. Cette nouvelle loi va bien plus loin que la précédente.

La ratification en 2011 de la convention de l’ONU sur le handicap a changé la donne. De nombreux aspects de cette convention sont repris par le projet de loi. Même si certaines différences subsistent, la volonté est là de mettre l’accent sur la conception universelle ou le « design for all » pour garantir l’accessibilité dans tout l’espace public et également dans les parties communes des logements collectifs ou résidences. Nous pensons que la conception universelle est la solution et qu’il faut travailler en ce sens. Le projet de loi prévoit également que les anciens bâtiments soient rendus accessibles. Une subvention sera mise en place pour aider les propriétaires.

Le projet de loi ne s’adresse pas uniquement aux personnes en fauteuil roulant.

La société doit être amenée à réfléchir à ce que signifie l’accessibilité. C’est aussi, par exemple, aider une personne aveugle à se diriger dans l’espace, c’est rendre accessibles les documents administratifs sur internet à ces personnes, par exemple. Pour l’instant, le Centre pour le développement des compétences relatives à la vue (CDV) aide les étudiants à rendre les contenus de leurs cours accessibles. Le gouvernement a également l’intention de rendre ses sites internet accessibles aux personnes aveugles. Une loi relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public est parue le 28 mai dernier.

La nouvelle loi sur l’accessibilité tient compte des besoins des personnes en situation de handicap moteur, sensoriel, cognitif et psychique. Elle se concentre sur tout ce qui est public et privé. Les salariés handicapés doivent pouvoir avoir accès à leur lieu de travail facilement, même si, comme l’a souligné la Chambre des métiers cela va coûter plus cher à la société. Oui et non, ces aménagements ne seront plus pris en charge par l’assurance dépendance qui va du coup baisser. D’un autre côté, la population luxembourgeoise est vieillissante et donc plus sujette au handicap.

Que pensez-vous de l’accessibilité des moyens de transport ?

La Ville de Luxembourg a beaucoup progressé en la matière. Ce qui n’est pas le cas dans le reste du pays. Les bus RGTR ne sont pas accessibles aux fauteuils roulants. Quant aux personnes présentant un handicap cognitif, elles ne trouvent pas l’aide nécessaire pour ne pas se perdre. Mais l’accessibilité a ses limites. Il est impossible pour un groupe de six personnes en fauteuil roulant de prendre le même bus.

Les trains sont plus accessibles à condition de prévenir à l’avance que l’on veut prendre tel train pour que l’accompagnateur de train puisse mettre en place une rampe d’accès. Les gares, elles, sont presque toutes accessibles. Nous travaillons avec les CFL dans le cadre du label EureWelcome, qui garantit un minimum de critères d’accessibilité.

Nous ne sommes, par contre, pas très satisfaits de la prise en charge des enfants souffrant de problèmes cognitifs. Les chauffeurs de minibus qui les accompagnent sont seuls et prennent des responsabilités au-delà de leur fonction. Même si le ministère rechigne, il faudra mettre en place de vrais accompagnateurs responsables des enfants. Ensuite se pose la question du nombre de voyages gratuits accordés en Adapto, ces minibus accessibles aux personnes en situation de handicap. Ils ont été victimes de leur succès et des abus ont été réalisés. Cependant, 15 voyages par mois, ce n’est pas suffisant, c’est une limitation de l’autonomie et de la vie privée de ces personnes. De même que les heures de fonctionnement de ce service.

Nous trouvons également injuste que les transports en commun deviennent gratuits pour tout le monde, sauf pour les personnes en situation de handicap. Il y a une discrimination de ces personnes qui sont les plus vulnérables. Ils devront payer leurs déplacements parce que leur condition ne leur permet pas de prendre les transports publics.

Le législateur a-t-il oublié cet aspect ?

François Bausch, le ministre en charge des Transports, ne considère pas l’Adapto comme un transport en commun mais plutôt comme un service individuel, comme un taxi. Or c’est une solution qui avait été mise en place pour compenser le manque d’accessibilité des transports publics et elle devrait devenir gratuite, elle aussi.

Nous n’avons pas dit notre dernier mot. Nous allons demander une entrevue avec nos associations membres et partenaires. Les personnes handicapées doivent avoir les mêmes droits que les autres. C’est une discrimination. Je pense qu’il existe des pistes pour que ce service coûte moins cher à l’État en cas de gratuité. Il faut éliminer les abus, rendre les transports publics plus accessibles, par exemple. Cela réduirait le nombre de personnes qui sont dépendantes d’Adapto.

Comment la société accepte-t-elle les personnes handicapées ?

Nous assistons à un changement de mœurs sur cette question du point de vue tant de la politique que de la société ces vingt ou trente dernières années. Cependant, malgré cette évolution, nous devons continuer à sensibiliser le public aux questions du handicap. Certaines personnes ne s’intéressent pas à la question tant qu’elles ne sont pas concernées. L’Adem fait de son mieux pour encourager les patrons à engager des personnes handicapées et cela fonctionne bien dans le secteur public.

Dans le secteur privé, en revanche, c’est plus compliqué. Même si l’État finance les aménagements nécessaires et participe au salaire, cela reste difficile. Les craintes l’emportent sur l’altruisme. Les entreprises demandent du rendement et de l’efficacité à leurs employés et ne croient pas que certaines personnes handicapées sont capables des mêmes résultats que les valides. Alors que c’est faux, il faut mettre les personnes aux postes qui leur correspondent. Le tabou du handicap est révolu. On ne cache plus les personnes handicapées. Les centres de soins ont pignon sur rue.

L’accessibilité n’est donc pas la seule condition pour une société plus inclusive ?

Si nous voulons parvenir à une société inclusive, il faut que les enfants ne se rendent plus compte des différences. Il y a une trentaine d’années, il n’y avait pas d’enfants handicapés dans les classes. Aujourd’hui, il y en a de plus en plus. On y vient à cette société, même s’il y a encore du travail.

J’espère que nous allons y parvenir. La question est : dans combien de temps ?

Entretien avec Sophie Kieffer